Bourges, cité militaire est aussi
acquise à la guerre "nécessaire contre l'Allemagne",
il faut reprendre l'Alsace et la Lorraine, c'est le grand sujet
d'alors. Les instituteurs, "ces hussards noirs de la République"
le répètent depuis 30 ans à leurs élèves.
Chacun est persuadé que cet inévitable conflit
sera réglé en quelques semaines. C'est la première
guerre mondiale qui approche avec ses millions de morts.
Cet article
complet fait le point en plusieurs dizaines de pages sur Bourges
pendant ce conflit.
La guerre
1914 /1919
- - Les élections
législatives de 1914
- A la veille du conflit
- La guerre de 1914 à Bourges
- Nouvelles du Front
- Difficultés de la guerre à Bourges
- Les Etablissements Militaires
- La base d'Avord
- Les Américains en Berry
- La Victoire du 11 Novembre
- La politique reprend le dessus
- Laudier le rouge prend la mairie
- Les difficultés de la reconversion des industries d'armement
- - Les régiments
du Cher dans le conflit
1914, l'aviation en France est toujours
aussi populaire, et l'exploit de Roland Garros traversant la
Méditerranée en septembre 1913 est salué
par toute la presse. Dans le domaine artistique, le pays respire
: on a retrouvé la Joconde qui avait été
dérobée deux ans plus tôt. La peinture commence
sa révolution, les impressionnistes cèdent la place
à l'art "moderne", avec les recherches de Kandinsky
qui va réinventer la peinture et amener l'art abstrait.
A Bourges, la peinture est elle aussi au devant de la scène.
C'est pour la population l'occasion de s'en aller admirer les
oeuvres picturales très classiques des Anciens Elèves
de l'Ecole des Arts appliqués à l'Industrie pour
la quatrième exposition organisée par "le
Mouciau". Nous sommes au mois d'avril 1914 alors que chacun
s'apprête à s'en aller voter.
LES ELECTIONS
LEGISLATIVES DE 1914
La guerre est proche, mais la France reste
une démocratie avec des échéances électorales,
c'est ainsi que les législatives sont prévues pour
le mois d'avril 1914.
Dans la première circonscription de Bourges, ils sont
trois candidats à se présenter. Il y a le député
sortant, Debaune, radical socialiste ; en face, un homme de droite
baptisé "progressiste" par les uns et réactionnaire
par les autres, Dubois de la Sablonnière, et enfin Laudier
qui se présente comme socialiste unifié.
Les documents établis par la Préfecture du Cher
sur chaque candidat sont éloquents. En ce qui concerne
la perception du pouvoir politique vis-à-vis de Laudier,
il est écrit dans les fiches des "Renseignements
Généraux" :
" Sans instruction première, a su, grâce à
sa valeur personnelle acquérir des notions générales
très étendues, qui font de lui un esprit d'apparence
cultivé.
Très intelligent, d'un réel talent de parole, a
pris au conseil général, une place prépondérante.
A mesure qu'il s'affirme, ses opinions s'adoucissent et son influence
dans les milieux ouvriers a plutôt tendance à décroître."
Laudier est donc perçu comme un personnage avec lequel
il faudra compter.
Quant à l'intéressé,
il signe ses professions de foi en évoquant la "République
laïque". Il se présente comme un antimilitariste,
prônant et défendant l'école laïque,
il demande la proportionnelle, parle des retraites et du problème
social des femmes en couche pour lesquelles il faut une loi,
enfin, il s'engage, s'il est élu à proposer le
retour immédiat "aux deux ans". Il se dit Républicain,
Socialiste et Libre Penseur.
Dans le grand rendez-vous du 26 avril 1914, à la Salle
des Fêtes, les quatre principaux candidats sont présents.
Il y a Laudier, de la Sablonnière, Debaune et enfin Armand
Mitterrand. Laudier est le premier à prendre la parole,
il fustige Monsieur Dubois, qui est, pour le socialiste, le candidat
de l'archevêché. Le second orateur est l'offensé,
Dubois de la Sablonnière qui attaque à son tour
Laudier. Il n'a pas la salle avec lui, laquelle manifeste bruyamment
sa désapprobation et il doit laisser la parole à
l'orateur suivant. Ces soirées électorales étaient
un grand moment sur le plan local, et la campagne auprès
des électeurs était très âpre.
