Le réveil industriel de Bourges
va se produire au milieu du XIX e siècle, un peu par le
hasard, et c'est à Napoléon III que la ville doit
un renouveau assez inespéré. Peu à peu,
au fil des décennies, vont s'implanter des industries
basées sur l'armement. Un retour aux sources en quelque
sorte, puisque les Gaulois d'Avaricum étaient en leur
temps d'excellents fabricants d'épées et autres
armes à base de fer.
Il y a souvent eu confusion, à
Bourges même, dans la dénomination des Etablissements
militaires. Depuis un demi-siècle, les noms et sigles,
comme la DFA, l'ETBS, l'ABS, le GIAT, la DEFA, mais aussi la
SCAN, Aérospatiale et MBDA sont pour le moins confus dans
l'esprit de beaucoup et il n'est pas simple de s'y retrouver.
L'ARMEMENT
A BOURGES S'IMPLANTEES PREMISSES
A l'origine, il y a une position géographique
favorable de Bourges par rapport à Paris. Les autorités
pensant que le Berry et Bourges pouvaient constituer une excellente
zone de replis. Lorsqu'en 1793, il y eut, en pleine Révolution
des tensions à la Convention, pour éviter de subir
les pressions de la rue parisienne, plusieurs Conventionnels
demandèrent que la Convention, c'est à dire les
Députés soient à Bourges et non à
Paris.
Plus tard, en 1815, c'est à dire à la fin, Napoléon
premier, qui n'est jamais venu à Bourges dira de la ville
: "c'est un important centre stratégique".
Cette notion de réduit stratégique
va occuper plusieurs hommes politiques à partir de 1830.
Deux noms sont à mettre en avant :
- le colonel Marnier, chef de cabinet du ministre de la guerre,
originaire de Bourges, il voit cette région du et la frontière
de la Loire, comme un bienfait.
- le maire Mayet Génétry, mobilise la population
pour avoir le financement d'un polygone de tir. Son objectif
est de permettre l'installation à Bourges d'un régiment
d'artillerie. Il faut construire un réduit naturel et
stratégique au centre de la France disent ces deux hommes.
La municipalité intervient pour le financement, et Bourges,
en 1837 se retrouve avec un Régiment d'Artillerie, avec
1400 hommes et 1300 chevaux.
C'est dans le même esprit qu'en 1845,
Bourges obtient son dépôt d'artillerie.
Avec l'arrivée du Chemin de Fer (1847), la ville peut
progressivement se transformer en un vaste arsenal dans lequel
les armées viendraient "s'alimenter en matériel
et munitions".
1853, c'est la création du premier
polygone de tir, il a 2 Km de long.
Il y a une volonté unanime des représentants
de Bourges pour demander au Ministère "l'organisation
dans la ville de Bourges d'Etablissements Militaires".
UNE DATE
CLE : 1860
La décision d'implanter les
"établissements militaires" à Bourges
date d'avril 1860.
La première réalisation
comprend une Fonderie impériale de canons et les premières
pièces sortent de Bourges dès 1867, pour le compte
de l'empereur Napoléon
III. La défaite consommée de 1870 transforme
l'établissement en fabricant de canons, après avoir
ôté le qualificatif d'impérial. C'est au
début du siècle que le nom de ABS (Atelier de construction
de Bourges) devient familier des Berruyers.
A la même époque lointaine,
vers 1870; une Ecole de pyrotechnie s'implante à Bourges
en venant de Metz, elle s'appellera l'ECP (Ecole Centrale de
Pyrotechnie).
(Les deux entités fusionneront
un siècle plus tard, en 1967, pour devenir l'EFAB (Etablissement
de fabrication d'armement), lequel, en 1994 s'appelle GIAT (Groupement
Industriel des Armements Terrestres), puis GIAT-Industrie.)
