Introduction : Un exemple précis et pointu
Construite en 1424, voici
la plus ancienne horloge astronomique conservée en France.
Elle possède un mécanisme complexe qui lui permet
de donner l'heure et de renseigner sur la position des astres.
Restaurée à la fin du XXème siècle,
l'horloge est aujourd'hui à nouveau en état de
marche. Son ancien mécanisme est exposé dans une
vitrine.
Dédaigneux de tous les effets pittoresques produits ailleurs
par des jeux d'automates, son concepteur s'est cantonné
dans un programme strictement scientifique, au résultat
stupéfiant : c'était le plus précis de tous
les cadrans du monde de cette époque, avec une erreur
d'une seconde en 150 ans seulement ! Mais la seule réflexion
de son concepteur n'a pas suffi : il a fallu un contexte favorable
à sa conception et le travail de nombreux techniciens
pour réaliser cette prouesse scientifique et technique.
Avant
d'aller plus loin, vous pouvez passer commande de cet ouvrage
:
Novembre
1424: lhorloge astronomique, imaginée par Jean Fusoris
et construite par André Cassart, est mise en service sur
le jubé de la cathédrale Saint-Etienne de Bourges.
Elle y fonctionnera pendant plusieurs siècles, rythmant
les évènements religieux, avant de sombrer dans
loubli.
21 juin 1992: signature dune convention de mécénat
technologique en vue de réhabiliter cette merveille dhorlogerie
médiévale.
21 juin 1994: inauguration en la cathédrale de la copie
fonctionnelle de lhorloge et de la présentation
de loriginale.
Cest lhistoire de ce mécanisme extraordinaire
dont la précision est dune seconde pour 150 ans
et dont lunique aiguille donne six des sept indications
astronomiques qui nous est contée ici. Cest aussi
laventure de sa réhabilitation.
Les deux auteurs, techniciens qualité à létablissement
de Bourges dAEROSPATIALE, furent deux des acteurs qui menèrent
à bien cette tâche exaltante, riche dHistoire,
de technique horlogère et de chaleur humaine.
I/ DESCRIPTION
A/ Fonctions
Les fonctions de l'horloge sont : donner
l'heure de deux manières, indiquer le jour dans le zodiaque,
montrer le mouvement mensuel de la lune, ainsi que ses phases,
et le mouvement annuel du soleil, ainsi que sa position dans
le ciel. Au cadran visible à mi hauteur de la façade
correspondent des rouages internes cachés. Les cloches
disposées à son sommet servent à sonner
les quarts d'heure et à entonner le " salve Regina
" avant le décompte de chaque nouvelle heure.
B/ Dimensions
- Le buffet qui sert de support est
en forme de tourelle, coiffée d'un toit en pavillon. De
plan carré, il mesure 1.75 m de côté pour
6.20 m de haut.
- La cage du mécanisme (ici vue de dos) est située
à l'intérieur dans la section centrale, et mesure
1 m de long, 0.85 m de large et 1.20 m de haut.
- Le mécanisme, en fer forgé dans des tôles
de 3 à 5 mm d'épaisseur, comporte 200 pièces
dont 67 clavettes , des chevilles et des goupilles. La roue solaire
possède 288 dents, la roue motrice 144.
- Le mécanisme astronomique comporte 3 roues principales
de 0.60 ; 0.67 ; 0.77 m de diamètre, dont les cadrans
sont en laiton.
C/ Fonctionnement
1/ Les rouages internes
Les rouages sont montés dans
une cage de fer divisée d'arrière en avant en trois
parties.
- A l'arrière est situé
un mécanisme de sonnerie des heures, relié à
la cloche.
- Au centre se trouvent :
§ 1/ le mécanisme de sonnerie des quarts, relié
à un jeu de trois clochettes, qui tintent tous les quarts
d'heure et précédent le compte des heures sur la
grosse cloche par les quatre premières notes du salve
Regina " la sol la ré ".
§ 2/Le mécanisme moteur entraîné par
le cylindre du contrepoids (on voit la corde blanche qui est
enroulée autour).
§ 3/Le mécanisme régulateur, assuré
par un échappement à foliot, aujourd'hui reconstitué
avec un indispensable mécanisme de remise à l'heure.
- A l'avant, un vide servait à la manuvre par manivelle
et à l'accès aux mécanismes.
