Il n'y a jamais eu en Berry
de qualificatifs assez forts pour décrire qui était
Paoli, on dit aujourd'hui encore le "traître",
le "sinistre", le "monstre"..... Qui était
donc Paoli, et qu'a-t-il fait ?
Pierre-Marie Paoli est un Berrichon né le 31 décembre
1921 à Aubigny-sur-Nère, un village situé
à 60 kilomètres de Bourges, de parents modestes,
son père était herboriste et sa mère modiste.
A l'école d'Aubigny, il était
un "bon enfant et bon élève, un peu sournois
cependant et très renfermé", il obtiendra
son certificat d'étude primaire et le jeudi, il fréquentait
le patronage du village. Là, il aimait commander, organiser,
courir, et dans les querelles d'enfants entre les "curés"
et la "laïque", il avait toujours à coeur,
a-t-il dit à Jean Lyonnet, de "rosser les Rouges".
En octobre 1937, il est placé à la Perception d'Aubigny
comme commis. Avec l'aide du percepteur, il se présenta
à un concours administratif et fut reçu, ce qui
l'autorisa, le 1er mai 1938, à entrer comme "commis
auxiliaire du Trésor" à la perception de Mehun-sur-Yèvre,
il avait 17 ans et quittait sa famille pour la première
fois.
Lorsque la guerre arrive en septembre 1939,
il décide de changer de vie, retourne à Aubigny
puis monte à Paris, et trouve de petits travaux. Il assure
ainsi pendant quelques jours la fonction de "messager cycliste"
pour le compte de l'Amirauté Allemande. Mais la vie parisienne
n'est pas facile et Paoli revient en Berry en janvier 1942 où
il reprend sa place à la Perception.
C'est le 31 mars 1943 qu'il entre comme interprète aux
services de la Gestapo de Bourges, sur l'intervention d'un ami,
le capitaine allemand Bruniel.
C'est le début d'une collaboration franche et totale.
Les Allemands lui offrent une chambre dans le local de la Gestapo,
et très vite, il est appelé à prendre ses
repas avec les officiers. Il s'occupe, comme adjoint du responsable
Winterling, de la section 4A qui devait lutter contre les communistes.
Mais en peu de temps, il acquiert la confiance des Allemands
qui lui font faire des missions de plus en plus importantes.
Il bénéficie d'une liberté d'action totale
et d'une grande autonomie.
Il dira à ses juges en 1945 :
"J'étais
persuadé de ne pas trahir mon pays, mais au contraire
de le servir, je me jetais corps et âme dans mes nouvelles
fonctions...... Je ne pensais pas trahir mon pays, mais l'aider
à se débarrasser des maquisards.....De plus, les
pillages auxquels les maquisards se livraient, les vols qu'ils
commettaient et que je voyais de très près, soulevaient
mon indignation, froissaient mes principes d'ordre et du respect
de l'autorité que j'ai toujours eu".
Marc Tolédano, dans son Franciscain
de Bourges, évoque sa rencontre avec Paoli, c'était
au siège de la Gestapo. A sa vue, le sinistre Schultz
déclare :
"Ah, voila Paoli,
un compatriote à toi, c'est un spécialiste de l'arrachage
des ongles" et
s'adressant en fait à Paoli, il lui demande de "s'exercer sur le jeune garçon
qui ne veut pas parler". Paoli dévisagea Tolédano, et murmura
en allemand :"Non,
je n'ai pas le temps, il faut que je passe à la prison
pour voir un Juif, que la police de Vierzon nous a envoyé".
Il écrira que Paoli avait mis au
point les supplices les plus raffinés; outre l'arrachage
des ongles, c'était le découpage de la peau en
lanières, l'électrocution contrôlée
ou encore la pendaison par les pieds.
On estime à plus de 300 le nombre de personnes arrêtées
par Paoli en une année de "travail" au profit
des Allemands. La plupart des gens qui passaient entre ses mains
n'en ressortaient pas, c'était la mort ou le départ
pour un camp de concentration.
Marcel Cherrier faisait partie des hommes à abattre, il
représentait ce qu'il fallait détruire et Paoli
s'efforcera d'aider les Allemands à l'arrêter. A
ce propos , Marcel Cherrier confiera quelques années plus
tard :
"Paoli était
connu de nous tous les Résistants, pour sa cruauté,
son cynisme, ce traître qui, chaque jour venait arrêter
des patriotes, il les torturait, et les envoyait à la
mort, soit dans les camps de concentration, soit devant les pelotons
d'exécution.
Il a commis des crimes innombrables dans le département".
