A l'origine
, selon les souvenirs de Jean Yves Ribault
qu'il raconta à Patrick Martinat, tout commence ou semble
commencer dans le Cabaret Royal des Quatre Piliers à l'emplacement
actuel de l'Hôtel d'Angleterre sur cette place où
trône une fontaine magnifique.
Nous sommes en 1545 avec un dénommé
Antoine de l'Esperonnière qui devait organisateur de spectacle,
et il sera suivi par Pierre Le Messier en 1619 qui poursuivra
dans l'oeuvre théâtrale.
Plus tard, ce sera l'ancienne Comédie
de Bourges avec une première repésentation le 6
ou le 8 janvier 1726.
mais cette salle n'est pas très
confortable et face à la demande du public qui aime ce
type de spectalce, sans doute avec l'aide des échevins,
une souscription est lancée afin d'avoir une vraie salle
très confortable, d'où quelques temps plus tard,
en 1785 (60 ans plus tard, il faut le noter), un premier théâtre
quie st construit à la veille de la Révolution.
Mais comme beaucoup d'édifices,
ce lieu est classé Bien National et c'est en 1793, le
siège de la Comédie républicaine.
C'est le futur théâtre Jacques
Coeur qui va se moderniser pendant toute la première moitié
du XIX ième siècle jusqu'à l'incendie de
1856.
le théâtre est reconstruit
en 1860, et il est resté ainsi, petit théâtre
à l'italienne, avec une vraie âme.
La Comédie de Bourges :
Dans la période moderne, ce fut
sur le plan du théâtre à Bourges, la Comédie
de Bourges avec deux noms qui surnagent, celui du Pierre Potier,
président de cette association qui met en place cette
troupe de théâtre, avec son Conseil d'administration
composé de MM Verglas, Bignolas, Rabot et quelques autres
dont M Pannetier.
C'est l'époque du maire Raymond
Boisdé.
Mais la grande figure de cette époque
sera Gabriel Monnet, dit Gaby.
Gabriel Monnet
Gabriel Monnet était né le
23 février 1921 à Montmédy dans la Meuse,
il fut un comédien et un metteur en scène à
Saint Etienne, Bourges, Nice et Grenoble (?).
Gabriel Monnet passe son enfance au Cheylard
en Ardèche, et est initié au théâtre
par son père, lui-même comédien. Il intègre
lÉcole normale de Privas et entre en résistance
dans les maquis du Vercors et de lArdèche. Déjà,
il monte des spectacles, et écrit le chant des pionniers
du Vercors.
Au sortir des maquis du Vercors, il est
instructeur national d'art dramatique dans l'association Jeunesse
et Sports. Il avait fondé à Annecy l'association
d'éducation populaire Peuple et Culture, ce qui lui valut
de faire connaissance avec Michel Vinaver, dont il créa
Les Coréens, pièce d'abord condamnée par
la censure.
De 1957 à 1961, il avait rejoint
la Comédie de Saint-Etienne
Il quitte Jean Dasté et vient à
Bourges.
Il va créer à Bourges sa
compagnie, puis prendre la direction de la nouvelle Maison de
la culture, poste dont il avait démissionné en
juin 1969 par solidarité avec ses personnels contestataires.
Par son père il se familiarise avec
le théâtre, il dira :
"J'ai été mis très
jeune dans le coup du théâtre. En même temps,
j'avais un peu honte du caractère artiste de mon père.
Un reste sans doute de l'excommunication des comédiens,
je préférais la musique.... j'ai joué dans
les bals".
En 1959, à Bourges, la directrice
du Théâtre Municipal, madame Niel, démissionne
de son poste pour "des raisons impérieuses de santé".
Le conseil municipal est bien embarrassé.
Pour préparer la saison 1959-60,
un comité de trois membres est constitué, il comprend
Mrs. Rouzé, Potier et Billot. Ils doivent suppléer
à une situation imprévue. Pierre Potier est
bien connu des milieux culturels berruyers. A la fin de 1948,
c'est lui qui avait créé le CRAD, Centre Régional
d'Art Dramatique de Bourges. Pierre Potier est avocat-avoué
à Sancerre, c'est un passionné de théâtre
il jouera à Annecy "Hamlet", dans une mise en
scène de... Gabriel Monnet dont il avait fait la connaissance
dès 1952 !
Monsieur Billot, en août 1959, déclare à
ses collègues du conseil municipal de Bourges :
".... Nous avons tenu à
nous entourer de l'avis particulièrement autorisé
d'un ancien instructeur national bien connu à Bourges,
M. Gabriel Monnet, collaborateur de Jean Dasté à
la Comédie de Saint-Etienne. Plusieurs conversations avec
ce dernier, en présence de M. le Maire, nous ont amenés
à penser que si le Centre Dramatique Professionnel est
créé à Bourges en 1960, il importe pour
cette année de transition de trouver une solution provisoire
capable de satisfaire les amateurs de bon théâtre".