2/ Le mécanisme astronomique
de façade
L'axe de la roue de mouvement, traversant
la partie antérieure vide, commande le mécanisme
astronomique proprement dit, placé en façade, qui
comprend trois grandes roues excentriques corres-pondant à
quatre cadrans, deux fixes et deux mobiles, parcourus par l'unique
aiguille du soleil (ici à onze heure, et le soleil est
l'étoile dorée à sa base).
Sont fixes :
- Le cadran horaire inscrit sur la tourelle, gradué en
deux fois douze heures, que l'aiguille parcourt à raison
d'un tour par jour. Situé le plus loin du centre des cadrans
à l'extérieur, il indique l'heure équinoxiale,
ie selon les vingt-quatre heures que nous connaissons.
- Le tympan de la latitude de Bourges en doré et noire
au centre, qui est formé d'une plaque opaque derrière
laquelle le soleil se cache la nuit, et d'une plaque ajourée
en 12 courbes inégales figurant les heures diurnes, plus
ou moins longues selon les saisons. En effet, à cette
époque on comptait l'heure en heure temporaire, douzième
partie du jour quelle que soit la saison.
Sont mobiles :
- Le soleil, qui glisse le long d'une fente réalisée
dans son aiguille, guidé par une lame métallique
formant un cercle excentrique fixé en saillie sur le disque
du zodiaque. On peut ainsi visualiser par son déplacement
la hauteur de l'astre par rapport à l'horizon de la ville.
- Le cadran du zodiaque, sous le tympan, que l'aiguille du soleil
parcourt en un an, donnant constamment sa place dans le zodiaque
par rapport à l'horizon de Bourges. Il est divisé
en douze sections décorées. De plus, le bord du
disque est gradué pour indiquer le jour à l'intérieur
du zodiaque (liseré blanc).
- Le cadran de la lune, dont l'aiguille du soleil fait le tour
en 29.5 jours, ie un mois synodique , est divisé en autant
de sections. Ce cadran est complété par le mécanisme
accessoire consacré à la visualisation des phases
de la lune.
II/ CONTEXTE DE LA REALISATION
A/ Un contexte politique local favorable
L'horloge naquit dans le contexte troublé de la Guerre
de Cent ans au moment où la mort du roi Charles VI avait
conduit le dauphin à se proclamer roi, le 26 octobre 1422.
La ville de Bourges devint alors, par la force des événements,
la "capitale de la France", et le roi Charles VII fut
appelé, parfois par dérision, "le petit roi
de Bourges" depuis qu'il y avait trouvé refuge en
1519.
Commandée par les chanoines de la cathédrale, l'horloge
fut construite en 1424 ; on la surnomma " l'horloge de Louis
XI " car le futur roi avait vu le jour à Bourges
l'année précédente. Elle fut abritée
dans un buffet en bois polychrome, décoré des symboles
de la royauté : les armoiries du roi et de la reine en
haut, et celles du duché en bas. Puis l'horloge fut placée
sur la galerie du jubé séparant le chur de
la nef, jusqu'en 1757, date de destruction du jubé.
B/ Un savant et des techniciens qui
conjuguent leurs talents
Il est intéressant de voir que
ces deux étapes de la fabrication de l'horloge, conception
et réalisation manuelle, furent le fait d'hommes différents
- au premier rang desquels le concepteur, l'artisan serrurier
et le décorateur - dans le cadre d'une véritable
division du travail. En effet à cette époque le
métier d'horloger proprement dit n'existait pas encore.
1/ Jean Fusoris, l'un des savants les
plus renommés de son temps, fut le concepteur et le maître
d'uvre de l'horloge. Cet homme, né vers 1360 dans
les Ardennes, possédait de nombreux diplômes, et
se spécialisa dans le métier "des Quadrans
et orloges" [sic]. C'était un véritable technicien,
qui appliquait des notions théoriques apprises à
l'université.
Comme souvent à cette époque, il exerçait
à la fois les fonctions de médecin, de mathématicien
et d'astronome. Maître ès arts, maître en
médecine, puis bachelier en théologie, il apprit
aussi de son père le métier de potier d'étain,
métier d'où provient sont nom (Fusoris = "
fils du fondeur "). Il devint chanoine de Reims en 1404,
puis en 1412 chanoine de Notre-Dame de Paris à prébende
entière, fonction qui lui conférait une relative
indépendance financière et lui laissait du temps.
Fort de sa double formation scientifique et pratique, il rédigea
des traités expliquant le maniement d'instruments astronomiques
qu'il construisait : on lui doit de nombreux (18) et remarquables
astrolabes, qu'il fabriqua pour le roi d'Aragon Jean 1er (avant
1395) et le pape (1410), et il perfectionna l'équatoire.