A côté de ces entités
industrielles, sera crée le 30 décembre 1871, une
Commission d'Expérience,
laquelle, composée d'une dizaine de personnes, devint
permanente et s'installa à Bourges, le plus souvent dans
les locaux proches des "établissements militaires".
Au fil du temps, cette commission s'étoffa et vit ses
fonctions s'organiser et se préciser. Elle expérimentait
les canons, les mitrailleuses, la poudre noire et les fusées
de projectiles. Elle utilisait, à son origine, un champ
de tir, de 70 hectares, long de 4,7 kilomètres.
C'est le 6 juin 1933 que la Direction des Fabrications d'Armement
fut fondée, regroupant à la fois des établissements
militaires et la Commission d'Expérience de Bourges qui
prit le nom d'Etablissement d'Expérience Technique de
Bourges (ETBS). Le Général de Brigade Ygonin en
fut le premier directeur.
Dans l'entre-deux-guerres, les "Commissions
étaient devenues de véritables laboratoires scientifiques",
et elles recrutèrent des "opérateurs instruits",
avec le remplacement progressif des soldats par une main d'oeuvre
civile. Les moyens techniques de mesures furent mis en place,
avec des chronographes, des instruments photographiques de grande
capacité. Un radiosondage et un bureau de calculs virent
le jour fin 1938.
La difficile période de la guerre se termina par la destruction
des installations.
A partir de l'automne 1944, l'ETBS fut
reconstruite, et la tâche dura jusque dans les années
1950, sous l'impulsion de l'Ingénieur en Chef Puissan.
La mise au point des mortiers de 120, réalisés
à l'Atelier de Construction de Roanne commença,
à partir des enseignements tirés de l'étude
du mortier allemand de même calibre.
La région de Bourges est totalement
axée sur l'économie de guerre, la base d'Avord
en est encore un exemple frappant.
LES ETABLISSEMENTS
MILITAIRES EN 1914-1918
L'accroissement du personnel est considérable
dans les fabriques de canons et d'obus de Bourges. A l'Atelier
de Construction, il y a 729 employés au début du
conflit, ils seront 8376 à la fin de la guerre. De même,
la Pyrotechnie comprenait 1619 spécialistes des explosifs
en 1914, ils seront 12 500 quelques mois plus tard.
A la Pyrotechnie, les bâtiments et installations de production
existants furent utilisés au maximum de leur capacité.
Mais très vite, ils devinrent insuffisants, on adjoignit
deux grands ateliers de chargement des munitions ainsi qu'un
atelier pour produire le fulminate. Entre le début et
la fin du conflit, les surfaces se trouvèrent multipliées
par 5 !
Il en fut de même à l'Atelier de Construction, on
édifia à la hâte, des ateliers d'usinage,
mais aussi des magasins, des quais et même une usine d'alimentation
en eau. Les surfaces occupées furent multipliées
par 3 entre 1914 et 1918.
Les canons sortiront à grandes cadences,
le 65 mm de montagne, le 155 mm Rimailho, et enfin le 155 GPF
du Colonel Filloux. Ce dernier sera utilisé sur le front
à partir de 1917 , il figure parmi les armes qui furent
décisives pour la victoire. Les cadences de travail sont
importantes, on travaille 24 heures sur 24, et journalièrement,
il sort de Bourges, 40 canons de 75, il en sera produit au total
plus de 3000 exemplaires.
Les voisins de la Pyrotechnie avaient les mêmes préoccupations,
la plupart des munitions de l'Artillerie et de l'Aviation sortiront
de cet Etablissement qui était passé, en surface,
de 20 à 300 hectares. Les chiffres donnés pour
les productions de cette époque sont vertigineux.
En 1918, la production
journalière atteignait :
80 000 cartouches de 75
40 000 fusées diverses
700 kilogrammes de fulminate de mercure.
En 1917, il y aura plus de 23 000 personnes,
logées pour beaucoup aux Bigarelles. La ville de Bourges
atteint alors le chiffre considérable de 100 000 habitants.