Le 26 avril, au 1er tour, Laudier recueille
5108 voix, devancé par Dubois avec 6875 voix et Debaune
6020. Le très bon score de Laudier s'explique par "des
voix réactionnaires qui se sont portées sur Laudier,
afin qu'il devance Debaune, et favorise ainsi Dubois lors d'un
second tour dans lequel le député sortant aurait
été éliminé". C'est en tout
cas l'analyse du préfet du Cher.
Avant le second tour, Laudier se désiste
en faveur du radical Debaune qui sera facilement réélu
avec 10 293 voix face à Dubois qui n'en recueille que
7773.
Sur les désistements, une campagne de presse dénonce
"l'invasion maçonnique", car, remarquent les
journalistes, en France, tous ceux qui se sont désistés
ont obéi à un chef d'orchestre mystérieux
: "le grand pontife de la Franc-Maçonnerie",
d'ailleurs, "les Francs-Maçons sont à la tête
du Parti Socialiste". Les caricatures fleurissent dans les
journaux nationaux et locaux.
Sur le plan national, ces élections enregistrent une forte
poussée des socialistes, la S.F.I.O. gagne 30 sièges,
elle en possède désormais 102. Les radicaux se
maintiennent et, avec l'appoint de républicains "socialisants",
la gauche a la majorité à la Chambre. C'est Viviani
après quelques péripéties qui forme le gouvernement,
il propose une réforme électorale, un impôt
progressif, des mesures sociales et une modification de la loi
militaire. Des mesures assez à gauche.
Viviani n'aura pas le temps de mettre son
programme à exécution, le 28 juin l'Archiduc François-Ferdinand,
héritier du trône austro-hongrois est assassiné
à Sarajevo. La poudrière des Balkans va sauter.
La Serbie est mise en accusation, la Russie se porte à
son secours, l'Autriche-Hongrie veut en finir avec les Serbes
et la France tout comme l'Allemagne, par le jeu des alliances,
veut en découdre :
Ce sera la guerre.
Archives Départementales
du Cher 20 M 42
A LA VEILLE
DU CONFLIT
Bourges, cité militaire est aussi
acquise à la guerre "nécessaire contre l'Allemagne",
il faut reprendre l'Alsace et la Lorraine, c'est le grand sujet
d'alors. Les instituteurs, "ces hussards noirs de la République"
le répètent depuis 30 ans à leurs élèves.
Laudier lui, est socialiste, il est très minoritaire sur
la conduite à tenir dans ce conflit qui pointe. Il est
avant tout, en 1914, un antimilitariste acharné, il n'a
sans doute pas participé au grand meeting du 31 juillet
1914 au Palmarium car dans les rares documents disponibles sur
ces journées, il ne figure pas parmi les orateurs. Ce
meeting sera l'objet de polémiques, et beaucoup à
Bourges, vont dénoncer "cette réunion antimilitariste
et antipatriotique", demandant au gouvernement son interdiction.
Elle se déroulera néanmoins devant 1500 personnes,
à la seule initiative de la CGT, la Fédération
Socialiste prenant en cette occasion le profil bas. Les renseignements
généraux signalent que tout fut calme, que les
grands chefs et élus socialistes n'étaient pas
présents et comme le note Claude Pennetier, même
si la foule se sépara au chant de "l'Internationale",
le coeur n'y était pas, il y avait même un certain
découragement chez les militants de gauche.
Les événements se précipitent,
c'est l'assassinat de Jaurès, le 31 juillet 1914. Le grand
orateur, député du Tarn et directeur de l'Humanité
avait écrit la veille dans son journal : " C'est
à l'intelligence du peuple que nous devons faire appel
si nous voulons qu'il puisse rester maître de soi, refouler
les paniques, dominer les énervements pour écarter
de la race humaine l'horreur de la guerre". Il dénonçait
ceux qui pensaient que la guerre serait courte et rapide. Car
la majorité des gouvernants sont convaincus que cette
guerre moderne sera terminée en quelques jours.
Et puis, c'est l'enchaînement des alliances, des déclarations
et le début des hostilités. "Le Journal du
Cher", comme ses confrères, donne de la situation
une image très offensive. Cela va "des Allemands
qui se conduisent en barbares", aux "ovations de la
population anglaise devant les ambassades de Russie et de France...."
