Compte tenu de l'importance de l'article,
, chacun peut aller sur un des paragraphes suivants en cliquant
dessus.
- Bourges
à l'heure du débarquement
La tragédie
des puits de Guerry
Bourges libérée
Charles Cochet,
acclamé maire de Bourges
La colonne
Elster
L'épuration
-
- Les Résistants
: Pierre Jacquet, Georges Cazin, Hubert de Lagarde, Louis Delamarre
et Edme Boiché
1944, les Alliés ont pris pied
en Italie et leur avance s'effectue avec de très lourdes
pertes, en particulier à Monte Cassino en Italie. A l'autre
bout de monde, le général Mac-Arthur, face aux
Japonais, relève la tête et progresse d'île
en île à travers le Pacifique.
En France, le général de Gaulle rassemble les Résistants
sous le nom de F.F.I., Forces Françaises de l'Intérieur.
Une commission d'action, le COMAC, est constituée. Dans
cet organisme, qui se veut fédérateur, sont représentés
l'Armée Secrète formée de gaullistes, les
Francs-Tireurs et Partisans en majorité communistes, et
l'Organisation de Résistance de l'Armée avec Giraud.
Les Résistants paient très
lourdement leur tribu à la lutte contre les nazis. C'est
l'arrestation, puis la mort de Jean Moulin, le suicide de Pierre
Brossolette, se jetant du 5ème étage d'un immeuble
de la Gestapo, l'exécution par la Milice de Jean Zay,
l'ancien ministre de l'Education Nationale du Front Populaire.
Ces trois hommes étaient francs-maçons.
BOURGES
A L'HEURE DU DEBARQUEMENT
Les bombardements se sont intensifiés
sur Bourges depuis le début de l'année. Le lundi
de Pâques, c'était un 10 avril, vers 9 heures 30,
une formation de bombardiers anglo-américains abordait
Bourges par l'Est, et les témoins, qui virent la vague
arriver, comprirent : l'aéroport était visé.
Les bombes s'étalaient, rue Charlet, rue de Séraucourt
ou rue Albert Hervet, ce qui fit écrire à Jongleux
: "les bombes incendiaires tombaient, soit avec intention,
soit par un défaut d'arrimage des engins, à moins
que ce ne soit une erreur de calcul des distances".
Il y aura de nombreuses victimes.
Les bombardements sur Bourges, dans les quelques jours qui vont
précéder le débarquement, se font sentir
de plus en plus fréquemment. C'est ainsi que le 4 juin,
un nouveau raid est effectué faisant 17 morts et une dizaine
de blessés graves.
Le 6 juin 1944, c'est le débarquement,
on n'en sait pas grand chose à Bourges, mais c'est assez
vite que l'information circule. Une dépêche de Vichy
signale que "les Allemands pourront être amenés
à prendre des dispositions spéciales dans la zone
de combat" et le 8 juin, à 16 h 30, le gouvernement
demande aux Français : "vous ne devez en aucun cas
vous laisser entraîner à intervenir de quelque façon
que ce soit".
Ainsi, pendant tout le mois de juin 1944, c'est un mélange
d'espoir et de crainte. Les Alliés ont pris fermement
pied sur le sol français, et le général
de Gaulle est en Normandie le 28 juin. Il y a le "jusqu'au
boutisme" des hommes de Pétain et Laval, d'autant
que le 28, Philippe Henriot le ministre de la propagande, est
assassiné, les collaborateurs notoires n'ont plus rien
à perdre.
Les bombes continuent à tomber sur Bourges. Le 26 juin,
l'alerte dure trois heures et demi. Le 27, nouveau bombardement,
les Alliés veulent totalement détruire l'ensemble
des installations de constructions d'avions, et cet objectif
sera atteint.
Dans les moments les plus tragiques, l'administration
reste en place, et parfois de manière surréaliste.
Ainsi, à la suite des bombardements par les Anglo-américains,
les Allemands demandent de la main-d'oeuvre pour déblayer
l'aéroport. Il faut que la ville fournisse 400 personnes
par jour. Mais, les 2 et 3 juillet il n'y eut que 22 travailleurs
le premier jour et 18 le second à se présenter.
La ville se vit infliger une amende de plus de 100 000 francs
qu'il fut impossible de faire baisser.
La ville pouvait aussi répartir les pénalités
sur l'ensemble des défaillants à raison de 300
francs par personne. Mais la Feldkommandantur autorisait la ville
à payer si les requis avaient une excuse pour ne pas s'être
présenté au travail de déblaiement.
Une commission, avec Mrs Lamy, Lice, Chedin et quelques autres
conseillers municipaux, examina les réclamations écrites
présentées pour ceux qui le mériteraient.
C'est ainsi que 284 requis verront leur amende payée par
la Ville dans la rubrique "budget supplémentaire
de la Commune". Le Conseil adoptera le règlement
financier de cette affaire.
Pour Edmond Jongleux, le moral des Berruyers
est bon malgré l'intensification des bombardements par
les Anglo-américains et la propagande de Vichy pour que
les jeunes s'enrôlent dans la L.V.F. En effet, du 7 au
12 août, la Caisse d'Epargne de Bourges a reçu en
dépôt de la part de l'ensemble des Berruyers la
somme de 1,3 millions de francs, et ne leur a remboursé
qu'une somme de 285 000 francs, preuve indéniable de confiance.
La population de Bourges sent que le vent
tourne, malgré les informations des Allemands sur les
dégâts causés par les nouvelles armes V1
et V2. Il y a des signes qui ne trompent pas.
Ainsi, la Kommandantur invite les propriétaires de véhicules
à se présenter à Bourges, place Séraucourt.
Pour beaucoup, cela signifie qu'il "faut absolument des
moyens de transport.... pour partir". Et puis des explosions
se font entendre de manière régulière. C'est
le 18 août à l'Aéroport et au Polygone, et
on chuchote que les derniers Occupants allemands pourraient bien
mettre à exécution leur projet de faire sauter
la Poste, la Caserne Condé, les carrières de Saint-Amand
et surtout la fulminaterie, laquelle contenait 20 tonnes d'explosifs
de type "fulminates". Dans ce dernier cas, les dégâts
seraient énormes.
Le 19 août, dans la journée, les Allemands mettent
le feu aux casemates du point 1000, alors que vers 21 h 30, des
bombes incendiaires détruisent le magasin des réserves
du terrain sud de l'ABS. Pendant plusieurs heures, le ciel est
en feu alors que se déclare un violent orage comme le
Berry en connaît parfois au mois d'août.