(Bourges pendant la Guerre,
C.G. Gignoux)
LA BASE
D'AVORD
La base d'aviation d'Avord située
à 20 kilomètres de Bourges n'avait que 2 ans d'existence
à la déclaration de la guerre. Elle va devenir
le plus grand centre européen de formation de pilotes.
Dans une publication, le Capitaine Morgat a parfaitement traité
cette période relative à la naissance d'Avord.
C'est par la volonté du Président de la Chambre
de Commerce, le banquier Albert Hervet, aidé du Prince
d'Arenbert, que se constitue un dossier visant à installer
une école d'aéronautique dans le département,
et cela dès 1910. Les autorités locales du Cher,
le 12 mai se mettent d'accord pour soumettre un dossier au ministère
afin que le Camp d'Avord devienne, en plus d'une garnison d'infanterie,
un champ d'aviation.
Tout se jouera lors d'une visite impromptue à Avord du
Ministre de la Guerre, Millerand, accompagné par le Chef
d'Etat Major, Joffre. Ils sont venus assister à des tirs
d'obus à la mélinite, et, sur leur lancée,
ils vont visiter le site d'Avord. Quelques temps plus tard, Avord
devient la 9e école d'aviation en France.
Pendant la guerre de 1914, la base se structura
; il y aura jusqu'à 1300 avions en permanence, 1000 élèves
pilotes et 3000 mécaniciens. Ces chiffres sont éloquents.
Tous les "as" de la guerre sont passés par le
Cher : Guynemer, Nungesser, Bourgeade, Haegelen, Fonck et beaucoup
d'autres.
LA DIFFICILE
RECONVERSION DE L'APRES-GUERRE
L'activité industrielle principale
de Bourges avait été consacrée depuis 4
ans à une intensive production de guerre. Mais comme il
s'agissait de la "der des der", il n'était plus
nécessaire de "sortir" des munitions et autres
canons. La reconversion de milliers de travailleurs devenait
nécessaire.
Dès la fin des hostilités, les syndicats se mirent
en avant pour empêcher les licenciements. Ils demandèrent
la transformation immédiate des Etablissements Militaires
en Office Industriel. L'idée qui prévaut est alors
de mettre 3000 ouvriers à l'entretien des machines et
bâtiments ; quant aux autres, la fabrication de matériel
de chemin de fer et de machines agricoles pourrait occuper 12000
personnes.
A partir de janvier 1919, la tension commence à monter.
Toute la population est inquiète, les ouvriers bien sûr,
mais aussi les commerçants qui voient avec frayeur la
baisse de leur chiffre d'affaire. Au cours d'une grande réunion
syndicale rassemblant plus de 8000 personnes, il est demandé
:
"Qu'au travail de guerre pour lequel
ils ont été créés, succède
immédiatement le travail de paix dans ces établissements
supérieurement agencés et outillés pour
toutes sortes de production... Ils réclament avec énergie
la continuation de leur exploitation par l'Etat".
Lorsque des visites de responsables de l'industrie privée
comme Citroën ou Schneider, viennent en mission afin d'examiner
le parc machines qu'ils pourraient acheter, c'est la révolte
à la fois des syndicats et des hommes politiques. Laudier
et Hervier vont se dépenser sans compter pour qu'aucune
machine ne soit démontée et envoyée sous
d'autres cieux.
Les marchés des Etablissements Militaires
vont comporter quelques éléments de wagons et de
matériel agricole, mais cela ne donnait plus du travail
pour des milliers d'ouvriers. Le ministre de la Reconstruction
industrielle recevra les désidérata des syndicats
et de la population de Bourges, mais il ne voit une solution
que dans l'activation des affaires civiles, qui sont lentes à
mettre en oeuvre, il écrira :
"la congestion de certains centres qui, dans l'état
de production de guerre, avaient dû recevoir une population
tout à fait hors de proportion avec celle qu'ils pouvaient
normalement absorber, je cite, par exemple, la ville de Bourges".