Il ajoutait, ayant eu l'occasion, avec
le Juge Lyonnet, de l'interroger plusieurs fois sur ses crimes
afin de lui demander un certain nombre de précisions :
" Je crois que
c'était un lâche, car il se serait mis à
table si il avait été sûr de bénéficier
de la mansuétude des pouvoirs publics. De toute façon,
il avait accompli tellement de crimes qu'il n'était pas
question de faire preuve de mansuétude."
LE PROCES PAOLI
Parmi les grands procès de l'après-guerre,
celui que les Berruyers attendent, c'est celui de Paoli.
Il va s'ouvrir le 2 mai 1946, au Palais
de Justice de Bourges. Il est 14
heures lorsque la première audience commence, la salle
est comble lorsque le Président Gestat entre, accompagné
de Gibert, Commissaire du Gouvernement. L'accusé est introduit
dans la salle, entouré de 8 gendarmes, à son arrivée
"un murmure houleux qui provoque des remous dans la salle,
puis s'étouffe vite". Paoli entre, il est pâle,
et promène un regard assuré sur la foule. Il sait
ce qu'il a fait, il sait ce qui l'attend.
Durant l'acte d'accusation, il n'y a ni trouble, ni émotion
chez l'accusé. Il reconnaît tous les chefs d'accusation,
ses arrestations pour le compte des Allemands dans tout le Cher
et ceux de son village natal d'Aubigny, les tortures infligées
aux patriotes, son rôle à Saint-Amand dans la rafle
des Juifs, il ne récuse rien, sinon les meurtres commis
de manière crapuleuse. Il ne veut pas qu'on le prenne
pour un voyou.
Se succèdent à la barre les
rescapés de Paoli, et parmi les témoignages attendus,
celui du sénateur Marcel Plaisant. Cet avocat remarquable
"dépose dans une forme oratoire châtiée".
Il raconte son arrestation à Paris et son transfert à
Orléans, puis Bourges où il se retrouve devant
Paoli. Il relate avec beaucoup de détails, les questions
insidieuses de ce traître berrichon. Il remarque la vulgarité
du ton et du langage, mais c'est lorsqu'il explique les tortures
qu'il reçut que le public retint son souffle. Il va longuement
expliquer ce qu'était le supplice du courant électrique,
qu'il reçut à la tête ou dans la poitrine.
Puis ce sont les coups, ceux portés avec une corde tressée
ou avec une chaise. Il subit pendant trois heures les "pires
brutalités", avant d'être réintégré
au Bordiot, "plus mort que vif".
D'autres témoins viennent et revivent
leur souffrance, c'est le docteur Cliquet de Vierzon qui évoque
le supplice du découpage de la peau des pieds avec une
lame de rasoir.....c'est monsieur et madame Lerale qui "viennent
retracer les pillages et tortures que leur infligea Paoli".
Les supplices apparaissent si odieux
et si incroyables que l'on serait tenté de penser que
Paoli va nier, qu'il va chercher à contester certains
témoignages, car il n'y avait pas ou peu d'observateurs
lors de ces séances. Mais Paoli n'ajoutera rien aux récits,
il acquiesçait. Ainsi sur les 23 arrestations effectuées
par Paoli à Aubigny, seules 4 personnes sont revenues
de déportation.
La salle est indignée lorsqu'il
admet avoir répondu à un homme qui lui reprochait
de se tenir aussi mal, et auquel il répondit : "Je
ne suis pas Français, mais Allemand".
Le dernier témoin sera le survivant
des Puits de Guerry, Charles Kramëisen, et le traître
niera avoir précipité vivant les malheureux Juifs....
alors que des cris parviennent de la salle : "salaud".
Mais ces manifestations de la salle seront rares, les discussion
resteront toujours d'une haute tenue, chacun reconnaît
le rôle exemplaire des avocats de l'accusé, qui
restent calmes et qui, à aucun moment, ne cherchent à
troubler les débats. Il est rare que Paoli intervienne,
à la suite d'un des récits de ses "criminels
exploits", il répond invariablement "c'est exact".
La cour se retire pour revenir à
minuit quarante cinq, il sera répondu "oui"
à toutes les questions, sans circonstances atténuantes,
le verdict est énoncé sans surprise : c'est la
peine capitale.
Le samedi 15 juin 1946 Paoli sera passé
par les armes au point 1000 du polygone.
Devant le peloton d'exécution, il fume une dernière
cigarette, refuse qu'on l'attache ou qu'on lui bande les yeux,
une salve troue le silence, Paoli tombe la tête en avant,
c'est fini. Le dernier acte est joué.
Cette mort sonne véritablement d'une
manière symbolique la fin de ces années de larmes
et de sang. Désormais, une page se tourne, la vie va reprendre,
avec ses petites histoires, sa politique politicienne, ses joies
et cette recherche du bonheur.
en savoir plus :
Le Franciscain de Bourges de Marc Tolédano
L'affaire Paoli de Jean Lyonnet