Le lendemain, c'est un dimanche, les Allemands poursuivent leur
oeuvre de destruction, ils incendient plusieurs locaux de l'Ecole
Nationale Professionnelle de Jeunes Filles, qu'ils occupaient
depuis 4 ans, et font les mêmes tentatives pour l'asile
de Beauregard et le patronage laïque de Vauvert.
Devant ces multiples tentatives de destructions,
et compte tenu de la présence massive des forces des F.F.I.
aux portes de Bourges, une délégation comprenant
messieurs Lamy, qui faisait office de premier magistrat de la
cité, Verglas, Secrétaire Général
de l'Hôtel de Ville et Roger, Président de la Croix
Rouge, se rendit à la Kommandantur en vue d'obtenir la
réddition des troupes allemandes stationnées à
Bourges, sous couvert de la Croix Rouge.
Ces propositions furent rejetées.
Par contre, les Allemands indiquèrent qu'ils évacueraient
la ville en cas d'attaque Anglo-américaine, mais s'il
s'agissait de F.F.I., ils combattraient. Ces renseignements furent
communiqués par un membre de la délégation
au colonel Bertrand.
La situation de Bourges était donc dramatique, beaucoup
craignaient les explosifs dissimulés par les Allemands,
en particulier ceux de la fulminaterie, capables à eux-seuls
de détruire une partie de la ville et de la cathédrale.
C'est à un chef d'atelier de la
Pyrotechnie, Alphonse Durand, que l'on doit la neutralisation
des dispositifs de mise à feu de la fulminaterie. Alphonse
Durand raconte son épopée en termes simples : "Sous
une pluie battante, nous sommes entrés dans la pyrotechnie.....
je partis seul reconnaître le genre de destruction préparés
par les Allemands. Il nous fallut plus de deux heures pour le
rendre inoffensif". Les artificiers d'alors qui accompagnaient
A Durand, MM Blanchard et Bouillet, sans oublier M. Gaudry, ont
pris d'énormes risques. Ainsi, le lendemain, ils participèrent
au déminage des carrières de Dun en neutralisant
pas moins de 92 dispositifs de destruction. Plus tard, ils opérèrent
à la Kommandantur, dans laquelle, les Allemands avaient
laissé un sac piégé de 30 kilogrammes d'explosifs.
Les derniers jours du mois d'août,
les Berruyers virent passer les troupes allemandes en déroute
: c'était la débâcle. Le 28, ce sont 60 chevaux
et 40 voitures qui stationnent dans le jardin ombragé
de l'Hôtel de Ville, prêts à fuir.
Le mois s'achève sur un manifeste et un appel aux armes.
Il s'agit d'une affichette signée de la Confédération
Générale du Travail placée rue des Arènes,
qui lance un mot d'ordre de grève générale
insurrectionnelle, "pas un seul Boche ne doit nous échapper
: tous morts ou prisonniers, pour le combat pour la Liberté,
tous ensemble en avant".
Après les voitures, ce sont les
vélos qui sont réquisitionnés, ce qui prouve
l'état de dénuement des troupes allemandes. La
défaite est inscrite dans ces derniers actes, et chacun
se demande si des tragédies comme Oradour ne peuvent pas
se reproduire dans un quelconque village du département.
Il n'y aura pas d'Oradour, mais un drame
parmi les plus abjects de cette guerre. L'Histoire retiendra
pour le Cher, "la tragédie des puits de Guerry"
dans laquelle nous retrouverons le sinistre Paoli, cette page
est la honte du Berry.
Bourges sous la botte allemande
par Edmond Jongleux (non publié)
Nouvelle République du 6 septembre 1994
Témoignages d'Alphonse Durand
LA
TRAGEDIE DES PUITS DE GUERRY
Tout commence en fait, le 6 juin 1944.
La ville de Saint-Amand se libère de l'emprise allemande,
c'est peut-être un quiproquo, ou une volonté d'aller
plus vite, de forcer les événements, et de penser,
comme beaucoup, qu'à l'annonce du débarquement,
une insurrection générale devait se produire en
France. Le résultat est mitigé, si les maquisards
s'emparent de la ville avec quelques coups de feu, contre les
Allemands et la Milice locale, quatre jours plus tard, les Allemands
reviennent en force et réoccupent la ville que les maquisards,
trop peu et faiblement armés, ont précipitamment
évacuée.
Cette ville avait accueilli de nombreux réfugiés
alsaciens-lorrains qui vivaient paisiblement. Mais le chef milicien
Lécussan réussit à persuader les autorités
allemandes que "les israélites alsaciens-lorrains
étaient à l'origine du mouvement du 6 juin 44 ."
Aussitôt, la lourde machine répressive se mit en
route, et le 21 juillet, sous le commandement de Hassé,
chef de la Gestapo de Bourges, dans la voiture duquel avait prit
place Paoli, des Allemands et Miliciens firent une rafle des
Juifs de Saint-Amand. Paoli participa à cette action,
puisqu'il reçut le commandement de 7 hommes avec la liste
des familles qu'il devait arrêter. Il n'y avait pas, comme
à Paris, un vélodrome d'hiver, alors les Juifs
étaient amenés dans la salle du cinéma "Rex".
Comme l'écrit Jean Lyonnet dans son ouvrage, "Paoli
jouait non seulement un rôle actif, mais un rôle
de chef".
La rafle dura toute la nuit et, à 4 heures du matin 71
personnes étaient enfermées, alors que les miliciens
procédaient au pillage systématique de leur maison.
Des camions emmenèrent les otages à la prison de
Bourges, Hassé et Paoli avaient l'air ravi, la mission
avait été un succès. Seulement, l'état
de désorganisation des Allemands était tel qu'il
n'était plus possible de conduire ces Juifs à Drancy,
ni question de les envoyer en Allemagne comme à l'habitude.
Alors, il fut décidé de les "liquider"
sur place. Il y avait une volonté de tuer chez Paoli et
ses "amis" allemands.
Hassé réunit ses officiers de la Gestapo, ainsi
que Paoli, et leur donna l'ordre de transporter les hommes dans
"un endroit isolé du Polygone, d'y rechercher une
carrière, de les précipiter et de recouvrir leur
cadavre".
Le 24 juillet, il est 16 heures, les 26 Juifs sont appelés,
placés dans un camion qui pouvait à peine contenir
une quinzaine de personnes. Paoli était en uniforme allemand,
il avait ordonné aux malheureux Juifs de prendre leurs
bagages pour ne pas les effrayer, puis il s'installa dans la
Citroën de la Gestapo avec quatre officiers. Ils se rendirent,
en voiture et camion, à Savigny-en-Septaine, à
une douzaine de kilomètres de Bourges.