La Pyrotechnie se mit à réparer
un millier de wagons, alors que l'Atelier de Construction "végète
dans un marasme à peu près complet" dira Gignoux,
seront produits environ 1500 chariots de culture en 1920.
Cette situation ne pouvait pas continuer ainsi ; Laudier, en
bon gestionnaire qu'il devenait, trouvait que "la principale
difficulté que rencontraient les établissements
d'Etat pour s'adapter à la vie industrielle moderne provenait
de la sujétion administrative à laquelle ils sont
soumis".
Dans un projet de loi en date du 26 mai
1921, portant le numéro 2-683, Laudier soumet à
la Chambre des Députés un texte pour placer la
gestion "des établissements constructeurs de l'artillerie"
à un Conseil Central composé par tiers de représentants
de la production dont la moitié serait désignée
par le personnel. Un second tiers rassemblerait les représentants
des consommateurs ; enfin, le dernier tiers serait formé
des représentants des Pouvoirs Publics. C'est ce Conseil
qui nommerait les dirigeants de l'entreprise. L'Office aurait
un budget autonome et pourrait faire des bénéfices,
lesquels seraient distribués à l'Etat et aux oeuvres
sociales de l'Etablissement. En cas de déficit, c'est
l'Etat qui couvrirait les pertes dans l'éventualité
d'un fond de réserve insuffisant. C'est sans doute dans
cette hypothèse que le projet a quelques failles.....
Enfin, l'Office pourrait se procurer des capitaux par l'emprunt
à court terme.
Ce projet d'essence très moderniste
"bouleverse tous les errements suivis jusqu'à
ce jour en France dans les industries d'Etat" selon
l'opinion de Gignoux, est accepté par tous les partis.
C'est le moyen de sauver l'emploi et d'utiliser les machines-outils,
il y a quelque mille tours de toutes dimensions à la fonderie
de Bourges.
Mais il est très difficile de reconvertir
une industrie de guerre dans les activités civiles. Peu
à peu, les effectifs des Etablissements Militaires vont
se réduire pour revenir à un chiffre d'environ
3 500 employés, à peine plus important qu'avant-guerre.
La population de Bourges revenant pour sa part à une valeur
de 45 942 habitants au recensement de 1921, soit 207 de plus
qu'en 1911.
La ville de Bourges sort de quatre ans
d'épreuve dans un état identique à celui
d'avant-guerre, avec toutefois 1475 tués à l'ennemi.
La ville n'a pas changé, les foules ouvrières ont
quitté les rues sans laisser de trace. La cité
ouvrière, une des plus grande de France, est un lointain
souvenir ; Bourges n'a pas pu ou su profiter de l'apport industriel
de ces années. Elle pourrait retourner à un engourdissement
qui lui va assez bien. Un homme va réveiller cette torpeur,
c'est son maire : Laudier. Dans des années agitées
sur le plan politique, il va transformer la ville. (Bourges pendant la guerre, C.J. Gignoux
)
LA GUERRE
DE 1940 A BOURGES
L'aéroport était défendu
par Marcel Haegelen, le 6 juin alors que l'on annonce à
nouveau l'arrivée imminente de 6 bombardiers Heinkel 111,
l'As de 1914 prend un avion de chasse Curtiss, et avec deux pilotes
polonais, eux aussi à bord de ces avions venus d'Amérique,
ils s'envolent à la rencontre des allemands. Au dessus
de la campagne, entre Morogue et la Chapelle d'Angillon, Haegelen
va abattre un avion ennemi, ce sera son 23e si on compte les
22 de la guerre précédente. Les 5 autres bombardiers
s'enfuient.
Les occupants commencent aussi à
procéder à des réquisitions tous azimut.