Gabriel Monnet est donc contacté pour la première
fois par des Berruyers, dont Pierre Potier, afin de s'occuper
du Théâtre Municipal de Bourges, mais il ne donnera
pas de suite, n'ayant sans doute pas assez d'assurance sur son
rôle et la réalité du Centre Dramatique,
dont la date de création ne cesse d'être repoussée.
C'est deux ans plus tard, qu'il accepte
de se lancer dans l'aventure de la troupe permanente de la Comédie
de Bourges.
Monnet à Bourges
Le 6 février 1961, c'est le baptême
de la Comédie de Bourges, la cérémonie se
passe à 17 heures dans les locaux à peine terminés
de la Salle des Fêtes, et Monnet est le premier directeur
de cette nouvelle Comédie.
Sont présents, le Maire Raymond Boisdé, M. Rolland,
le préfet, ainsi que Pierre Aimé Touchard, Inspecteur
des Théâtres, qui est descendu de Paris pour l'événement.
Jean Dasté est là aussi.
A l'issue du vin d'honneur, le théâtre reprend
ses droits, et "Oncle Vania" de Tchekov est joué
à Bourges avec Hélène Vannier. La séance
est jouée à guichets fermés, aussi une représentation
supplémentaire est-elle proposée le dimanche.
Le prix des places varie entre 2 et 6 nouveaux francs.
Ce baptême lance officiellement la Comédie de
Bourges qui commence à travailler en Berry et prépare
son premier spectacle qui date en effet du 5 avril 1961. La première
pièce est une oeuvre de Molière, "L'école
des femmes", lors de la première séance, elle
réunit 80 spectateurs, mais trois jours après,
la salle est pleine. Ce premier spectacle sera joué 62
fois. En une saison, la jeune troupe aura monté 5 spectacles,
et donné 262 représentations devant 60 000 spectateurs.
C'est le début d'une grande aventure qui fera de Bourges
une des capitales du théâtre français, au
même titre que Planchon à Villeurbanne ou Dasté
à Saint-Etienne. Deux années plus tard, la
comédie de Bourges, "sous l'impulsion de Gabriel
Monnet, nouveau roi de Bourges", comme l'écrit André
Camp devient Centre Dramatique National pour prendre la forme
en 1964 d'une Maison de la Culture..
En avril 1961, la Comédie de Bourges
rassemble des comédiens venus pour la plupart de Paris.
Ils venaient en Berry, car "il y avait du travail à
faire, défricher pour un public régional, c'était
passionnant". Ils avaient l'enthousiasme des précurseurs,
d'autant qu'en 1962, ils furent en congés forcés,
par manque d'argent pour une durée de 5 mois! Au début
de la saison 1965 par exemple, il y avait 9 comédiens
permanents, dont un Berruyer formé sur place. Ils étaient
rejoints par d'autres titulaires sur des contrats d'un an. Ils
seront les "comédiens dans la cité" et
vont monter des pièces de Samuel Beckett, Pirandello,
Courteline, ou Eugène Labiche.
Parmi les nombreuses pièces qui
seront proposées au public berrichon, on trouve la comédie
de Molière : "l'Ecole des femmes" et "la
critique de l'école des femmes", pour lequel un critique
écrira : "C'est un enchantement, grâce à
Monnet, l'Ecole des femmes redevient la pièce du printemps,
de la jeunesse contre l'âge des précautions, la
pièce de l'amour triomphant".
Et puis ce sera la tragédie de Pierre Halet, "La
Provocation", que Monnet met en scène avec des décors
et costumes d'Alexandre Calder, sur une musique de Jean Ferrat,
le "spectacle fut mis en scène de manière
remarquable, le spectacle est à la fois grotesque, terrible
et suave"
De 1961 à 1966, Gabriel Monnet
va proposer 14 pièces dont 7 créations, pour 546
représentations et devant 246 418 spectateurs.
Morvan Lebesque, le grand journaliste
du Canard Enchaîné, écrira :
"Je débarquais sans prévenir;
Monnet n'était pas là. J'entrais dans une maison
vide, accueilli par Caliban, le stabile de Calder. Le hall, la
salle de lecture, la salle d'expositions, le restaurant, je m'y
promenais timidement, retenant presque mon souffle. En tâtonnant,
je grimpais sur le plateau de l'admirable théâtre
et, de ses profondeurs endormies, un projecteur s'alluma, me
cernant comme un voleur ou un fantôme. Je partis ; je n'étais
pas chez moi.