Dans ces journées dramatiques, Laudier
va, comme les autres socialistes, changer de position de manière
radicale en quelques jours. Ainsi, il écrira dans l'Emancipateur
de cette période:
" Non, le socialisme international ne laissera pas sombrer
le progrès et la civilisation dans les horreurs d'une
guerre qui ne peut servir que la ploutocratie... Levons-nous
de partout, à la ville comme à la campagne, clamons
notre inébranlable volonté d'épargner à
notre pays et aux autres l'ouragan de fer et de feu que d'aucun
tiennent en réserve".
Mais cette belle proclamation contre la
guerre va voler en éclat. Comme Vaillant et bien d'autres,
Laudier s'écriera "Vive la Nation" et les socialistes
rempliront leur devoir, ils s'en iront à la guerre, la
fleur au fusil. "pour la Patrie, pour la République
et pour l'Internationale."
"Le Journal du Cher" retransmet fidèlement l'état
d'esprit des Berruyers de l'époque, dans son numéro
du 3 août 1914 : "Oui, en lisant l'affiche de mobilisation,
chaque citoyen jurait de faire payer cher à l'Allemagne
ces rodomontades !" et il terminait ainsi : " Enfin,
le compte depuis longtemps ouvert va être réglé
; l'Allemagne provocatrice va trouver à qui parler!".
Archives Départementales
du Cher 25 M 174
Journal du Cher 1914
Claude Pennetier, Le socialisme dans le Cher 1851 -1921
LA GUERRE
DE 1914 A BOURGES
Après le 2 août et la mobilisation
générale, le titre de la "Dépêche
du Berry" en date du 4 août est des plus optimistes.
Il est écrit : "calme et confiante notre population
se prépare à la guerre", avant un chapitre
très cocardier avec ces mots : "L'armée est
enthousiaste et croit au succès de la France". La
soirée du samedi est fébrile à Bourges,
la population se rend en masse à l'Hôtel des Postes
pour avoir des nouvelles sur l'ordre de mobilisation. Celui-ci
arrive et "la confiance règne et un esprit de décision
remarquable est à signaler" écrit un journaliste.
Au Grand Café, les officiers et soldats, après
le dîner, entonnèrent des chants patriotiques, avec
l'aide de l'orchestre de l'établissement. Le dimanche,
alors que le temps est radieux, Bourges se transforme peu à
peu en véritable camp retranché, les militaires
se rendent dans leur cantonnement, ils prennent tous les établissements
publics, la troupe occupe le cinéma, les garages automobiles
et même le cercle littéraire de la rue Moyenne.,
"toute la journée, c'est dans les rues de Bourges
une animation sans exemple". Bourges cité de l'armement
et siège du 95e Régiment, d'Infanterie va commencer
à vivre, de l'arrière, la première guerre
mondiale.
Laudier n'est pas envoyé au front,
il est mobilisé sur place à Bourges, dans les services
de la santé. Il avait été
réformé lors de son service militaire en 1899 à
cause de sa mauvaise vue. Il laisse de côté ses
idées généreuses et comme l'ensemble de
ses concitoyens, il milite pour la guerre. Le 23 août il
écrira qu'il veut la Victoire "pour qu'enfin l'humanité
soit délivrée de l'Attila monstrueux qui veut l'égorger".
Dans les débuts du conflit, comme beaucoup de Français,
il pense à une rapide victoire, il s'exprime ainsi en
novembre 1914 : "c'est encore quelques semaines à
patienter d'ici que l'ennemi se décide à déguerpir
de son terrier".
Chacun connaît la suite : il faudra
4 ans de combats, des millions de morts et des pays ruinés.
La grande boucherie de 14/18 ne fait que commencer.
Un des premiers drames qui touche le Berry, c'est la mort
d'Alain-Fournier. L'auteur du Grand
Meaulnes est abattu à la tête de sa section, par
la volonté d'un Capitaine idiot. Il faudra attendre le
printemps 1992 pour retrouver son corps aux Eparges, et faire
la lumière sur une mort qui fut controversée, quant
à ses circonstances. Il ne semble pas que cette mort,
à Bourges ait provoqué à l'époque,
quelques émotions. La gloire d'Alain-Fournier sera posthume.
Dès le mois d'août 1914, c'est
un véritable flot de population qui se présente
en Berry. Les réfugiés des territoires occupés
par les troupes allemandes, essentiellement des Belges et des
Français de la région de Dunkerque, affluent et
sont bientôt logés soit chez l'habitant, soit dans
les hôpitaux de la Ville.