Le 24 juin, c'est pour mettre 60 chars à l'abri que des
hangars sont exigés. Quelques jours plus tard, des hôtels
de Bourges sont réquisitionnés tout comme les cités
de l'Aéroport : il s'agit pour les Allemands de loger
500 soldats. Le terrain d'aviation devient très vite une
base de bombardiers de la Werhmarch qui s'envolent pour aller
jeter leurs bombes sur l'Angleterre.
Parfois Laudier se fâche, lorsqu'il
apprend que les cheminées de l'usine de Mazière
et de l'usine d'incinération ont été jetées
à terre à l'aide d'explosifs par des artificiers
allemands, il écrit aussitôt au Commandant militaire
une protestation :
" J'ai appris ce 4 juillet 1940, avec
une légitime surprise que la Formation Aérienne
occupant l'Aéroport de Bourges avait fait sauter la cheminée
d'incinération des ordures ménagères, sans
même m'en avoir avisé ni officiellement, ni officieusement.
Vous comprendrez, Monsieur le Commandant, que je ne puis laisser
passer un tel fait sans élever une protestation aussi
ferme que respectueuse que je vous prie de bien vouloir transmettre
au haut commandement de la région".
Les Allemands occupent l'Aéroport.
Ils s'en servent comme d'une base aérienne, avant de réutiliser
l'usine, pour fabriquer des avions : ce seront les Siebel qui
sortiront bientôt des chaînes berruyères avec
de très fortes cadences. Mais depuis 1928, le terrain
de l'Aéroport était un vaste champ, plat sans une
vraie piste. Les aviateurs allemands, pour permettre le décollage
et l'atterrissage d'avions de plus en plus gros entreprirent
de construire une piste en béton. Pour cela, ils vont
démolir la ferme de Maupertuis, ce bâtiment gênait
les aviateurs. Laudier une fois encore sera mis devant le fait
accompli et, une fois encore il protestera. "avec force
contre la démolition d'un immeuble communal sans aucun
préavis".
En général, Laudier n'a jamais de réponse
de ses interlocuteurs, une fois pourtant il en reçoit
une. C'était à la suite de la lettre qu'il avait
envoyée le 8 mars 1941, au lendemain de la destruction
de l'Aérogare de Bourges par les Allemands, cet édifice
les gênait. Le Commandant de l'aviation allemand va répondre
de manière on ne peut plus cynique :
"L'Aérogare civile de l'Aéroport de Bourges
devait être détruit sur ordre par suite de nécessités
militaires qui n'est pas annoncé à la Mairie de
Bourges. Les frais de la destruction et de déblaiement
sont à la charge de la Ville".
LA DECONFITURE
DE L'APRES-GUERRE : L'ESAM ET LA SNCAC ?
Il s'agit, après avoir remis en
marche l'ensemble des rouages qui permettent un bon fonctionnement
de l'administration, de faire redémarrer la vie économique
de Bourges. Des nuages apparaissent, chacun a bien conscience
que la reconstruction de certaines régions dévastées
est indispensable, mais l'industrie d'armement n'est pas dans
les priorités du moment. Les difficultés pour le
maintien à Bourges de l'Ecole du Matériel, et pour
redonner des charges de travail à la SNCAC apparaissent..
Le 16 mai 1946, une importante visite sur l'armement se déroule
à Bourges. Le ministre des armées, M. Michelet,
accompagné du ministre de l'armement, M. Tillon, vient
assister à des expériences sur du nouveau matériel.
Les deux hommes politiques se sont adjoints un des militaires
français les plus prestigieux : De Lattre de Tassigny.
Dans les discours, chacun affirme que Bourges restera la capitale
de l'armement, "les Etablissements militaires continueront
de fonctionner, nous chercherons évidemment à augmenter
leur activité selon les possibilités". Mais
le sort de l'Ecole du Matériel de Bourges est au centre
des préoccupations de tous. Monsieur Michelet n'est guère
rassurant, puisqu'il dit :
"Quant à l'Ecole du Matériel, la chose n'est
pas encore définitivement réglée, il est
très probable qu'elle sera transférée à
Fontainebleau".