Un homme racontera l'ensemble de cette tragédie, il
s'agit de Kramëisen, qui va réussir à s'échapper
miraculeusement. Les Juifs, voyant qu'ils étaient en plein
bois, avaient compris, l'un d'eux, refusera de périr ainsi,
il dira à ses camarades de malheur : "j'aime mieux être tué
de dos que de face, je chercherai à me sauver" .
Et il réussira à s'échapper.
Ses autres compagnons n'auront pas sa désespérante
détermination ni sa chance. Le récit de ces atrocités
a été fait par Paoli qui a décrit devant
ses juges sa version des faits. Par groupe de 6, les Juifs étaient
conduits au bord d'un puits, auparavant, ils avaient dû
prendre un sac de ciment de 50 kilos et, devant la margelle du
puits, chaque Juif était abattu d'une balle dans la nuque
puis projeté au fond du puits, ensuite, les pierres étaient
envoyées au fond, recouvrant les victimes.
En vérité, cette version de Paoli n'est pas totalement
exacte, la réalité des faits est sans doute plus
atroce encore. Les Juifs ne furent pas jetés dans le puits
après avoir reçu une balle dans la tête mais,
à deux ou trois exceptions près, les malheureux
étaient précipités vivants dans le puits
et les blocs de ciments étaient jetés sur eux.
Ils sont morts par asphyxie.
Il faudra toute la persuasion de Charles Kramëisen, à
la Libération, pour faire entendre sa voix sur le drame.
Pour les autorités, les Juifs de la rafle de Saint-Amand
avaient disparus, ils devaient être en Allemagne, dans
un camp, et les hommes de la Gestapo avaient fui ! Ce n'est qu'après
bien des démarches que Kramëisen, pris pour un mythomane,
réussit à emmener des membres d'une commission
d'enquête vers la ferme de Guerry.
On découvrit alors les corps des 26 victimes le 20 octobre,
et, en poussant davantage les recherches, les corps de 8 femmes
assassinées dans les mêmes conditions le 8 août
1944 furent retrouvés dans un puits éloigné
des précédents.
L'Affaire Paoli par Jean Lyonnet
1944... et le Cher fut libéré par Alain Rafesthain
BOURGES
LIBEREE
Après le débarquement et
les durs combats qui vont se dérouler dans les villes
martyres comme Caen, Cherbourg ou Falaise, le symbole pour la
France se situe le 25 août avec la Libération de
Paris.
Les troupes alliées progressent de tous côtés,
et bientôt, les grandes villes cherchent aussi à
"bouter" les nazis hors de leur cité. Bourges
n'échappe pas à la règle, mais ce n'est
pas une ville stratégique, et l'avance des Anglo-américains
ne revêt pas une urgence particulière.
L'ensemble des mouvements de Résistance
dans le Cher cherche à libérer la capitale du Berry.
Des FTPF de Marcel Cherrier au 1er R.I. de Bertrand, en passant
par le colonel Colomb, de son nom Arnaud de Vogüe, tous
veulent participer aux derniers combats.
C'est à cette époque que se constitue le C.D.L.,
Comité Départemental de Libération, qui
doit prendre la place de tous les rouages administratifs contrôlés
par Vichy. C'est une forme "d'Union sacrée"
puisque ce Comité, placé sous la présidence
de l'avocat et ex-parlementaire Marcel Plaisant, s'est doté
comme vice-président du communiste Marcel Cherrier. A
leurs côtés, des hommes aussi différents
que l'artisan Georges Rossignol, le Chanoine Le Guenne ou encore
Marcel Soubret le franc-maçon.
Pierre Jacquet, qui était à
l'Etat Major des F.F.I. et appartiendra au C.D.L., raconte ces
événements :
"Les contacts ont été
pris entre Cher-Nord, Cher-Sud, FTP, F.F.I., Premier Régiment
d'Infanterie, l'union s'est faite tout naturellement avec, pour
objectif principal, la libération de Bourges.
Cette Libération n'a pas été le fait d'une
attaque brutale de la Résistance contre l'occupant allemand,
la Résistance n'avait pas les moyens, mais la Résistance
a rendu impossible la vie des Allemands à Bourges. Couper
les voix de communication sans arrêt, couper le téléphone,
les voix ferrées, si bien que les Allemands étaient
prisonniers dans la ville.
Ils ont fui du 15 août à la fin août où
il ne restait plus que quelques éléments."
L'union véritable s'est faite au sein d'un Etat-Major
F.F.I. sous l'autorité du colonel de Vogüe.
Pierre Jacquet poursuit son récit
:
"Le 6 au matin,
le colonel de Vogüe avait reçu, à la ferme
de Beaumont vers Menetou-Salon, des renseignements précis
de la gendarmerie, par le commandant Vacher, concernant la présence
des Allemands dans Bourges, il avait aussi envoyé des
patrouilles qui étaient revenues, en confirmant qu'il
n'y avait plus d'Allemands en nombre important, seuls restaient
des groupes isolés, et désabusés.
Il a décidé d'entrer dans Bourges, il y est entré
à midi, accompagné du commandant Magnon et d'une
section du maquis de Menetou transportée en camionnettes
et en véhicules de toutes sortes.
Il avait été précédé une demi-heure
auparavant par deux "Jeeps" du 4ème bataillon
de parachutistes SAS, qui étaient arrivées à
la préfecture.
Deux heures après, le reste du maquis de Menetou entrait
en même temps que le 1er RI du colonel Bertrand, et les
FTP du colonel Hubert ; ça a été une occupation
tranquille, par les 4 points cardinaux de la ville, puisque Cher-Est
était aussi présent.
La Libération, ça a été surtout une
explosion de joie, avec la foule sautant au cou des parachutistes
et des maquisards, avec des bals qui ont duré une partie
de la nuit."
Pour les Berruyers, la nouvelle fut instantanément
propagée, elle fit apparaître aux façades
des immeubles une multitude de drapeaux et oriflammes aux couleurs
françaises et alliées, les rues s'emplirent d'une
foule compacte, manifestant bruyamment, c'était "l'immense
joie de la délivrance", les cloches lancées
à toutes volées ajoutaient encore à la liesse
générale et à l'émotion profonde
du moment.
L'Etat-major des F.F.I. du Cher allèrent
s'installer à la préfecture dans l'après-midi,
alors que vers 17 h 30, "le citoyen Lamy recevait les membres
de l'Etat-major des F.F.I. conduits par le commandant Colomb,
accompagné du colonel Bertrand, commandant le 1er Régiment
d'Infanterie".
