la psychiatrie a Bourges et dans le Cher - Alain Vernet - Bourges Encyclopédie

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LA PSYCHIATRIE A BOURGES ET DANS LE CHER
Par Alain VERNET

Bourges et le Cher, une Histoire de la psychiatrie écrite par Alain Vernet, psychologue, philosophe, maitre de conférence.

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Version 2019

 

Alors que commencent pour moi les quasi pénultièmes moments d'une carrière hospitalière au bord de s'achever, il m'a semblé utile de transmettre la mémoire d'une époque disparue de la psychiatrie et de son inscription dans l'établissement : celle d'un temps qui témoignait encore de ce qu'avait été la psychiatrie du 19ème siècle, et des circonstances qui avaient déterminé la mutation complète de la discipline et des pratiques de soin au cours de la deuxième moitié du 20ème siècle.

Alain VERNET


Transmettre cette histoire, outre que cela permet de redonner un peu de chair à ce qui n'est plus désormais qu'un monde de limbes, de réhabiliter certaines figures qui permirent de ne pas désespérer dans les heures dramatiques de la seconde guerre mondiale, période qui pourrait être considérée, selon le mot de l'écrivain Georges Bernanos comme " la part obscure de nous-mêmes ", au regard de notre déontologie, quand la famine (et donc la surmortalité d'un génocide qu'on n'ose nommer comme tel) ravageait les établissements psychiatriques, dont le nôtre , telle celle du Docteur Gaston Ferdière (qui mériterait qu'un lieu de notre établissement portât son nom), ou qui s'investirent pour transformer les pratiques psychiatriques (le Docteur Jeannine Barbieux-Marsaleix, faisant vivre la sectorisation sur Bourges-Sancerre, et que nous avions surnommée Notre Dame de Sancerre, le docteur Jean-Claude Martin, qui fit entrer les artistes -et non pas l'art-thérapie, cette sclérose utilitariste d'un art instrumentalisé - à l'hôpital, avec Marie-Claude Joulia, abattant en quelque sorte " les murailles de Jéricho ", Monsieur Jean Grillon, surveillant général, qui, contre sa tradition, soutint les initiatives d'ouverture, de transformation, d'innovation, (qui n'avaient pas été asséchées par la médiocrité bien-pensante et calibrée dans une protocolisation dévitalisée recommandée par les HAS, ARS, et autres acronymes, dont le désagrément des sonorités traduit à l'évidence la brutalité agressive des injonctions), et sans qui rien de ce qui fut fait n'aurait pu être, ou qui tout simplement, traversant les espaces, y faisaient souffler quelque peu les forces de la pensée (tel le sociologue Robert Castel, époux du Docteur Castel, Médecin-Chef du service des hommes).


Transmettre cette histoire, c'est aussi comprendre comment le passé impacte et explique le présent, percevoir les processus de répétition, et que ce que nous présentons comme le parangon de la modernité technique et thérapeutique (ainsi les transmissions ciblées) n'est que le retour d'une pratique ancienne (les cahiers de rapport), seul le logos (mais il est vrai que Michel Foucault a montré combien le logos construisait l'exercice du pouvoir) étant différent, la forme et non le fond, et combien une rationalité scientifique et technique a légitimé des pratiques qui aujourd'hui nous horrifient, ce qui ne peut que nous inviter à la modestie et au questionnement de nos certitudes théoriques.


Transmettre cette histoire m'a été possible par le recueil des témoignages et des histoires de vie des soignants et patients (dans les années 1970-1980) qui évoquaient un monde ancien, toujours un peu là, mais déjà en voie de disparition. Mais j'ai eu la chance d'être mis au contact d'archives (aujourd'hui disparues, plus ou moins involontairement, à l'occasion d'un incendie survenu fortuitement peut-être, mais tellement managérialement souhaité), dont je suis aujourd'hui (pour celles dont j'avais pris des copies), dont certaines remontaient avant la construction des bâtiments du site de Bourges, c'est-à-dire au 19ème, voire même au 18ème siècle, concernant le dépôt de mendicité, sis à l'ancien couvent des minimes (aujourd'hui site du CMS Fulton), lui-même détruit par un incendie en 1928, l'unique dépositaire.