Et je songeais aux habitants de Bourges qui eux, avaient le droit
d'être ici et qui recevaient peut-être cet immense
cadeau comme une chose toute naturelle. Ils ont raison, c'est
naturel".
Morvan Lebesque écrit en guise de
conclusion :
"Monnet ne voulait pas un public de
badauds ou de clients, mais de témoins, une maison de
la culture se doit de tout se permettre, sauf de rassurer. Il
s'agit de susciter des questions et d'y répondre ensemble",
Monnet écrira :
"Les bilans chiffrés ne m'obsèdent pas,
ne me renseignent pas..... Si une transformation s'opère
dans la profondeur des mentalités et des attitudes, il
est très prématuré d'en indiquer le sens.....
Je tiens pour infinitésimaux les résultats que
nous avons acquis, en proportion des intentions qui nous fondent".
En avril 1968, Gabriel Monnet écrira
à propos de ce Festival du Théâtre des Provinces
:
" ... Si le festival constitue
un moment fort de la vie culturelle à Bourges, c'est qu'il
réunit et condence des forces dont cette vie s'entretient
à longueur d'année."
Il poursuit : " au plan artistique, le programme du Festival
est le fruit des circonstances, c'est-à-dire du libre
jeu de la décentralisation... A quelques mois du Festival
d'Avignon, qui demeure notre plus haute fête, il se présente
comme une étape dans la vie courante : une fête
ouvrière".
Les comédiens permanents de la Comédie
de Bourges :
Henri Barbier Gaston Joli
Bruno Castan Henri Massadau
Charles Caunant Gabriel Monnet
Paul Chevalier Jacques Roux
Jean-Claude Giraudon Rose Thiery
Marcel Guignard François Voisin
Le succès en chiffre sera important,
de 1964 à 1968, en 5 festivals, le programme proposé
comptera :
- 36 spectacles dramatiques et 1 opéra
- 20 compagnies décentralisées et 29 391 spectateurs.
Monnet fait alors rayonner la Maison de
la Culture à l'étranger avec des conférences.
Il est à Manchester, Londres, Moscou, Léningrad,
Varsovie, Prague ou Bratislava. Il y a chez les intellectuels
français, et Monnet n'échappe pas à la règle,
une fascination pour les pays de l'Est et les régimes
"socialistes". Localement, par des systèmes
de relais, ou des accords avec les comités d'entreprises,
Monnet cherche à s'ouvrir vers un monde peu familier avec
la culture. Il publie régulièrement un almanach
sur "sa" maison !
Gabriel Monnet
quitte Bourges
Et arrive 1968 sur le plan local, et sans
commune mesure avec l'importance de l'événement
précédent, une des suites de mai 68 se traduit
assez vite par le départ du Directeur de la maison de
la Culture : Gabriel Monnet.
En fait, le conflit remonte à 1967. Lors d'une exposition
de photographies, certains milieux "bien-pensants"
se scandalisent devant certaines oeuvres. C'est par exemple,
des clichés sur la faim en Afrique ou encore la photo
d'une femme qui tenait, dans ses mains, un gros fruit : c'était
son ventre, elle était enceinte.
Devant le tollé d'une partie influente du milieu traditionnel
berruyer, Monnet doit se résoudre à instaurer une
commission de "la décence et de la moralité
des spectacles et expositions". Dans la même veine,
il doit restructurer le "conseil culturel". En fait,
comme il l'écrira plus tard, "la crise de 1968 était
dans l'oeuf". Il voyait assez clair, n'avait-il pas, en
1967, organisé un colloque sur le thème de "l'action
culturelle en question".
Lors des événements de mai-juin
68, comme dans tout le pays, c'est l'effervescence des milieux
intellectuels, c'est Barraud-Renaud qui occupent l'Odéon
à Paris. A Bourges, de manière assez naturelle,
la Maison de la Culture est en grève et Monnet soutient
les étudiants. Le théâtre a fait place à
un forum où les discussions n'en finissent pas......
Après le passage de cette "grande
peur", certains à Bourges ne pardonnent pas à
Monnet son soutien aux étudiants et aux ouvriers, et,
même si Monnet et Boisdé s'apprécient, la
rupture va s'opérer assez vite.
Alfred Depège fut un des témoins privilégiés
de cette époque, il s'en ira voir Malraux avec Boisdé,
et le ministre, toujours aussi lyrique, les fera asseoir et leur
dira : "Mes chers amis, nous sommes en train de danser
sur les violons de la Sorbonne". Il faut dire que Malraux,
lui, le "révolutionnaire", avait été
traumatisé par les événements.