Cela s'appelle une douche froide !
La visite se poursuit, avec des essais
sur le polygone de tir. Il s'agit d'expériences sur la
perforation des blindages, grâce à un appareil nouveau
découvert par un savant allemand et, après une
saisie par la 1ère armée française, il a
été perfectionné par les ingénieurs
français. C'est un nouvel obus à charge creuse,
explosant dans le blindage et capable de perforer une épaisseur
d'acier de 18 centimètres.
Au cours du repas, les discours vont bon
train, et les questions des journalistes concernent plus les
relations entre les deux ministres présents, le chrétien
et le communiste. Edmond Michelet, dans ses déclarations,
signalera qu'aucun conflit ne s'est élevé entre
les deux hommes, "parce que notre objectif est de donner
à notre industrie française l'occasion et les moyens
de participer d'une manière efficace à la réalisation
de l'armement français". Et le ministre des armées
termine par ces mots :
"Je bois à l'espérance
française"
Pour la ville de Bourges, c'est assez rassurant
pour l'ensemble des Etablissements Militaires, mais Charles Cochet
est inquiet quant au maintien à Bourges de l'Ecole du
Matériel.
Du côté de l'usine de fabrication
d'avions de la SNCAC, la situation n'est guère brillante.
A la sortie de la guerre, la reprise est difficile. Les bureaux
et ateliers ont été dispersés dans tout
Bourges, et 2678 personnes sont employées dans l'usine.
La réorganisation prend plusieurs voies, sur le plan national,
c'est le communiste Charles Tillon qui devient responsable du
secteur aéronautique, alors que l'usine de Bourges se
donne comme directeur, monsieur Girard, dans des circonstances
rocambolesques. Les productions reprennent, et comme il n'y a
pas d'avions à construire..... autres que les Siebel allemands,
ce sont ces derniers avions qui sortent alors des chaînes
d'assemblage, situées à la Halle au Blé.
Pour oublier la triste période, les Siebel subiront quelques
modifications et changeront de nom : on les appellera des "Martinet".
En même temps, les ingénieurs berruyers, sous la
conduite de l'ingénieur Montlaur, étudieront des
avions nouveaux comme les NC 820 et 840.
La période qui suit va être un véritable
feuilleton qui se terminera par la faillite de l'usine de la
rue Le Brix. C'est d'abord la diversification des fabrications.
A partir de 1946, alors que l'A.B.S., Atelier de Construction
de Bourges, construit des machines à coudre, à
la place des canons, et que la Pyrotechnie fabrique des "bancs
de jardin", la S.N.C.A.C. se tourne vers les accessoires
de cuisine, c'est-à-dire des casseroles, buffets métalliques
et autres écumoires.
LA SNCAC
REVIT ET MICHELIN ARRIVE....EN PERIPHERIE
Contre toute attente, la S.N.C.A.C. se
relève après avoir été "rachetée"
par la S.N.C.A.N. (Société Nationale de Construction
Aéronautique du Nord). La société entame
quelques démarches discrètes pour acquérir
certaines parcelles de terrain appartenant à la ville,
afin de construire.... c'est un signe encourageant. André
Cothenet informe son Conseil Municipal, que la S.N.C.A.N. a "commencé
à embaucher 6 invalides, c'est un commencement, et l'usine
semble assurée d'avoir des commandes de réparations
et de fabrications d'appareils Marcel Dassault".
Ce sont des marchés de réparation
qui redonnent des charges à l'établissement de
la rue Le Brix. Ce sont les NC 701 et 702, mais aussi des Goélans
de chez Caudron. Très rapidement un marché de fabrication
sera signé avec Dassault, afin de produire 120 plans centraux
de l'avion MD 315, un bi-moteur qui volera sur la base d'Avord
jusque dans les années 1980.