Il dressa aussi d'importantes tables trigonométriques.
Il travaillait et excellait dans l'art de l'horlogerie, s'entourant
par ailleurs de plusieurs associés, comme Jean de Berle,
artisan professionnel des instruments scientifiques, ou Jean
de Chalon. L'historien Emmanuel Poulle émit l'hypothèse
que Fusoris devint, avec le développement de son entreprise,
le directeur scientifique et commercial de son atelier, et s'en
remettait à ses ouvriers de l'exécution matérielle.
Ses voyages à travers l'Europe durent également
contribuer à enrichir ses connaissances. En 1414 il se
rendit en Angleterre, dans le cadre des négociations franco-anglaises
de la Guerre de Cent Ans. Il y donna une consultation astrologique
au roi au moment où celui-ci s'apprêtait à
débarquer en France, ce qui lui valu un procès
pour " accointance " avec l'ennemi ! Il fut absout
parce qu'il s'était surtout montré imprudent, emporté
qu'il avait été par son désir de vendre
à l'évêque de Norwich des instruments d'astrologie
et un manuscrit d'astronomie. Mais il fut banni de Paris en 1416
et condamné à l'exil dans sa région natale.
(cf III/ A/ sur les circonstances dans lesquelles Fusoris fut
amené à concevoir l'horloge)
2/ Les mécanismes de l'horloge furent construits sur ses
indications par le serrurier berruyer André Cassart (également
orthographié Cassard). A cette époque, les artisans
étaient payés au fur et à mesure de l'avancement
des travaux, et sans doute aussi compte tenu des rentrées
d'argent. Il toucha en tout 69 livres 1 sou et 8 deniers, en
vingt paiements, du 4 mars au 4 novembre, non comprises, naturellement,
ses fournitures, fer et charbon, qui étaient généralement
payées directement au fournisseur par le commanditaire.
André Cassart, évoqué dans les textes par
la périphrase " Andreas Cassart serruriero qui fabricat
dictum horologium " fut bientôt désigné
comme " magister horologii ". La qualification de "serrurier"
donnée à André Cassart visait alors davantage
le matériau qu'il travaillait - le fer forgé -
que le métier qu'il pratiquait. Et l'établir comme
horloger, c'était aussi lui reconnaître une clientèle.
Le menuisier Guillaume de Marcilly reçut
lui 25 écus, soit 40 l. 12 s. 6 d. en cinq paiements échelonnés
de mars à mai. Les portes du buffet furent réalisées
par Martin Maugier.
3/ Le décor peint sur le quadrant
fut réalisé par Jean Grangier, dit Jean d'Orléans,
ancien peintre du duc Jean de Berry (aussi écrit Jehan).
Il souligna l'architecture de la tourelle par des séries
d'arcatures à l'arrière et sur les côtés,
et parsema la face avant d'un décor végétal
sur lequel se détachent les écus héraldiques.
Ce fut surtout la figuration des signes du zodiaque qui manifesta
le talent de l'artiste, comparable à celui des enlumineurs
qui avaient décoré les célèbres livres
d'heures du duc Jean. Le cadran lui fut payé 24 écus.
Les corps des métiers intervenus dans la réalisation
de l'horloge furent donc la serrurerie, la menuiserie et la peinture.
Les trois principaux artisans furent parfois aidés par
un commis payé à vacation, et des maçons
vinrent asseoir la tourelle sur le jubé.
C/ La valeur du travail
Voici un tableau de synthèse
de mon cru afin de comparer leurs salaires, et de les rapporter
au coût total de l'horloge.
Valeur Somme En livres tournois,sous
et deniers* En écus*
Salaire perçupar André Cassart 69 l. 1 s. 8 d.soit
~ 31 % 42
Salairedu principal menuisier 40 l. 12 s. 6 d.soit ~ 18 % 25
Salaire perçupar Jean Grangier 39 (incertain)soit ~ 17
% 24
Reste : matériaux, outils, main d'uvre, frais divers.
