En préambule
à l'article de Bernard Epailly, voici en quelques lignes
l'origine de cet article publié en mars 2008 dans l'excellent
magazine du Berry : La Bouinotte.
- Tout remonte à un E Mail signé
de M. Jean Rohmer.qui avait la forme suivante :
-
- Avant
la guerre, ma mère, née en 1924, fréquentait
une institution pour jeunes filles, appelée je crois "Institution
Tamalet".
- Cette
institution pendant à la guerre s'est retrouvée
déplacée à la campagne,à "La
Noue", je crois, près de Nérondes.
Avez-vous une idée de la manière de retrouver de
la documentation sur "Tamalet", voire de retrouver
des anciennes ?
-
- Voici un
premier élément de réponse de M Robert Lechêne
:
-
- Je vois que vous êtes
en recherche de renseignements sur l'institution Tamalet. Il
se trouve que j'en suis un ancien élève.
- Eh oui, c'était
bien une école de filles, mais qui admettait les garçons
en maternelle. Alors que j'avais 5 ans, habitant rue Chevrière,
j'y passai donc l'année scolaire 1932/33, dont je vous
joins photographie.
-
- L'institution Tamalet
était située place des Marronniers, sur la rue
de Sarrebourg, sensiblement en face du restaurant qui fait l'angle
de la place sur l'autre côté de la rue. Le bâtiment
de l'école était en contrebas par rapport au niveau
de la rue.
-
- On y accédait par
une allée en pente assez large, passant par l'espace de
récréation avec des petits massifs d'arbustes.
L'entrée des classes se faisait par un escalier sur la
gauche du bâtiment. Les filles avaient autour de leur blouse
un ruban aux couleurs de la classe, pas nous, les garçons.
Mais nous, les garçons, nous recevions comme bons points
des automobiles en papier plié. Je ne me rappelle pas
s'il y avait un enseignement religieux à Tamalet.
-
- Je me rappelle seulement
y avoir vu pour la première fois de ma vie une projection
de dessin animé coloré.
-
- L'institution
Tamalet, Photo Fernand
Lechêne
-
Roland
NARBOUX
-
- Bourges 1920-1978
De Tamalet
à la Salle en passant par Nazareth,
-
- l'éducation
des jeunes filles confiée à des demoiselles
-
- par Bernard Epailly
-
- "1961
cette
année-là nous avons eu un professeur de sexe masculin,
d'un certain âge tout de même, il ne fallait pas
rêver " raconte Catherine Deschatrette (1) ; "
et nous l'avons beaucoup chahuté !" ajoute-t-elle,
pour montrer sans doute que les jeune filles du temps de "
salut les copains " n'étaient plus celles, soumises,
des années antérieures. En 1961, en effet, une
page de l'enseignement privé se tourne à Bourges
et la vénérable Institution Tamalet, qui a formé
et éduqué des milliers de jeunes berruyères,
s'écroule. Au sens propre. Les bâtiments de la place
des Marronniers (2) sont devenus vétustes et doivent être
fermés pour des raisons de sécurité. Tamalet
s'éteint. Nazareth, reprend le flambeau pour se fondre,
15 ans plus tard, dans une autre institution privée, le
groupe scolaire Saint Jean-Baptiste de la Salle.
-
- L'histoire de Tamalet
est celle d'une époque où l'éducation des
jeunes filles, confiées à des demoiselles, était
assez différente de ce qu'elle est aujourd'hui. Cette
histoire, la voici.
-
- L'école
des demoiselles
-
- C'est en 1920 que Marie-Thérèse
Tamalet prend la direction de l'école qui portera bientôt
son nom. Mais les fondations de cette institution privée
sont beaucoup plus anciennes. Tout avait commencé en 1835,
avec une petite école élémentaire crée
par une institutrice libre, Madame Roux. En ce temps là,
l'enseignement n'était pas obligatoire et l'éducation
des filles, lorsqu'elle existait, était presque toujours
assurée par des congrégations religieuses. Cependant,
des petits cours privés payants, non confessionnels, souvent
de qualité médiocre, fleurissaient ici où
là. Ainsi est née l'école de Madame Roux.
- En 1860, la directrice
vend son affaire à Estelle Thomas, une jeune collègue,
inventive et dynamique qui change de locaux, ouvre un pensionnat,
recrute de nouvelles enseignantes et du personnel de service,
crée un cours supérieur et obtient même l'autorisation
de former des institutrices.
-
- Pendant soixante ans,
" l'Institution de Mademoiselle Thomas " et son "
pensionnat pour jeunes demoiselles ", comme on disait à
l'époque, seront à Bourges synonyme d'excellence.