Face à cette situation, la municipalité de Paul
Commenge commence à réagir avec les problèmes
posés par le ravitaillement. Un décret en date
du 3 août interdit de "sortir" de la commune
de Bourges les marchandises et autres denrées. Quelques
jours plus tard, c'est la constitution de stocks des produits
de première nécessité, comme le sucre, la
farine, le café ou l'essence qui sont entreposés
dans des bâtiments de la ville.
A Bourges, la vie a repris, on attend les
communiqués, les lettres de ceux qui sont au front, on
suit l'avance de nos troupes. Chaque famille a un père,
un fils, un cousin au front, alors l'existence s'organise. C'est
assez vite, une certaine désolation dans les campagnes
par manque de main d'oeuvre, c'est aussi dans les villes et à
Bourges, l'arrivée massive des femmes sur le marché
du travail.
Pigenet, dans le livre "Terre de lutte", écrit
que "cette main d'oeuvre plus docile permet au patronat
d'accroître le rendement et les profits par l'accroissement
des cadences, la mise en place du Taylorisme et la restriction
des libertés syndicales". Si ces propos sont excessifs,
ils ne sont pas totalement erronés, la guerre est dure
pour ceux qui sont au front tout comme pour la majorité
de ceux qui sont à l'arrière. C'est d'autant plus
vrai à Bourges, avec les Etablissements Militaires qui
drainent une population de travailleurs et travailleuses importante.
Ce n'est qu'à partir de 1915 que
le gouvernement comprit que la guerre serait plus longue que
prévu et qu'elle serait gagnée par le pays qui
posséderait le meilleur matériel. Pour le fabriquer
dans les Etablissements Militaires,
les ouvriers d'usine mobilisés affluèrent. Des
groupes compacts de 500 familles se présentèrent
à Bourges. Puis ce furent des Marocains, Chinois Indo-Chinois
et autres travailleurs Kabyles qui arrivèrent, ainsi que
des Portugais. Bourges eut à résoudre alors le
problème du logement. L'hôpital Lariboisière
tout comme le séminaire Saint-Célestin (actuellement
Lycée Jacques Coeur) furent réquisitionnés
pour servir de logements.
La transformation de bâtiments publics, comme les écoles,
en logements eut pour conséquence la désorganisation
de l'enseignement, les cours se donnaient dans des maisons particulières,
et les Directeurs d'Ecole réclamaient leurs locaux à
l'Autorité Militaire qui avait d'autres soucis. C.J. Gignoux
note toutefois que la scolarisation ne souffrit pas de ces perturbations.
Sur le plan de l'hygiène, l'importance
de cette population vivant dans des conditions précaires,
ne se traduisit pas par des maladies ou autres épidémies,
du moins jusqu'à la fin de 1917.
Dans le domaine social, le travail de la main d'oeuvre féminine
posa de nombreux problèmes familiaux. "Les femmes
et les enfants furent groupés à l'hôpital
général, des bons de pain et de lait furent distribués,
des soupes populaires créées, ainsi que des crèches
et des garderies d'enfants". Dans les premiers mois de la
guerre, les nouveaux nés étaient élevés
aux frais de la ville, mais cela ne durera pas, par contre une
aide est votée à chaque famille dans cette situation.
De son côté, l'autorité militaire créa
une crèche pour les enfants des femmes travaillant à
la Pyrotechnie et à la Fabrique de Canons. Dans le même
esprit, les différentes oeuvres de bienfaisance furent
regroupées en un "Comité de souscription publique".
Le point le plus noir pour la villle de Bourges, ce fut la dégradation
rapide de la voirie. Les rues et routes n'étaient pas
construites pour faire circuler des camions lourdement chargés
ou des matériels de guerre. De plus, la municipalité
n'avait plus de personnel pour les réparations habituelles,
les hommes valides étaient au front ou travaillaient dans
les Etablissements Militaires.
NOUVELLES
DU FRONT
Bourges vit la guerre de façon optimiste
à ses débuts, et fataliste jusqu'en 1917. Chacun
se cramponne aux lettres du front, à celle d'un être
cher, et c'est le calme qui prédomine. Etait-il possible
de réagir d'une autre manière ?
Les lettres des poilus sont toujours d'une grande authenticité.
Celles de Lucien André, un Berruyer dont le fils deviendra
à Bourges un personnage pittoresque et attachant 60 ans
plus tard, ont été publiées dans "Le
Cher Soldat" et "La Nouvelle République".