Ainsi, petitement mais sûrement,
l'usine de Bourges, sous la direction de Raymond Puisségur,
recommence effectivement à embaucher, avec une préférence
pour les personnes licenciées en août 1949.
Et puis, même dans le monde industriel,
il faut de la chance, celle-ci s'appelera Noratlas, un avion-cargo
conçu par la S.N.C.A.N. Au milieu de l'année 1952,
les premières pièces sortent des ateliers, le Noratlas
va voler et il en sera fabriqué 221 exemplaires pendant
toute la décennie. L'usine était sauvée
et elle allait se développer d'une manière considérable,
devenant le premier employeur industriel du département.
Toutes les idées pour relancer l'économie locale
sont étudiées, plus ou moins en profondeur. C'est
ainsi que la crise du logement incite plusieurs responsables
à envisager que la S.N.C.A.N. se mette à faire
des maisons préfabriquées. La firme, avec sagesse,
restera dans l'aéronautique, puis dans les missiles.
Le 25 mai 1950, alors que l'usine d'avions
semble définitivement sauvée de la faillite, les
Berruyers apprennent la mort de Marcel Haegelen. Il n'était
âgé que de 54 ans, et succombait à l'hôpital
du Val de Grâce d'une congestion cérébrale.
Lors de ses obsèques, puis le 9 juillet 1951 pour l'hommage
que lui rendait la population de Bourges, en donnant son nom
à la grande avenue qui rejoignait le quartier de l'Aéroport
à celui d'Auron, la carrière du grand homme sera
rappelée par les nombreux intervenants.
De rappeler sa guerre de 1914 et ses 22 victoires homologuées,
puis son action décisive chez Hanriot, pour implanter
à Bourges une école d'aviation et une usine. Enfin,
son combat pendant la dernière guerre, au cours de laquelle
il abattit un avion allemand le 14 juin 1940.
Le maire de Bourges, André Cothenet, va dévoiler
la plaque portant le nom du héros, en présence
de madame Haegelen entourée de ses trois jeunes enfants.
Une délégation de la Loge "Travail et Fraternité"
rendra un hommage particulier à celui qui était
aussi franc-maçon.
Cothenet dira d'Haegelen : "C'était un grand modeste
qui préférait pour se rendre utile, servir dans
l'ombre ..... il avait le caractère d'un chef".
Une page de Bourges était tournée.
L'EFAB
L'ETBS ET LA SNIAS AU PLUS HAUT
A la fin de la décennie 60, Bourges
compte 76 000 habitants, le taux d'accroissement est de 2,6%
par an. Les spécialistes affirment que ce taux devrait
se maintenir pendant une quinzaine d'années. Effectivement,
entre 1962 et 1968, la population s'est accrue de 16,7%, passant
de 65 184 à 76 088, alors que dans la même période,
Châteauroux, la voisine berrichonne, n'augmentait que de
5%, mais que Tours avait un taux d'expansion record de plus de
22%.
Le milieu industriel est très important
puisque trois ensembles dépassent les 3000 salariés,
ce qui est exceptionnel dans la région.
Les Etablissements militaires font travailler plus de 4000 personnes,
avec l'EFAB et l'ETBS. Ces activités sont encore viables,
car plusieurs arsenaux ont été fermés ou
restreints, comme à Limoges, Tulle ou Châtellerault.
D'autre part, l'ERGMA, qui est un vaste entrepôt et un
centre de réparation du matériel d'artillerie,
est un complément local intéressant pour cette
activité.
L'ESAM (Ecole Supérieure d'Application du Matériel),
déplacée de Fontainebleau à Bourges en 1965,
utilise près de 900 personnes et forme chaque année
500 officiers et 2000 sous-officiers.
L'autre grande entreprise du département
est la S.N.C.A.N., que l'on appelle alors Nord-Aviation. C'est un établissement qui se lance, dans
les années 1960, dans la grande aventure franco-allemande,
avec la fabrication d'un avion réalisé en coopération
avec deux firmes d'outre-Rhin : VFW et HFB. C'est une suite logique
de la grande réconciliation voulue par de Gaulle et Adenauer.