Entre temps, l'enseignement primaire est devenu obligatoire jusqu'à
13 ans. La loi Ferry de 1882 précise que l'enseignement
comprend l'instruction morale et civique, la lecture, l'écriture,
des éléments de littérature, d'histoire,
de géographie, de sciences physiques et naturelles appliquées
à l'agriculture et à l'hygiène ; et "
pour les filles, les travaux à l'aiguille ".
-
- L'institution de Mademoiselle
Thomas y ajoute l'instruction religieuse ; l'école est
clairement de culture catholique, sans religieuses sécularisées
dans l'encadrement mais la différence est mince. Tous
les professeurs sont des demoiselles et plus de la moitié
d'entre elles sont logées dans les locaux scolaires, ce
qui implique une certaine forme de vie communautaire.
-
- A 79 ans, Estelle Thomas
passe la main. D'autres demoiselles lui succèdent. L'une
d'elles, Marie-Adèle Martin, élégante jeune
femme parfois, " vêtue d'un tailleur bleu aux broderies
bulgares ", donne un nouvel élan à l'établissement
(3). Elle crée à Bourges le premier cours secondaire
pour les jeunes filles et présente des élèves
au baccalauréat. L'enseignement est payant, très
féminin et même raffiné. Au-delà des
classes primaires, dans des classes qui conduisent au baccalauréat
mais aussi au brevet élémentaire, on apprend le
latin, le dessin, le piano et le violon ; on fait aussi du théâtre.
La discipline est stricte ; en classe les élèves
portent un uniforme, blouse noire et ceinture de couleur. Dans
les années trente, l'établissement dépasse
140 élèves. Concurrent de l'école Jeanne
d'Arc, tenue par des surs, et du lycée de jeunes
filles, très républicain, il jouit d'une excellente
réputation dans la classe moyenne et continue de porter
le nom de sa fondatrice pourtant décédée.
Pour tous, c'est encore " l'institution de Mademoiselle
Thomas ".
-
- Marie-Thérèse
Tamalet, Fille du cur de Marie
-
- La société
des Filles du Cur de Marie (FCM) rassemble des femmes engagées
dans la vie religieuse, sans signe distinctif et compatible avec
la vie en famille et l'exercice d'une profession. Malgré
cette discrétion et la vie hors d'une communauté,
les FCM sont d'authentiques religieuses catholiques (4). Marie-Thérèse
Tamalet était l'une d'elles. Avec deux autres demoiselles
et l'appui de l'archevêque de Bourges, elle achète
en 1920 l'Institution Thomas. Les élèves et leurs
parents ne savent pas forcément que leur école
- privée catholique mais qui marque sa différence
avec Jeanne d'Arc encadrée par des Ursulines - est, en
fait, dirigée par une religieuse. Dans la maison, elle
n'est d'ailleurs pas la seule : " vraisemblablement, plusieurs
de nos professeurs étaient consacrées ", explique
Sur Marthe Bernardin, élève de l'établissement
à partir de 1935.
-
- Pendant trente ans,
l'institution Thomas, que l'on appellera plus tard l'institution
Tamalet, restera l'un des meilleurs établissements de
Bourges pour l'éducation des jeunes filles. A partir de
1927, quelques garçons sont admis, mais seulement en maternelle.
Robert Lechêne, berruyer de 80 ans, se souvient : "
En 1933, j'avais 5 ans ; nous étions une petite dizaine
de garçons dans cette école de filles. Tamalet
était un bâtiment rectangulaire, allongé,
auquel on accédait par une allée assez large. Cette
année-là, j'ai surtout appris la discipline
". Il dit encore : " les filles avaient, croisé
sur leur tablier uniforme, un ruban de couleur indiquant leur
classe ". Ce ruban est, à lui seul, un concentré
de Tamalet : très féminin, il exprime aussi la
règle que l'on respecte et l'organisation rigoureuse de
la vie scolaire.
-
- Sur Marthe évoque
volontiers les années 35-40 : les classes en couleur (verte
pour le CP, violette pour le CM1, jaune pour le CM2, etc.), les
locaux modestes mais agréables, la salle de théâtre
" qui ne servait plus que pour la distribution des prix
", les cours de latin et d'anglais mais aussi les leçons
de piano, la blouse uniforme qui " gommait les origines
sociales des élèves ", la discipline ferme
et douce, sans lourdes punitions parce que les enfants étaient
sages
La culture catholique était, bien entendu,
très présente, au-delà même de l'instruction
religieuse. Selon Madeleine Boursin (6), l'enseignement de la
littérature ignorait des auteurs aussi classiques que
Rousseau, Voltaire ou Balzac mis à l'index par l'autorité
pontificale. Le corps enseignant était toujours constitué
de demoiselles, sauf une dame russe, épouse du médecin
du Tsar et un vieux monsieur, professeur
de gymnastique
! Les cours sont payants mais la clientèle est plus modeste
que celle de Jeanne d'Arc. C'est d'ailleurs à cette époque-là
que les premiers cours commerciaux, destinés à
former des employés, ont été ouverts.