On peut lire cette correspondance :
" 11 décembre 1914, Vive
la République démocratique et sociale, Victoire,
Victoire, La réaction est enfoncée, la République
est sauvée. 236 radicaux et 102 socialistes. La calotte
est dans le lac. Les républicains ont fait leur devoir."
" 2 avril 1915.... Nos troupes
ont enlevé un poste ennemi à la baïonnette,
nous avons progressé d'un kilomètre et repoussé
deux contre-attaques des Boches. Si vous aviez vu ça,
soyez fiers du Caporal André de la 6e compagnie du 29e
car j'y étais... Et j'ai tué des Boches, oui moi...Les
salauds sont revenus en nombre et en deux fois à la charge,
mais ils sont tombés sur un manche."
"
21 novembre 1915..... Aujourd'hui rien de bien beau. Mon lieutenant
a été blessé grièvement. Il doit
être mort à l'heure qu'il est...Il n'y a pas à
s'émouvoir, ça nous guette à chaque seconde.
On a assez à penser à soi sans s'attrister sur
les autres. Encore un brave de moins."
" 4 septembre 1916.... Rien
de nouveau sous le soleil, sauf que ce matin, les camarades d'en
face ont voulu jouer à l'âne et qu'ils ont reçu
la correction qu'ils cherchaient - c'est à dire des obus
et des balles dans la gueule - C'est moi le plus blessé,
je me suis coupé le pouce en coupant une miche dans la
boule de son. Dans l'émotion du combat, ça peut
arriver, quoique je ne m'effarouche guère."
" 18 février 1917....
Ben, ça va plus du tout chez nous. Les Boches attaquent,
nous aussi. C'est le fouillis quoi. C'est à présent
que la guerre va finir, qu'il faut se tuer avec le plus de brutalité".
Lucien André sera blessé
en mai 1918, et évacué sur l'hôpital d'Issoudun.
Il écrira encore : "Ma foi, il s'en est fallu de
peu que je sois maintenu au service armée... j'avais deux
blessures, un médecin voulait me renvoyer au service...".
Finalement il sera versé "de justesse" comme
auxiliaire.
Les journaux locaux, de manière
régulière font état de lettres reçues
du Front. Elles sont souvent publiées. Mais ce 20 novembre
1914, dans "La Dépêche du Berry" une lettre
est reçue par la rédaction ; c'est une histoire
poignante. Cette lettre a toute une histoire, elle fut envoyée
par une Berruyère à un soldat du Front sans famille.
Ce soldat devait recevoir avec ce courrier un colis comprenant
des vêtements et quelques vivres. Mais le soldat orphelin
ne recevra jamais le colis, il est tué au combat juste
avant la réception du précieux envoi. Alors, un
de ses camarades retourne la missive au journal local qui la
publie en ces termes :
" Mon Brave,
Il ne fait pas si bon dans les tranchées, qu'au coin du
feu, hein mon vieux ? Je ne regrette qu'une seule chose, c'est
que ma bourse ne m'ait pas permis de t'envoyer un bon caleçon
de laine, au lieu de celui-ci qui est en coton. Enfin je fais
cela d'un si bon coeur, que la tendresse qui l'accompagne te
tiendra lieu si tu le veux de ce qui peut te manquer."
Et la lettre se termine par ces mots d'espoirs
:
" Allons, au revoir, mon vieux, et tâche de
nous revenir bien portant, hein !
Ta famille inconnue, mais qui te chérit bien quand même".
signé G.P.
De tels témoignages montrent ce que fut la réalité
d'une telle boucherie.
DIFFICULTES
DE LA GUERRE A BOURGES
A partir de 1917, après trois ans
de conflit, à la suite de sévères défaites
militaires, des mutineries sur le front et de leur répression,
ajoutés à la révolution russe, le climat
psychologique va évoluer. Ce sera la lassitude, et bientôt,
"la renaissance des luttes, de l'action et d'un mouvement
pacifiste". Des manifestations vont se dérouler pour
protester contre la guerre, avec des défilés du
côté de la place Malus. De même, les grèves
commencent à prendre une ampleur importante, à
Vierzon, mais aussi à Bourges. Le maire Paul Commenge,
le 5 octobre 1917 interdit tout rassemblement dans le quartier
de la Pyrotechnie.