Bourges va donc tout mettre en place pour
construire cet avion, un cargo appelé Transall, ce qui
signifiait "Transporteur-Alliance". Un bâtiment
pour le montage sera construit en une année et le 25 février
1965 le premier Transall, piloté par Lanvario, avec à
ses côtés Morville, atterrit pour la première
fois à Bourges. Un an plus tard, le premier avion sorti
des chaînes berruyères effectue son premier vol.
Cette activité, outre son intérêt sur le
plan technique, aura une influence énorme sur le comportement
des employés qui apprendront, souvent avant les autres,
à coopérer avec l'Allemagne sur de grands projets
industriels.
Au total, il sera construit 56 avions complets et 169 voilures
pour la série, il faut noter que Bourges n'était
qu'une des trois chaînes existantes, les deux autres étant
en Allemagne. Le dernier Transall sera livré le 12 janvier
1973.
Cette période a aussi un aspect
très révolutionnaire, avec le développement
des missiles à Bourges. Dans les premières années
qui suivirent la fin de la seconde guerre mondiale, une équipe
réduite, emmenée par un ingénieur de génie,
Emile Stauff, va étudier pour le compte de l'Arsenal de
l'Aéronautique à Châtillon-sous-Bagneux,
ce que chacun appelait alors des "engins spéciaux".
Ces armes vont se développer et la SNCAN de Bourges récupérera
la fabrication de ces "engins" qui étaient des
fusées guidées, destinées à détruire
des chars, des avions ou des navires. C'est en 1958 que Bourges
fabrique pour la première fois un missile, baptisé
SS10. Pour ce faire, une usine est sortie de terre et ce ne fut
pas sans mal. En plein conseil municipal, les passions vont s'exacerber.
Le débat entre le maire Louis Mallet et son opposant communiste,
Robert Chaton, ne sera pas toujours très tendre. En 1957,
alors qu'il s'agit de délibérer sur cette usine
"rangée en première classe des établissements
dangereux", M. Chaton s'exprime ainsi :
"Nous ne sommes absolument pas convaincus
que l'installation de cette usine ne présente aucun danger,
c'est un établissement classé dans une catégorie
dangereuse qui sera installé, non pas à proximité
de la ville, mais pas tellement loin tout de même".
Malgré le doute de certains, le
conseil municipal accepte cette usine, M. They ayant eu quelques
dernières inquiétudes qui montrent que la communication
entre les entreprises et les autorités locales était
assez défaillante, le conseiller municipal dira ainsi
sur ce sujet :
"....On a parlé d'engins explosifs ; je crois savoir
que ce sont des engins téléguidés inertes,
qu'ils ne sont pas munis d'explosifs, encore moins d'appareils
atomiques. De toute façon, ce ne sont pas des engins nucléaires".
Dans les années 1960, l'établissement
berruyer va littéralement "éclater",
avec une activité double : des avions, Transall et Nord
262, et des missiles dont le plus célèbre s'appelle
le SS11. Ce missile, dit de "première génération",
est un antichar parmi les plus efficaces au monde, mais la gamme
des productions ne s'arrête pas là, il y a aussi
des AS 30, AS 20 et autres ENTAC.
Comme l'écrit un spécialiste
du domaine industriel dans "Zones industrielles de France",
la SNCAN devenue SNIAS, avec ses 3000 employés, "a
eu une expansion remarquable au cours de ces dix dernières
années avec le renouvellement de l'usine d'avions, aux
ateliers entièrement modernisés, et à l'implantation
d'une usine d'engins".
Et l'expansion n'est pas terminée puisque 200 hectares
de bois sont en cours d'aménagement au début des
années 70, au lieu-dit "Le Subdray", pour en
faire un centre d'essai, "avec 400 ingénieurs et
techniciens venus de la région parisienne".