Georges Lamy était entouré de plusieurs adjoints
ou conseillers municipaux dont Mrs Lice, Mary, Caumont et Richet,
il s'exprima en un court et solennel propos :
"La ville de
Bourges vous salue.
En son nom et au nom de la population qui vient, groupée
autour de vos drapeaux, de vous témoigner son enthousiasme,
je vous dis, du fond du coeur : merci.
Merci pour ces instants grandioses que vous nous permettez de
vivre. Dans la vie des hommes, des heures comme celles-là
sont inoubliables. Leur souvenir restera gravé dans nos
coeurs.
Merci, pour l'immense soulagement que vous nous apportez. Bourges
sous la botte respire enfin, grâce à vous.
Merci enfin, pour l'exemple que vous nous donnez : exemple de
courage, d'abnégation, de foi dans la grandeur et la pérennité
de notre beau pays meurtri.
Vive la France ! Vive la liberté ! Vive la République
!"
Colomb prit la parole pour remercier
la municipalité de l'accueil reçu, il ajoutait
qu'il espérait beaucoup de cette première entrevue.... et il fit observer une minute de silence en souvenir
des nombreux absents qui donnèrent leur vie pour la cause
commune.
Et tous se dirigèrent vers la Salle des Commissions pour
un vin d'honneur ! Curieux pays.
Emission Recto Verso sur la
libération de Bourges par Pierre Jacquet (1984)
Bulletin Municipal Officiel de Bourges Sept-Oct 1944
Bourges sous la botte allemande par Edmond Jongleux (non publié)
CHARLES
COCHET, ACCLAME MAIRE DE BOURGES
Lorsque les autorités qui prirent
le pouvoir cherchèrent à placer à l'Hôtel
de Ville un maire accepté de tous, elles trouvèrent
sans difficulté un accord sur le nom de Charles Cochet.
Ce notable avait été député du Cher
en 1932, alors qu'il avait été élu au conseil
municipal de Bourges sous le mairat d'Henri Laudier dès
1929. Resté socialiste, il était devenu le principal
opposant au maire et lorsque Vichy, en application de la loi
du 16 novembre 1940 sur la réorganisation des corps municipaux,
renouvela le conseil municipal berruyer, Cochet sera le seul
conseiller refusé par le gouvernement de Pétain.
Il se désolidarise d'une politique qu'il condamne et ne
manque jamais une occasion de témoigner ses sentiments.
Il avait 77 ans à la Libération et son attitude
ferme et inébranlable le place à la tête
de la ville, en attendant les élections qui se dérouleront
quelques mois plus tard.
Charles Cochet fut un personnage attachant,
nivernais,il était né en 1867, son père
était menuisier. Enfant doué, il réussit
le concours à l'Ecole Normale et entre dans l'enseignement.
Son premier poste le conduisit à l'école de la
rue Nicolas Leblanc où il resta 23 ans. Puis Cochet enseigna
à Massoeuvre avant de revenir à Bourges prendre
sa retraite.
Marié, il a deux enfants, lorsque le malheur marque profondément
son existence. Son fils meurt à 21 ans sur la Meuse en
1916, et il perd sa fille quelques années après
la guerre, c'est la maladie qui a frappé. Au lieu de se
replier sur lui-même, Cochet entre dans la vie associative,
il s'occupe de la protection de l'enfance, du comité départemental
d'hygiène, etc.
C'est en fait le 7 septembre 1944 que se
déroule une manifestation qualifiée de "grandiose",
avec la présence de Marcel Plaisant, Président
du Comité de Libération, de Gustave Sarrien nouveau
Préfet du Cher, arrivé du Loiret, et de Charles
Cochet.
Le cortège se dirigea par la rue
Moyenne vers le Monument aux Morts, où une gerbe fut déposée,
alors que Plaisant prononçait un de ses premiers discours.
Puis, le cortège prit la direction de l'Hôtel de
Ville et Marcel Plaisant annonça de manière solennelle
l'installation du nouveau maire : Charles Cochet, lequel s'avança
et prononça ces
quelques mots :
" Nous connaissons
toute l'importance de la fonction pour laquelle nous avons l'honneur
d'être désigné aujourd'hui.
Mais les difficultés qui nous attendent ne pourront qu'affermir
notre désir de bien faire.
Dans l'ordre et le travail, avec des collaborateurs choisis,
nous suivrons la bonne voie qu'exige la sage administration des
affaires municipales de notre belle cité.
Vive Bourges ! Vive la liberté ! Vive la République
! Vive la France !"
Ainsi se terminaient ces journées
de liesse, comme l'écrit le bulletin municipal officiel,
"Quatre années d'asservissement et d'humiliation
prenaient fin.... L'Allemand disparaissait de nos rues, de nos
places, de nos établissements publics...."
Ce même jour, les Berruyers qui ne
disposaient d'aucune information locale par les radios ou les
journaux, devaient se contenter des avis placardés par
voix d'affichage ou.... du bouche à oreille. Ainsi, parmi
les nombreuses proclamations, celle du commandant Colomb résume
la situation.
Après avoir informé la population que leur libération
était le fait des Forces Françaises de l'Intérieur
avec le concours du 4ème Bataillon de Parachutistes français,
et qu'une nouvelle administration civile se mettait en place,
avec pour tâche principale le ravitaillement et les réparations
des destructions de l'ennemi, il insistait sur "l'ordre
ainsi que sur la légalité qui doivent être
respectés de tous".
Il évoquait aussi ceux qui s'étaient
rendus coupables "d'intelligence
avec l'ennemi.... et c'est à la Justice Française
et à elle seule qu'il appartient de les juger. Personne
n'a le droit de se substituer à eux."
Un autre appel cosigné de Marcel Plaisant et Gustave Sarrien
est du même ton. Si ils ajoutent que "leur reconnaissance
s'élève vers le général de Gaulle
.... et leur gratitude vers les Forces Unies de la Résistance",
ils se préoccupent surtout de l'ordre public, il y a chez
ces responsables la peur d'être débordés
par les extrémistes, et ils craignent de ne plus pouvoir
maintenir leur autorité, ils terminent en effet leur appel
par ces mots très forts :
"Nous vous
exhortons à l'ordre, au calme, à une défense
spontanée de la sécurité publique"
Pierre Jacquet, après ces heures
de liesse, montrera avec objectivité que tout danger n'était
pas écarté :
Dans les jours qui suivirent, ça a été un
peu moins agité, car l'Etat major avait quelques raisons
de s'inquiéter à cause de l'avance de la colonne
allemande du général Elster. Pendant quelques jours,
il y a eu une consigne discrète d'enlever les drapeaux
qui étaient sur les édifices publiques et sur les
fenêtres, car il ne fallait pas faire peur à la
population.