Car nos établissements existèrent avant que d'être ceux que nous connaissons. Dun-Sur-Auron, relais de poste, devint " colonie familiale ", Chézal-Benoit, abbaye bénédictine, avant d'être établissement d'enseignement, devint " colonie agricole -où une mutinerie éclata en 1910, quasi à l'ouverture, ces deux établissements dépendant du département de la Seine, puis de l'Ile de France, jusque dans les années 1985.
Le site de Bourges fut jusqu'à la construction de l'établissement un lieu essentiellement consacré à la culture de la vigne, et certaines archives font état des arrêtés d'expropriation. On est peu documenté sur ce qui existait en ce lieu. L'archéologie nous a appris que les vallées (Valvert) était habitées dès le néolithique par des petites communautés (sans doute quelques familles) probablement itinérantes. Mais la butte des Danjons (nommée en bas latin donjonum) est un tertre artificiel (comme la bitte d'Archelet), témoignant d'une possible implantation humaine ancienne, consacrée à des sépultures (ce que la toponymie Pierrelay - pierres plates, donc dolmens -pourrait indiquer), et on retrouve l'existence dans un cartulaire du XIème siècle de l'Abbaye de Saint Ambroix (recensant les redevances des tenures situées sur ce lieu de Beauregard) d'un hôpital (léproserie, ou sanitat, ou tout simplement hôtellerie pour pélerins ?).


En ce qui concerne plus directement la psychiatrie sur le site de Bourges (à l'origine asile départemental d'aliénés de Beauregard), on doit sa construction à la loi de 1838 sur les aliénés, qui imposa à chaque département la construction d'un lieu dédié aux aliénés, les admettant et les maintenant sur le mode de l'internement (donc sous un régime de contrainte), avec une gestion confiée à un personnel dédié (les médecins aliénistes - à Beauregard 2 pour 500 malades, et les gardiens, surveillants et chefs de quartier, dit personnel secondaire, organisé selon des modalités toutes militaires - [environ 30 personnes pour 500 malades], le reste des agents [environ 30] étant des personnels techniques : chef jardinier, cordonnier, cocher, ferblantier, etc, puisque l'asile devait le plus possible être autosuffisant).


C'est cette loi de 1838 qui constitue le grand renfermement, beaucoup plus que les ordonnances de Colbert sur la pauvreté, dont celles de 1657 et 1662, créant l'Hôpital Général, considérées par Michel Foucault, dans son " histoire de la folie à l'âge classique ", comme le modèle de l'ordre psychiatrique répressif. Elle reprend cependant presque terme à terme l'édifice juridique de Colbert, pensant le dispositif comme le lieu de l'harmonie, de l'équilibre, de la mesure, - en rapport somme toute avec l'esthétique de l'époque classique - en place du désordre alors causé par les mendiants, vagabonds, prostituées, délinquants, fous, vieillards, estropiés et handicapés. A Bourges l'hôpital général -aujourd'hui Taillegrain- s'installera sur les lieux du Sanitat (proche des fontaines de fer et de saint Ambroix, aux eaux considérés comme ayant des propriétés thérapeutiques). Mais l'hôpital général sera un échec économique, ce qui, s'ajoutant, à la rationalité du 18ème siècle s'attachant à préciser les différences, entrainera la distinction et la séparation des délinquants et criminels (allant en détention), des orphelins et femmes enceintes, handicapés et infirmes (restant à l'hôpital général), des fous, prostituées, vagabonds et vieillards (admis au sein du dépôt de mendicité), lequel distinguera progressivement ses populations (fous, à l'asile d'aliénés de Beauregard, vieillards à l'hospice départemental de Bellevue, et vagabonds au dépôt de mendicité).