Environ 75Soit ~ 34 % Environ 47
Frais totaux de construction et d'installation 223 l. 15 s. 10
d.(100 %) Environ 138
* Sachant que 1 livre = 20 sous = 240 deniers (1 sou = 12 deniers),
le taux de conversion choisi a été celui de 1 écu
pour 390 deniers, d'après l'équivalence donnée
à la seconde ligne (trouvée dans l'article d'un
historien). Cette valeur s'approche de celle de l'écu
Heaumé créé par Charles VI en 1419, qui
vaut 30 sous et équivaut à 5.59 grammes d'or fin
: dans ce cas 1 écu = 360 deniers ; on supposera que les
30 deniers supplémentaires trouvés en 1424 sont
dus à divers facteurs en interaction à cette date,
et dans des proportions inconnues (changement de roi depuis 1422,
à une époque où chaque souverain définit
" sa " monnaie ; contexte troublé ;dépenses
de guerre, inflation qui s'ensuit, etc). Les chiffres trouvés
dans divers documents sont en gras, ceux en maigre ont été
calculés d'après la conversion indiquée,
sous toutes réserves.
A titre de comparaison, Fusoris vendit
ses astrolabes entre 24 et 30 écus, à une clientèle
très huppée. Il vendit également au duc
d'Orléans deux horloges pour le prix de 240 écus,
et céda un équatoire sophistiqué à
l'évêque de Norwich pour 400 écus (mais à
cette date l'écu valait vraisemblablement moins, si l'on
s'en réfère à sa valeur définie en
1385 : 22 sous et 6 deniers, ou 4,08 grammes d'or fin).
III/ INTERET ET PORTEE
A/ L'intérêt de l'horloge
pour ses commanditaires
Cet ouvrage exceptionnel a été
rendu possible par la conjonction, dans la ville de Bourges,
d'intérêts ecclésiastiques et surtout royaux.
Le chapitre de la cathédrale se dota avec l'horloge d'une
oeuvre d'art imposante, dont l'aspect extérieur majestueux
avait une fonction décorative indubitable. En ces temps
troublés, c'était en outre tout un symbole pour
une royauté en mal de reconnaissance, dans la mesure où,
en reproduisant les mouvements célestes instaurés
par Dieu, Jean Fusoris conféra au roi Charles VII une
marque concrète de légitimité d'origine
divine.
Cet ouvrage était aussi une manière
de faire rentrer le savant dans les faveurs royales après
son procès. L'ancien chanoine lui-même ne toucha
apparemment rien sinon à quatre reprises un dédommagement
en pain, vin et fruits, ie des frais de mission, pour une présence
alléguée les 5 et 10 mai, 26 juin, 5 juillet et
18 octobre. Le reste du temps il exerçait des fonctions
ecclésiastiques de second plan dans les Ardennes puis
vint s'installer à proximité, au sud de la Loire.
La construction de l'horloge donna lieu
à une cotisation du chapitre et des plus riches de la
ville. La souscription, ouverte simultanément sur les
comptes de deux clercs, réunit plus de 265 livres, ce
qui permit à l'opération de rentrer largement dans
ses frais. Cela représenta une dépense somptuaire
considérable pour l'époque, propre à renforcer
le prestige d'une cathédrale qui s'était retrouvée
dans la nouvelle capitale du royaume. Parmi les mécènes
commanditaires, on trouve ainsi à la fois des dignitaires
du diocèse (le chantre, le doyen de la cathédrale,
des chanoines, etc.) et des gens de l'entourage du roi (Raimond
Ragier son trésorier de guerre, Mathieu Héron son
trésorier général, Nicolas Cur, frère
de Jacques, futur argentier du roi).
Au prix total de l'ouvrage s'ajoutèrent
ensuite des fais d'entretien et de manutention. Un homme - certainement
le sacristain - était chargé de remonter régulièrement
les poids et de remettre l'horloge à l'heure, ce qui (cf
infra) constituait quasiment un emploi à plein temps.
A l'intérêt artistique de l'horloge se superposèrent
donc des enjeux politiques touchant à la représentation
du pouvoir.
B/ Un intérêt scientifique
et technique
Son concepteur a combiné dans
le même objet les techniques de son époque avec
beaucoup d'ingéniosité. Six des sept indications
astronomiques sont ainsi données par une seule et même
aiguille. Jean Fusoris a en outre mis au point un mécanisme
dans lequel on reconnaît aujourd'hui un mécanisme
différentiel pour le mouvement du disque des phases lunaires,
entraîné par deux roues couplées à
la roue du zodiaque. Ce serait le premier exemple d'une telle
technique mais la question se pose de savoir si Fusoris était
conscient de sa découverte ou s'il l'a seulement élaborée
par tâtonnement, de manière pragmatique.