Bulletin municipal officiel
de Bourges (1944) BY P11
Interview de Pierre Jacquet pour Recto-Verso (1984)
LA
COLONNE ELSTER
Le Sud-Ouest de la France était
occupé par la 1ère armée allemande qui reçoit
l'ordre de se replier sur les Vosges en rejoignant Belfort. La
colonne du général Elster, forte de plus de 20
000 hommes, chargée de l'arrière-garde, ne commence
à quitter Bordeaux que le 20 août, elle est la dernière
à se mettre en route, et joue le rôle, selon le
mot d'Henri Amouroux de "colonne balai" de l'armée
allemande. Harcelés par les maquis du Massif Central,
ces hommes, encore très fortement armés, remontent
plus au nord que prévu, et se retrouvent en Berry dans
les premiers jours de septembre.
Dans l'Indre, les Allemands qui sont condamnés
à marcher au rythme des plus lents sont attaqués
par les F.F.I. vers Mézières, Buzançais,
alors que les avions américains bombardent la colonne
entre Châteauroux et Issoudun. Arrivés dans le Cher,
les premiers éléments d'Elster sont pris à
partie par les F.T.P.F. du colonel Hubert, alors que d'autres
accrochages se déroulent à Levet, Blet, et Dun-sur-Auron.
Des émissaires, dont le sous-préfet d'Issoudun
Pierre de Monneron, prennent contact avec Elster pour l'inciter
à capituler. Celui-ci ne répond pas par la négative,
il pose des conditions à une éventuelle reddition,
et le 9 septembre, alors qu'il transporte son P.C. du Château
de la Pointerie à Châteauroux vers Châteauneuf-sur-Cher,
ses hôtes, au cours de discussions lui font admettre qu'il
"doit abandonner la lutte". Devant le duc Gilles de
Maillé, il apparaît en effet que le général
allemand ne veut pas se rendre aux maquisards français,
mais à des troupes régulières américaines.
Bientôt, il accepte de signer une "convention"
auprès des Américains.
Ainsi, le 10 septembre 1944, à Issoudun,
une "convention" ou une "reddition" est signée
entre le général Elster et le général
américain Macon, commandant de la 83ème Division
américaine, située alors dans la région
de Romorantin.
Les F.F.I. du Cher apprennent cette signature
et c'est d'abord le soulagement, car une colonne de 20 000 hommes,
comprenant 2 généraux et 470 officiers, disposant
encore de 29 canons, 14 canons de D.C.A., 337 mitrailleuses,
24 000 armes individuelles et près de 600 voitures, pouvait
faire encore beaucoup de victimes dans des combats.
Les coups portés par les F.F.I.
du Cher, qui ont tué le commandant de l'avant-garde et
fait prisonnier le chef d'Etat-major d'Ester, sont tels qu'ils
refusent de considérer la signature de Macon comme un
acte définitif. Ces maquisards remarquent que rien n'est
dit sur le désarmement de la colonne, sur la prise en
charge des hommes, sur les modalités effectives de la
reddition. La situation est très incertaine de part et
d'autre, et Elster lui-même, n'ayant rien signé
avec les F.F.I. du Cher est inquiet pour ses troupes, de plus
en plus harcelées. De leur côté, les Résistants
français sentant les Allemands en pleine déroute
veulent en découdre et pourquoi pas anéantir une
partie de cette colonne.
Elster accepte donc, le 11 septembre 1944,
de se présenter dans la petite commune d'Arçay
mais il refuse de signer une nouvelle capitulation, il dira :
"je ne peux pas signer une nouvelle reddition à l'entrée
de chaque département à traverser".
Un texte est donc paraphé, il s'agit pour Henri Amouroux
"d'un simple ordre de marche". Celle signature se passe
en présence des représentants F.F.I. du Cher, M.
Omer Thébault, instituteur et secrétaire de mairie
à Arçay qui fut témoin de cette scène,
raconte :
"Le colonel Bertrand, commandant
le Premier Régiment, arrive, suivi d'autres officiers
français, du colonel américain French, d'officiers
anglais dont un en tenue d'Ecossais n'est pas des moins remarqués
avec sa jupe."
L'instituteur poursuit sa description qu'il
a consigné dans le livre de registres des délibérations
de la commune alors que le maire a ceint son écharpe tricolore
:
" Derrière ces uniformes
amis, vient le général Elster, accompagné
de deux commandants de son Etat-Major, les dents serrées
de rage...."
Participant à cette signature de
la "reddition", le commandant Arnaud de Vogüe,
colonel "Colomb", représentait les F.F.I. de
Cher-Nord. Ainsi, Elster peut conduire ses troupes et l'ensemble
de son matériel à Orléans, en trois colonnes,
et ce sont les Américains qui procéderont au désarmement.
Il y avait des ordres supérieurs pour que les armes des
Allemands ne puissent pas être prises par des Résistants.
Il semble bien que pour les Américains, si les mouvements
de Résistants avaient été considérés
comme très utiles lors du débarquement pour freiner
l'arrivée des renforts allemands, il restait toujours
un soupçon sur la droiture des Français. Pour beaucoup,
en particulier chez les Anglo-américains, les F.F.I. étaient
noyautés par des éléments communistes.
Avec cette "reddition" du 11
septembre, Bourges pouvait se sentir sauvée, une page
d'histoire était véritablement tournée.
Les jours qui suivirent furent consacrés à la mise
en oeuvre de l'administration, à la résolution
des problèmes de ravitaillement, et à faire fonctionner
la justice.
Après la guerre, comme souvent en
France, une querelle opposera les Français pour savoir
à qui revient le mérite d'avoir obtenu la "reddition"
d'Ester. Sur la plaque commémorant l'événement,
et apposée en 1946 avec la présence du général
Koenig, on peut lire :
"Le 11 septembre 1944, les F.F.I.
du Cher-Sud reçurent ici, après cinq jours de rudes
combats, la reddition de la colonne Elster forte de dix-huit
mille nazis. Cette victoire française est dûe aux
actions combinées des F.F.I. de l'Indre, du Cher, d'Auvergne,
de l'Allier, de la R.A.F. et du 14e bataillon de parachutistes".
Aucun mot sur l'action des Américains
!