Ce dépôt de mendicité, (géré par les religieuses de l'ordre de l'Immaculée conception - Marie immaculée - au nombre de 6, assistées de 5 hommes - économe, aumônier, médecin, pharmacien, portier - alors que l'Hôtel-Dieu était confié à l'ordre des filles de la Charité de Montoire), ravagé par un incendie en 1928, (et dont les conditions d'évacuation des patients furent dramatiquement improvisées, sans pour autant qu'il y eut un seul décès), disposait d'une ferme au lieu dit Beauregard, et c'est là (après avoir longtemps résisté aux injonctions administratives) qu'à partir de 1877, le département du Cher fit progressivement construire les bâtiments de l'asile départemental d'aliénés de Beauregard, selon un ordre rigoureux, reflétant dans une harmonie architectural et organisationnelle, l'harmonie à instituer dans les têtes des insensés, à sortir du désordre et du déséquilibre psychiques, par la rigueur du règlement (ce cadre dont on parle tant), la régularité de la vie quotidienne, l'exemplarité des attitudes des soignants, ainsi que par un soin tout particulier apporté à l'équilibre alimentaire. C'est là ce qu'Esquirol nommera le " traitement moral ", et qu'on perçoit dans les multiples notes de service et règlements très détaillés pris à cette époque. A noter que l'on tenta de faire construire l'établissement par les pensionnaires eux-mêmes du dépôt de mendicité, mais avec un évident insuccès technique, ce qui obligea malgré tout à recourir à des entreprises - ce qui augmenta les coûts, et fit qu'il n'y eut pas la parfaite symétrie requise (en effet si le pensionnat des hommes - la Pelouse - où venaient contre pension, les malades non indigents, donc non à la charge du département, dans des conditions de confort plus grand, accompagné de leur domestique, fut construit, le pensionnat des femmes ne le fut jamais). Il fallait en effet que l'hôpital fonctionnât le plus possible en autarcie, en particulier grâce à sa ferme.
Le pensionnat (la Pelouse) accueillit des blessées de la guerre 14, comme les autres sites ; mais ce conflit mondial ne changea pas les pratiques soignantes, alors que c'est pour soigner les traumatisés de guerre qu'apparaîtront les dispositifs de services libres (car les internés sont à la charge des départements qui ne veulent pas payer pour cet afflux de patients !)


C'est cette organisation du " traitement moral " que mettront en évidence les archives alors consultées, et les témoignages des patients et soignants ayant connu cette époque. C'est la rigidité de cette organisation qui fera que les restrictions alimentaires durant la seconde guerre mondiale aboutiront à une famine dramatique. Et c'est ce traumatisme de la famine qui fera évoluer la psychiatrie française dans l'après-guerre (le site de Bourges ayant été en partie réquisitionné par l'armée allemande en 1940, puis totalement et vidé de ses malades en 1944, évacués vers Esquirol à Limoges et La Charité sur Loire, alors qu'il avait auparavant accueilli les femmes évacuées de l'hôpital de La rochelle, situé en zone interdite et réquisitionné par l'armée allemande ; le site de Bourges, Beauregard, ne put rouvrir qu'en fin 1945, après qu'eurent été réparées les dégradations, et installé le chauffage central, grâce aux dommages de guerre ; le personnel secondaire avait alors été licencié), évolution perceptible à Bourges à partir des années 1975, avec la mixité, le mouvement de psychothérapie institutionnelle (faire rentrer la vie quotidienne dans l'hôpital : boutiques, activités, clubs thérapeutiques, fonctionnement plus démocratique), le mouvement du secteur psychiatrique (réinscrire le malade dans la société, dans la vie quotidienne, dans la cité et la citoyenneté).


Ceci rendit nécessaire la formation des infirmiers psychiatriques, qui de gardiens devinrent soignants (formation à laquelle les médecins aliénistes s'étaient longtemps opposés,, estimant " les ruraux illettrés plus dociles que des intellectuels vicieux ", gardiens assimilés à des domestiques (qui touchaient des gages et non un salaire, qui devaient demander une permission pour sortir de l'établissement, qui avaient le même uniforme que celui des malades, ayant simplement une casquette en plus). Ceci, combiné à l'arrivée des neuroleptiques -peut-être par les porcs de la ferme interposés, car ceux-ci reçurent beaucoup des traitements prescrits aux malades, à tel point qu'on vit rarement cochons sommeiller autant !- à l'entrée dans l'hôpital de nouvelles professions, et d'une augmentation considérable des effectifs (en 1940 2 médecins, un interne, une trentaine de soignants et une vingtaine de personnel technique, tel est l'effectif sur le site de Bourges), transforma la vie quotidienne des établissements psychiatriques, au sein desquels les soignants étaient heureux de travailler, et fiers de pouvoir faire progresser leurs patients sur des chemins de liberté et d'autonomie.


Et c'est pour nous permettre d'être vigilants contre tous les retours de ces refoulés asilaires (traitement moral, théories de la dégénérescence) sans cesse renaissants, qu'il a pu sembler utile de se pencher sur notre passé, de le remettre en lumière, et de transmettre son histoire.

 

HISTOIRE DE LA PSYCHIATRIE DANS LE CHER
(à partir d'archives aujourd'hui disparues)

Synthèse des deux conférences données dans l'établissement, ainsi qu'à l'université de Tours, l'université populaire du Berry, et la librairie berruyère " La plume du Sarthate "

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