Rappelons la précision redoutable
de l'horloge : ses trains d'engrenage épicycloïdaux,
d'une remarquable exactitude produisent : un mouvement annuel
de 365 jours, 5 heures, 48 minutes, et 48 secondes (la valeur
moderne compte 2.5 secondes de moins !) et un mouvement mensuel
lunaire de 29 jours, 12 heures, 44 minutes et 3.2 secondes (contre
2.83 secondes en valeur moderne). Mais que cette précision
ne fasse pas illusion ; elle a beau être le résultat
de calculs exceptionnels, elle concerne uniquement le fonctionnement
du mécanisme astronomique, à condition que le système
d'entraînement moteur soit régulier. Or le moteur
à poids et le mécanisme régulateur de l'échappement
à foliot n'assuraient pas cette régularité
d'apport d'une énergie motrice constante. D'une part les
poids descendaient à une vitesse variable du fait de la
gravité, et devaient être remontés toutes
les trois ou quatre heures environ. D'autre part le foliot, dont
le fonctionnement repose sur un double principe d'inertie et
de résistance de l'air, retardait d'environ quinze minutes
par jour car il était sensible à la température
et à l'humidité de l'air. Ce décalage faisait
qu'à l'époque la pendule était remise à
l'heure quotidiennement à midi, grâce à un
rayon de soleil qui traversait un des vitraux, percé à
cet effet. Cette indication permettait simultanément à
tous ceux qui possédaient une horloge de la remonter.
C/ Une réelle utilité
?
On peut donc légitimement s'interroger sur l'utilité
de l'horloge. Perchée sur son jubé, à gauche,
à plus de sept mètres, elle gagnait peut-être
en majesté mais perdait en lisibilité. En large
partie caché derrière un muret, son cadran complexe
ne livrait alors plus tous ses renseignements. L'intérêt
était que les poids pouvaient ainsi descendre sur une
importante hauteur. A titre de comparaison, l'horloge construite
au même siècle par Henry De Vick de Württemberg
pour le Palais royal (actuellement le Palais de justice) de Paris
était actionnée par une masse de 227 kg qui descendait
une hauteur de 9,8 m. Cette gravure de Stéphane Gantrel
se trouvait dans un bréviaire de 1676.
Cependant, la fonction sonore de l'horloge
était réelle. Elle se rapprochait ainsi du bas
peuple, exclus de fait de ses subtilités scientifiques
et techniques. Elle indiquait à tous, y compris à
l'assemblée des fidèles illettrés, quelle
heure il était, même très approximativement,
et rythmait le service des chapitres. L'Eglise possédait
ainsi le monopole de la mesure du temps, ce qui constituait une
forme de pouvoir.
CONCLUSION
L'horloge astronomique de la cathédrale
de Bourges illustre donc bien des aspects de l'état des
sciences et techniques en France au début du XVème
siècle. Elle atteste tout d'abord de connaissances astronomiques
et mathématiques très poussées. C'est aussi
un objet technique sophistiqué, bien qu'au fonctionnement
imparfait, du fait de l'imprécision de son mécanisme
d'échappement, le foliot, innovation technique majeure
du Bas Moyen-Age qui reste toutefois à perfectionner.
On est également en présence de l'ouvrage d'un
savant français emblématique de son époque,
de par sa formation, son éclectisme, son nomadisme, sa
fonction de clerc et sa relation ambiguë au pouvoir royal
et à la justice. De surcroît, le recours à
des artisans différents, avec leurs tours de main et leurs
astuces de techniciens, pour la réalisation technique
de l'horloge, traduit la division du travail dans le cadre du
système des corporations.
La réunion de commanditaires qui représentaient
tant la monarchie que l'Eglise illustre enfin l'importance de
la pratique du mécénat par le pouvoir.
L'incendie de la cathédrale le
24 janvier 1986 attira l'attention sur le mauvais état
dans lequel se trouvait la vieille horloge. En 1991 une opération
de mécénat technologique sans précédent,
orchestrée par EDF, permit la restauration de l'objet.
Une copie du mécanisme ancien fidèle et en état
de marche fut réalisée entre 1992 et 1994, grâce
à l'intervention de scientifiques, de spécialistes
horlogers et de techniciens de l'Aerospatiale de Bourges.
***
Je tiens à remercier pour leur
aide :
mes sources :
- Histoire générale des Sciences, René Taton
- Article de Emmanuel Poulle, extrait de " Hommes et travail
du métal dans les villes médiévales ",
AEDEH 1988.
- Brochures éditées par EDF et Aerospatiale.