C'est en sortant de chez Malraux que les deux édiles
berruyers iront demander des subventions au Directeur des théâtres,
monsieur Raison argumentera qu'il n'y a plus d'argent dans les
caisses.... Comme le dira M. Depège, "Monsieur
Boisdé se fâche, lui signalant qu'il est rapporteur
de la culture à l'Assemblée Nationale, et qu'il
n'oubliera pas les carences de ses services". Et Boisdé
laisse Depège avec le haut fonctionnaire. La suite est
facile à comprendre, monsieur Raison signifie "qu'il
faut considérer que la comédie de Bourges n'existe
plus".
Le second acte, c'est la dénonciation
par la municipalité Boisdé en juillet 1968 de tous
les contrats liant la ville à la Comédie de Bourges
et à la Maison de la Culture. C'est le début
du conflit. Bien sûr, il y avait eu dans le passé
quelques passes d'armes, comme en 1963 cette réponse faite
à Monnet suite à des prises de position dans le
cadre d'une réforme administrative, il lui avait été
signifié par le maire de "s'occuper de la culture
et pas de ça!". Cette fois, c'est plus sérieux,
et aussi plus complexe. Les relations entre Monnet et le Parti
Communiste, que certains mettent en avant, n'expliquent pas tout.
La presse nationale s'intéresse à Bourges, et dans
France-Soir, le 12 décembre 1968, le journaliste Claude
Varenne écrit sur les traditionalistes comme Boisdé
qui déclare :
"A la Maison de la Culture, ils
font de la culture maison. A leur théâtre engagé,
le peuple s'ennuie et le bourgeois en a assez de s'y faire traiter
de c.. et de salaud".
A l'Assemblée nationale, Boisdé
fait une intervention qualifiée ensuite de "malheureuse",
dans laquelle il s'en prend vivement aux directeurs des Maisons
de la Culture. Il les accuse d'être des aventuriers qui
se conduisent en dictateurs et reprend les propos de Planchon,
qui déclarait en 68 vouloir "avoir le pouvoir....
culturel".
André Malraux, le fidèle
du général, un des hommes de la grande manifestation
gaulliste du 30 mai qui remis De Gaulle en selle, se sent en
quelque sorte visé. Il est troublé par les propos
de Boisdé, et en guise de représailles, il retire
à Bourges son Centre National d'Art Dramatique pour l'installer
à Nice qui était demandeur depuis très longtemps.
Sans le Centre d'Art Dramatique, la
Maison de la Culture est décapitée. Boisdé se rend compte assez vite des conséquences
de ses paroles et sans doute aussi de ses "ultra" à
Bourges, il cherchera à intervenir auprès de Malraux,
mais rien n'y fera. Déjà des voix s'élèvent
pour reprocher au maire "d'avoir agi seul, ignorant les
adhérents et leurs représentants". Pour d'autres,
la faute incombe à M. Depège, Président
du Conseil d'Administration de la Maison de la Culture, qui n'a
pas su s'opposer au maire.
Dans une dernière tentative, Raymond
Boisdé va envoyer à André Malraux, une "supplique"
rédigée en ces termes :
"Je vous conjure de ne pas laisser
la municipalité se voir accuser d'avoir couru le risque
de perdre la gageure d'un choix singulier : le choix entre une
ville, méritante entre toutes en ce domaine, et un homme,
dont le talent s'est épanoui, après tout grâce
à elle.
L'homme, vous lui ouvrez une autre voie, la Ville, pourquoi la
voueriez-vous au silence et à l'absence ?"
En réalité, les jeux sont
faits. Nice, avec Jacques Médecin attend sa troupe théâtrale,
et Gabriel Monnet est nommé à la tête du
Centre Dramatique National de Nice le 5 janvier 1969, il quittera
Bourges avec toute son équipe à la fin de la saison.
L'après-Monnet n'apparaît
pas simple à gérer. Les adhésions pour la
saison 68-69 se ressentent du conflit, il n'y a que 6 285 adhérents
pour 9 344 lors de la saison précédente. L'almanach
ne reparaît plus et la recherche d'un nouveau directeur
s'effectue dans les plus mauvaises conditions.
C'est finalement Max Croce, détaché du
ministère de l'Education Nationale, qui est nommé
directeur, il prendra ses fonctions au printemps 69, au départ
de Monnet. Il va changer le style de la Maison de la Culture
en axant son programme plus sur le ciné-club et les expositions
que sur le théâtre, puisqu'il n'y a plus de troupe
permanente.
Après un passage remuant
au Centre dramatique national de Nice, dont la mairie était
alors dirigée par Jacques Médecin, Gabriel Monnet
avait assuré la direction du Centre dramatique national
des Alpes de 1975 à 1981.
Il meurt le 12 décembre
2010 à Montpellier
la ville de Bourges donnera en 2011 le
nom de Gabriel Monnet à la petite place située
entre le théâtre Jacques Coeur et le théâtre
du même nom.
Le théâtre après
Monnet
a suivre