Le général Elster sera condamné
à mort par un tribunal allemand en mars 1945 pour cette
reddition, mais prisonnier des Américains, il sera conduit
aux Etats-Unis pour rentrer quelques temps plus tard en Allemagne
où il mourra en 1952.
Les règlements de compte de Henri
Amouroux
L'EPURATION
Dans la liesse de la Libération,
il y eut des moments inoubliables, d'autres qui le furent moins.
La foule prit un drapeau à croix gammée et l'accrocha
à une 402 Peugeot et traîné dans la boue,
les gens crachaient dessus.... Puis, beaucoup se "portèrent
vers les immeubles où avaient trôné pendant
4 ans les ennemis de la France". Ils voulaient détruire
tout ce qui pouvait rappeler ces heures difficiles.
Et puis, dans la soirée, quelques
filles et femmes notoirement connues pour avoir accordé
leurs faveurs à des membres de l'armée occupante
furent saisies et tondues. Malheureusement ajoute Jongleux, "de
pauvres créatures absolument innocentes, furent victimes
de ces démonstrations ineptes".
Dans son numéro du vendredi 8 septembre, le "Patriote
Berrichon", organe du Front National, demandait de cesser
"ces brimades inadmissibles, commises publiquement.... les
organisations de la résistance protestent contre de tels
agissements".
Marcel Cherrier, en 1984, au micro de Recto-Verso
se souvient de ces folles journées :
"les jours
qui ont suivi la Libération ont vu la réunion du
Comité Départemental de Libération, qui
avait en quelque sorte tous les pouvoirs pour restaurer la légalité,
nous nous sommes mis au travail pour nommer les organismes qui
étaient chargés de la vie du pays, et nous avons
aussi parlé de l'épuration, beaucoup de gens venaient
nous trouver, en nous disant, il faut punir ceux qui nous ont
fait souffrir, nous avons créé un Comité
d'Epuration et de Justice qui a fonctionné tout de suite.
Nous avons commencé à examiner les cas les plus
marquants, et ça s'est fait tout de suite avec la justice,
le commissaire du gouvernement, et avec celui qui allait devenir
le Président de la Cour de Justice, monsieur Gestat.
L'épuration provoquait un certain mécontentement,
certains n'étaient pas punis, et chacun se demandait pourquoi,
en rétablissant la justice, on introduisait la lenteur".
Sur le délicat problème des
femmes, Marcel Cherrier répond sans aucune ambiguité
:
"En ce qui concerne les femmes tondues, j'ai toujours pensé
que ça c'était vraiment quelque chose d'inopérant
et ça n'avait pas sa raison d'être, parce qu'il
fallait surtout frapper les coupables de la trahison, et ceux
qui nous avaient combattus directement avec le concours des Allemands,
de la Gestapo, de la Milice, mais ce n'était pas en tondant
des femmes que l'on pouvait faire la justice. Je pense que beaucoup
étaient d'accord avec nous sur ce point."
Le 29 novembre 1944, la cour de justice
du Cher s'apprête à juger deux personnes dont Louise
Holmgren, accusée de collaboration. Comme le rappelle
Henri Amouroux, l'atmosphère est pesante. La foule s'écrase
aux portes du palais de justice, et c'est bientôt la ruée
vers la salle d'audience. Les places "pour mieux voir"
sont prises d'assaut. S'il y a une volonté de justice,
la curiosité malsaine est aussi présente.
Ces deux personnages seront condamnés à mort par
la cour de Justice du Cher pour faits de collaboration, mais,
quelques temps plus tard, cette peine sera commuée : ils
seront graciés par le président Jeanneney.
Le 21 décembre 1944, vers 18 heures,
un groupe d'hommes armés faisaient irruption dans la prison
du Bordiot et s'emparaient d'Aimé Péron et de "la
femme Holmgren" pour reprendre le vocabulaire de l'époque.
Ils furent emmenés en dehors de la prison, et, à
cinquante mètres de là, dans l'allée centrale
qui conduit au Bordiot,, ils furent exécutés à
la mitraillette par un groupe de soldats du 1er régiment
populaire berrichon, une formation issue des F.T.P.
Le lendemain, un des "justiciers", le sous-lieutenant
Charles Deregnaucourt, âgé de 31 ans, était
arrêté. Il reconnaissait les faits, mais ne voulut
donner aucun des noms de ses complices. Il fut traduit immédiatement
devant le tribunal d'Orléans, et après une plaidoirie
brillante de son avocat, mettant en avant sa bravoure dans les
F.T.P., il fut acquitté.
En janvier 1945, dans les bois de Morthomiers,
un village situé à quelques kilomètres de
Bourges, les cadavres de cinq personnes furent découverts.
Ils avaient tous été exécutés d'une
balle dans la tête. Comme l'écrit le Berry Républicain,
on a trouvé aisément le nom de cette famille et
l'enquête se poursuit. A aucun moment, le quotidien berruyer
ne donnera la suite de l'enquête, si suite il y eut.
L'épuration, et ses débordements
font toujours l'objet de polémiques, un demi-siècle
après les faits. Henri Amouroux, dans son "histoire
des Français sous l'occupation en 10 volumes", a
recherché, au plan national, les chiffres des exécutions.
Il faut dire que beaucoup d'adversaires de la Résistance,
dans les années 1950, évoquaient pour l'ensemble
du pays des chiffres de l'ordre de 100 000 victimes des exécutions
sauvages de la guerre. Une étude méticuleuse prouve
que pour 84 départements, on dénombre 8142 exécutions
sommaires dont 1459 après la Libération, et pour
le Cher, le chiffre est de 146. On est loin des valeurs initiales.
50 ans après chacun s'accorde pour situer le chiffre des
victimes de l'épuration à un peu plus de 10 000
personnes pour la France. Les condamnations furent lourdes lorsqu'elles
furent prononcées dans les semaines qui suivirent l'été
44, mais deux ans plus tard, les peines des collaborateurs jugés
furent très légères.
Dans les mois qui suivent la Libération,
le malaise sur l'épuration se fait plus pressant. Il y
a ceux qui ont tant souffert et veulent une vengeance et des
actions expéditives, s'opposant à ceux qui réclament
la justice sereine, alors qu'un autre camp désire la réconciliation
de tous les Français, "à l'exception de ceux
qui ont trahi politiquement, dénoncé leurs compatriotes
ou trafiqué indignement avec les Allemands" pour
reprendre la formule de l'amiral Auphan.