-
- Le commencement
de la fin
-
- Qu'est devenue Tamalet
? interroge Jean Rohmer en regardant des photos de l'époque
où sa mère fréquentait l'institution. La
prospérité s'achève au début de la
deuxième guerre mondiale. L'école est d'abord réquisitionnée.
Marie-Thérèse Tamalet, s'installe provisoirement
à Nérondes puis récupère ses locaux
fortement dégradés. Mutilée sous l'occupation,
l'école retrouve ses effectifs après la guerre
mais les temps ont changé. L'esprit Tamalet est toujours
présent ; l'enseignement est donné par des femmes,
le plus souvent célibataires résidant sur place.
Mais l'orientation scolaire est bien différente. Les enseignantes
en sténodactylo et en comptabilité sont les plus
nombreuses. Les classes primaires et les cours commerciaux constituent
les trois quarts de l'effectif. D'année en année,
l'enseignement secondaire est asséché par la concurrence
des collèges et des lycées.
-
- A 68 ans,
Mademoiselle Tamalet prend sa retraite et trois ans plus tard l'établissement
est vendu, fermé sur décision des services de sécurité.
Catherine Deschatrette (1) a vécu ce naufrage. En 1959,
Tamalet est encore Tamalet : " on découvrait d'abord
un beau parc avec une pelouse et des conifères magnifiques
puis le bâtiment principal de taille imposante, ses salles
de cours côté façade, sa chapelle et ses
dortoirs sur l'arrière et ses interminables couloirs,
un vrai labyrinthe ". Les demoiselles sont toujours là
: Radan, " crainte et respectée ", Rivet "
qui apportait beaucoup de fantaisie avec ses toilettes élégantes
et ses mains couvertes de bagues ", etc. En 196O-61, Catherine
et sa classe de seconde, composée de 9 élèves
seulement, sont transférées dans " une pièce
de l'immeuble rue Eugène Buisson ". C'est la fin.
En juillet, les locaux sont fermés ; l'école est
démantelée. Les élèves des classes
primaires et secondaires continuent leur scolarité dans
d'autres établissements privés de la ville.
-
- Seule, la branche commerciale
survit. Elle est reprise, avec son équipe de professeurs,
par les Franciscaines de la rue Béthune-Charost. Elle
devient " Nazareth ", une école de filles, privée
et très confessionnelle, en contrat d'association avec
l'Etat et qui prépare une centaine d'élèves
aux différents CAP commerciaux. Maryse Bonnet (5) raconte
: " L'ambiance était familiale mais très stricte,
blouse obligatoire, maquillage interdit ". La direction
était assurée par des Franciscaines, avec éducation
religieuse incluse dans l'emploi du temps et peu d'activités
périscolaires.
-
- L'école Nazareth,
n'a duré qu'une quinzaine d'années. Depuis 1977,
les classes ont été transférées dans
le groupe scolaire Saint Jean-Baptiste de la Salle, l'établissement
privé très prospère de la Butte d'Archelet.
Quatre enseignantes issues de Nazareth continuent à professer
en communication et en gestion. Mais l'époque des demoiselles
est déjà bien loin. La qualité de l'enseignement
est toujours au rendez-vous mais l'instruction religieuse est
devenue facultative. Les blouses et les rubans ont disparu ;
les filles et les garçons étudient ensemble et
se respectent ; mais ils n'hésitent plus à se prendre
par la main à la sortie des cours.
-
- Bernard Epailly
- ---------
1 à
l'époque, Catherine Fougère.
- 2 remplacés
depuis par la Résidence des Cèdres.
- 3voir, pour
approfondir, Le pensionnat de mademoiselle Thomas à Bourges,
Cahiers d'archéologie et d'histoire du Berry, septembre
1997, une étude minutieuse réalisée par
Simone Marioton, auquel le présent article doit beaucoup.
- 4 plus d'informations
sur http://societe-fcm.cef.fr
- 5 à l'époque,
Maryse Morin.
- 6 fille de Henri
Boursin, voir La Bouinotte n°97.
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