Un train sur la route du Berry ....
Un train qui circule sur le bitume, sans
rails ? On a de la peine à le croire. De nos jours, les
routes sont trop encombrées pour le tolérer. Mais
auterfoués c'té ben aut'chose !cé l'histouère
du fameux Train Renard.
Petit saut en arrière : nous sommes
au début du XXe siècle. En Berry, comme partout
en France, le chemin de fer est déjà bien rôdé
mais l'automobile est encore rare. Le plus souvent, on emprunte
les " voitures publiques " ; il y en a des dizaines
dans le Berry qui relient les bourgs entre eux. Ce sont des petites diligences
- les pataches - tirées par des chevaux. Il faut deux
heures pour parcourir une vingtaine de kilomètres, de
Bourges à Allogny par St-Eloy, par exemple. La patache n'assure pas seulement le service des
voyageurs. Elle transporte aussi le courrier. Tous les jours1.
C'est dans cet environnement encombré
de chevaux et sur des chemins maculés de crottin qu'est
apparu l'étonnant " train Renard ". Charles
Renard est un ingénieur militaire, colonel dans le génie,
ingénieux et peut-être même carrément
génial. Pour transporter les troupes, il imagine et construit
un train routier. Pas facile ! Tous ceux qui ont déjà
tiré une remorque derrière une automobile comprendront.
Le plus souvent, les roues tractées refusent obstinément
de suivre la même trajectoire que le tracteur. Pour résoudre
le problème, Renard fabrique des wagons équipés
d'un essieu moteur et d'un dispositif mécanique spécial
qui évite que le convoi coupe les virages ; et ça
marche ! à condition de ne pas rouler trop vite
L'ingénieur militaire dépose un brevet et obtient
l'autorisation de commercialiser son invention en dehors de l'armée.
En
1906, Charles Renard vend ses trains routiers dans plusieurs
départements. Le succès n'est pas fulgurant. Cinq
clients seulement, dans les Vosges, le pays d'origine, en Bretagne,
dans la Loire, le Pas-de-Calais et
le Cher. Mais oui !
C'est nouveau, cela fait un peu peur, et v'la des gens de cheu
nous, qu'des foués on dit un peu empotés, qui sont
prêts à se lancer dans cette aventure ! Audacieux,
messieurs Buteau et Debrade créent la compagnie des trains
Renard du Cher.
Les premières voitures
arrivent à Bourges le 2 mai 1907 et, le jour même,
place Planchat, percutent un tramway qui brûle comme une
botte de paille devant les passants médusés. Malgré cette entrée spectaculaire
dans le département, la compagnie des trains Renard s'installe
à Nérondes et lance, le 17 novembre, le premier
service automobile du Cher, de " Nérondes à
Blet ". Le train du matin achemine le courrier. Il part
à 5 h 30 de la gare de Nérondes ; à 6 h
50 les dépêches sont à la poste de Blet.
Le train parcourt les 15 km en 1 h ; encore un peu lent mais
quand même plus rapide que la patache.
Dans les mois qui suivent, la Compagnie
des trains Renard lance un service de messageries et se développe
vers Sancergues et La Charité puis Bourges par Villequiers
et Baugy. Mais cette expansion sera de courte durée. Plusieurs
accidents effraient les villageois. A La Charité, par
exemple, on a longtemps causé du 27 août 1907 :
une rupture de frein en descente et le train termine sa course
dans la vitrine d'un bourrelier. Cent ans plus tard, la presse
relatera, en grand nombre, des faits divers beaucoup plus graves.
Mais à l'époque, l'accident à 30 Km/h est
inquiétant. Curieux mais prudents, les clients potentiels
préfèrent regarder le train passer. Etranglée
financièrement, la Compagnie demande - déjà
! - une aide au Conseil général qui " refuse
la moindre subvention2 ". La liquidation de l'entreprise
est prononcée en 1911.
Les autres compagnies françaises
n'ont pas mieux réussi, la dernière s'est éteinte
en 1914. Quelques projets ont aussi été lancés
l'étranger et, curieusement, c'est en Australie, qu'un
train Renard - un seul - a pu être sauvé de la démolition
et repose maintenant au musée de Géralka à
120 km d'Adélaïde.
--------------
1 y compris le dimanche ! 2 Le Journal
du Cher, 21 août 1908. 3 Selon une note bien documentée
écrite par le balgycien François Morel.