C'est Daniel Mayer, secrétaire général du
Parti Socialiste, qui énonce le mieux les difficultés
du moment, lorsqu'il s'exprime en août 1945 devant l'Assemblée
Consultative :
" L'épuration est imparfaite, elle est trop lente
; elle donne une impression d'injustice.... Injustice des verdicts,
inégalités aussi d'une région à l'autre
et, parfois, lorsque les sentences prononcées répondent
certainement à l'attente du pays, à son souci de
justice, l'exercice du droit de grâce vient confirmer l'impression
désagréable qu'il y a deux justices".
Si l'épuration suit son cours et
divise les Français et les Berrichons, en réclamant
une justice plus expéditive, en particulier envers des
hommes comme Lécussan qui sévit à Saint
Amand ou comme Paoli à Bourges, d'autres se préoccupent
des hommes qui ont fait du bien et au premier rang desquels se
trouve Alfred Stanke, le Franciscain de Bourges.
Marcel Cherrier, vice-président du Comité Départemental
de Libération du Cher, se souvient de ces instants :
" J'ai reçu
des rapports de notre ami Léo Mérigot, d'un certain
nombre de détenus qui m'ont dit qu'à la prison
du Bordiot, il y avait un Franciscain qui les avait aidés,
qui les avait soignés, qui les avait consolés,
et pourtant, il était habillé en Allemand. Nous
avons appris que les Américains détenaient ce Franciscain,
et je dois dire qu'à la suite d'une campagne menée
par des amis personnels du Franciscain, nous avons décidé
au CDL de nous adresser aux autorités américaines
pour demander sa libération, et j'ai eu l'honneur de signer
cette lettre".
Retour
en haut de page
Discours
de monsieur Maurice Renaudat lors de l'anniversaire de
la Libération de Bourges le 6 septembre 2009, alors que
la Ville de Bourges honnirait 14 Résistants en donnant
leur nom à 14 rues du nouveau quartier Maréchal
Juin :
Dénomination des rues de la ZAC
du Maréchal Juin
Au nom du Comité Départemental
d'Union des Associations et des Amis de la Résistance
et de la Déportation, je remercie la Ville de Bourges
d'avoir donné le nom de 12 résistants aux rues
de la ZAC du Maréchal-Juin.
Honoré d'Estienne d'Orves, Tom Morel,
le Général Köenig, Emmanuel d'Astier de la
Vigerie, Philippe Kieffer, Jean l'Herminier, Jean Zay, Guy Môquet
et Pierre Brossolette (qui, en janvier 1943, transita par le
terrain d'atterrissage clandestin situé sur les terres
de la famille Jolivet à Primelles) sont connus au niveau
national. Des livres, des articles de presse, leur ont été
consacrés. D'autres sont des fils de notre département.
Ils incarnent l'implantation de cette résistance locale
qui fut indispensable pour mener l'action contre l'occupant et,
dans le Cher, libérer notre petite patrie.
On parle beaucoup de la mémoire
de la Résistance : devoir de mémoire, travail de
mémoire, lieux de mémoire. La dénomination
de rues permet de l'évoquer de façon concrète.
Les habitants d'une rue, d'un quartier sauront ainsi que la Résistance,
c'était des noms, des figures, des actes qui pouvaient
conduire jusqu'au sacrifice.
Permettez-moi de rappeler l'action des
résistants originaires du département du Cher :
Pierre JACQUET
Instituteur à Dun-sur-Auron, Pierre
Jacquet participe aux combats de 1939-1940. Fait prisonnier le
19 juin 1940 à Villeneuve-sur-Cher, incorporé à
une colonne de prisonniers se dirigeant à pied vers Sancerre,
il accomplit son premier geste de rébellion en s'évadant.
Il regagne alors Dun et retrouve son poste d'instituteur.
Formé par l'École Normale
d'Instituteurs aux idées de l'école républicaine
et laïque, la propagande pétainiste auprès
des jeunes n'ébranle pas ses convictions. Et lorsque Fernand
Sochet, un autre instituteur, évadé des camps de
prisonniers de guerre, lui propose de participer à la
création de groupes de résistants dans le cadre
du Front National de lutte pour la libération de la France,
il trouve en Pierre Jacquet un homme qui mettra sa compétence
au service de son pays. Pierre sera alors en liaison avec le
maquis FTP de Maupioux dans les bois de Meillant et quand les
Alliés débarquent en Normandie le 6 juin 1944,
il quitte sa classe et participe au siège de la Milice
à Saint-Amand-Montrond, ce qui lui vaut une citation à
l'ordre de la division et l'attribution de la Croix de guerre
avec étoile d'argent.
Repliés dans la Creuse, les FTP
de Maupioux maintiennent les contacts avec leur département
d'origine et Pierre, devenu capitaine, est envoyé en mission
dans le Cher. Le 15 août 44, il accompagne Maxime, commandant
départemental des FTP du Cher, à une réunion
de l'État-major départemental FFI constitué
sous les ordres du commandant Colomb. C'est au cours de cette
réunion que seront prises les décisions concernant
la libération de Bourges. Lorsque la Libération
arrive, Pierre Jacquet représente les Forces Unies de
la Jeunesse patriotique au Comité Départemental
de Libération.
La paix retrouvée, il se préoccupe
de l'aide à apporter à ses anciens camarades résistants
en créant le Comité des uvres Sociales de
la Résistance. Son charisme le désigne pour être
président du Comité d'Union de la Résistance.
Soucieux de faire connaître cette époque difficile
aux générations plus jeunes, il témoigna
dans les établissements scolaires, participa à
la création du musée de la Résistance et
de la Déportation de Bourges et du Cher dont il présida
jusqu'au bout de ses forces l'association des Amis.
Pierre Jacquet fut journaliste, puis rédacteur en chef
et membre du Conseil d'Administration d'un journal issu de la
Résistance : Le Berry Républicain.
Il était titulaire de l'Ordre du Mérite National.
Edme BOICHE
Il a 18 ans en 1939 lorsque la guerre commence
et contracte un engagement pour la durée de la guerre.
Affecté à la 4ème division cuirassée,
il devient en mai et juin 1940 chauffeur du Colonel Charles de
Gaulle.
Démobilisé après l'armistice,
Edme Boiché se retrouve à Saint-Etienne. Il entre
en contact avec le réseau Tolbiac, puis vient à
Bourges où il se fait embaucher à l'usine de Mazières
qui travaille pour l'occupant. Cela lui donne la possibilité
de saboter la production destinée aux nazis.
Réfractaire au STO, il est arrêté
dans une rafle et emprisonné au Bordiot où il rencontre
le Franciscain Alfred Stanke. Le frère Alfred lui prodiguera
ses soins au retour des interrogatoires très musclés
de la Gestapo. Dirigé vers l'Allemagne, Edme Boiché
réussit à s'enfuir du train.
En août 1944, il est incorporé
au maquis des FFI Cher-Nord où il retrouve Pierre de Vogüé
qu'il a connu avant guerre dans un patronage à Paris.
Il adopte le pseudonyme de Gérald et est nommé
chef du groupe Jacques-Cur.
Le 26 août, il lui arrive une aventure
peu ordinaire. Circulant en voiture avec Antoine de Vogüé
et Pierre Montillier, ils sont faits prisonniers par les Allemands
qui menacent de les fusiller. C'est alors qu'un officier allemand
lui propose de retrouver certains de ses soldats faits prisonniers
par le maquis. En échange, ils auront la vie sauve, mais
pendant qu'Edme Boiché fera les recherches, ses deux compagnons
resteront prisonniers. Ils seront fusillés s'il ne revient
pas.
Conscient des responsabilités qui pèsent sur lui,
Edme Boiché parvient à retrouver les prisonniers
allemands et les ramène à leur chef qui tient parole.
Les trois FFI sont libérés.
Profondément reconnaissant au Franciscain
des soins qu'il lui avait prodigué, Edme Boiché
créa une association pour conserver le souvenir du frère
Alfred. Il témoigna dans les établissements scolaires
et participa à la création du Musée de la
Résistance et de la Déportation de Bourges et du
Cher.
Edme Boiché fut maire adjoint de Bourges.
Louis DELAMARRE
Avec Louis Delamarre, c'est un autre aspect
de la Résistance qui se présente. Celui des services
de santé, indispensables pour toute unité combattante.
C'est réconfortant pour un combattant de savoir que s'il
est blessé, quelqu'un de compétent pourra s'occuper
de lui et l'aider à s'en sortir.
Dans l'Historique des maquis du Cher-Nord,
Xavier Moissinac écrit : " lorsque les maquis furent
installés dans la zone de Menetou-Allogny, le docteur
Louis Delamarre de Saint-Martin d'Auxigny se mit à notre
disposition. Il fut décidé d'établir un
hôpital clandestin du maquis. On choisit comme emplacement
le château de Parassy, isolé et à l'abri
des regards indiscrets ".
Sous la responsabilité du Docteur Malgras, chef du Service
médical de la Résistance, les Docteurs Louis et
Paul Delamarre s'employèrent à installer des salles
d'opération, des chambres, un groupe électrogène.
Louis Delamarre put ainsi apporter son assistance à tous
les résistants du secteur, ainsi qu'aux parachutistes
alliés.
Il fut Conseiller Général
du canton de Saint-Martin d'Auxigny.
Georges CAZIN
Avec Georges
Cazin, Bourges honore la mémoire d'une victime berruyère
de la barbarie nazie.
Ingénieur pendant de longues années à l'Ecole
Centrale de Pyrotechnie et à l'Atelier de Construction,
notre compatriote est détaché à la Manufacture
Nationale de Tulle lorsque les occupants y commettent le 9 juin
1944, un de leurs crimes les plus odieux.
Après une première libération
de la ville par les maquisards, les SS réoccupent Tulle
et procèdent au choix de leurs futures victimes. Parmi
celles-ci, Georges Cazin. Un premier groupe d'une dizaine d'hommes
sont pendus aux balcons, aux réverbères, aux devantures
des magasins sous les yeux horrifiés de la population.
Puis 10 par 10, les martyrs doivent défiler devant les
corps encore tressaillants de leurs camarades, avant d'être
eux-même pendus. Au soir, on dénombre 99 victimes.
Des témoins ont relevé l'attitude
digne et héroïque de Georges Cazin. Tout au long
de la journée, il remonte le moral de ses compagnons.
Faisant partie du dernier groupe, il se révolte contre
cette mort horrible et fait face aux bourreaux. Les mitraillettes
crépitent et les SS pendront les corps d'hommes morts
ou blessés.
Le corps de Georges Cazin est ramené
à Bourges le 3 novembre 1944 où la population est
nombreuse à ses obsèques.
je
vous adresse en pièces jointes des photos de Georges Cazin
dans son atelier des dessinateurs à la Pyro,prises par
mon père,Fernand Lechêne,qui était un de
ses collègues.Georges Cazin est reconnaissable à
sa chevelure avançant en pointe sur le front.
Il est à droite de la photo
Signé Robert Lechêne.
Hubert de LAGARDE
En 1916, à 18 ans, Hubert de Lagarde
s'engage au 1er Régiment d'Artillerie de Bourges et participe
à la Grande Guerre de 14-18. Après différentes
affectations au sein de l'Armée, il opte pour la vie civile
et se consacre à la littérature et au journalisme.
Il reprend du service de septembre à
octobre 1938, lors de la crise des Sudètes et de la conférence
de Munich. En septembre 1939, il est affecté au 155ème
Régiment d'Infanterie de forteresse et à l'Etat-major
du 23ème corps d'armée.
Dès août 1940, Hubert de Lagarde
revient dans le Cher où il aide à franchir clandestinement
la ligne de démarcation. Sous le pseudonyme de "
Villard " il entre en 1941 dans le réseau Cohors-Asturies,
puis en 1942 dans le réseau Eleuthère. Il fournit
de précieux renseignements aux Alliés, permettant
de détruire à Mailly-le-Camp, dans la nuit du 3
au 4 mai 1944, 102 véhicules dont 37 chars, 114 bâtiments
dont 47 hangars et ateliers et des dépôts de munitions.
L'occupant compte 200 morts et quelques 200 blessés. Il
y a également plusieurs dizaines de prisonniers de guerre
et de requis du STO parmi les victimes.
Le Lieutenant-Colonel Hubert de Lagarde
occupe de hautes fonctions au sein de la Résistance. il
est le représentant du BCRA auprès du COMAC et
en 1944, il est à la tête du 2ème bureau
des FFI.
Condamné à mort par contumace
par l'occupant, Hubert de Lagarde est arrêté le
26 juin 1944, torturé au siège de la Gestapo, puis
déporté à Buchenwald, puis à Dora
(Kommando d'Elrich). Il décède dans ce bagne nazi
le 25 janvier 1945.
Les hommes dont je viens d'évoquer l'action représentaient
la diversité de la Résistance avec ses mouvements,
ses réseaux, ses maquis. Ils n'avaient pas la même
origine sociale, mais tous étaient animés d'une
même volonté : participer à la libération
de leur pays.