Le Ministère fera bientôt appel non seulement à
la main d'oeuvre féminine, mais à des ouvriers
venus d'Espagne, d'Indochine et même de Serbie. Les problèmes
de ravitaillement sont effroyables à partir de 1917. Pour
tenter de résoudre les problèmes posés,
un "Office Municipal de Ravitaillement" fut créé
le 2 mars 1917. Il s'agissait d'aider les commerçants
et les coopératives dans les approvisionnements des produits
de première nécessité. Assez vite, des produits
comme le savon ou les pâtes alimentaires se retrouvèrent
sur les étals, mais au printemps 1917, le sel a été
sur le point de manquer totalement. La viande fut contingentée
en mai de cette même année. Pendant deux jours par
semaine, les boucheries, triperies et charcuteries étaient
fermées et le 1er mars 1918, les Berruyers virent apparaître
les cartes de pain. Après le pain, le même type
de document fut exigé pour le tabac et le sucre. Avec
ces difficultés, la hausse du prix des produits de base
devint persistante. L'indice du coût de la vie passa de
926 au début de 1914 à 1500 vers la fin du conflit,
et les salaires ne suivirent pas. Bourges, par la présence
de travailleurs assez bien organisés et payés par
rapport au reste du département, devint un des centres
de France où le coût de la vie était devenu
le plus élevé.
Vers la fin du conflit, Bourges se révèle
comme un "foyer important de contagion du syndicalisme révolutionnaire".
Les syndicats des Etablissements Militaires assez modérés
auront fort à faire avec ces nouveaux syndicalistes plus
radicaux. Un des hommes de gauche parmi les plus influents, Venise
Gosnat nommé secrétaire du Syndicat, en février
1916 fera voter à l'unanimité un texte préconisant
toujours "l'Union Sacrée" :
"Tenant compte de la situation du pays dans l'épouvantable
tourmente ... les travailleurs des E.M. sont prêts aux
plus grands efforts pour aider dans leur tâche difficile
ceux qui ont charge de repousser l'envahisseur brutal, en leur
donnant tout le nécessaire en munitions et en canons ....
afin de hâter une paix victorieuse et éviter le
retour de semblables tueries dont la principale sera la déchéance
du militarisme prussien".
Ces motions ne dureront pas ; avec l'enlisement du conflit, des
voix vont s'élever : aux revendications très professionnelles
comme l'égalité des salaires entre hommes et femmes,
s'ajoutèrent assez vite en 1917, des mouvements plus politiques
rappelant aux jeunes, "qu'il faut cesser le conflit".
Les ouvriers étrangers ne seront pas en reste, ainsi,
au mois de janvier 1918, sous l'impulsion d'un des leurs, Miktschitch,
les ouvriers de Serbie "créèrent un syndicat
des ouvriers Serbes à la Bourse du Travail".
Le 1er mai 1918, une grève est décidée,
ils seront 8000 à suivre ce mouvement face à des
autorités médusées par tant d'audace. Mais
la contagion des pacifistes minoritaires ne se fera pas et les
Etablissements Militaires continueront à produire les
matériels de guerre qui s'en iront sur le front.
Bourges pendant la guerre,
C.G. Gignoux
Le socialisme dans le Cher, Claude Pennetier
Journal local La Défense de 1916
Archives Départementales du Cher 25 M 48
LES ETABLISSEMENTS
MILITAIRES
L'accroissement du personnel est considérable
dans les fabriques de canons et d'obus de Bourges. A l'Atelier
de Construction, il y a 729 employés au début du
conflit, ils seront 8376 à la fin de la guerre. De même,
la Pyrotechnie comprenait 1619 spécialistes des explosifs
en 1914, ils seront 12 500 quelques mois plus tard.
A la Pyrotechnie, les bâtiments et installations de production
existants furent utilisés au maximum de leur capacité.
Mais très vite, ils devinrent insuffisants, on adjoignit
deux grands ateliers de chargement des munitions ainsi qu'un
atelier pour produire le fulminate. Entre le début et
la fin du conflit, les surfaces se trouvèrent multipliées
par 5 !
Il en fut de même à l'Atelier de Construction, on
édifia à la hâte, des ateliers d'usinage,
mais aussi des magasins, des quais et même une usine d'alimentation
en eau. Les surfaces occupées furent multipliées
par 3 entre 1914 et 1918.
Les canons sortiront à grandes cadences,
le 65 mm de montagne, le 155 mm Rimailho, et enfin le 155 GPF
du Colonel Filloux. Ce dernier sera utilisé sur le front
à partir de 1917 , il figure parmi les armes qui furent
décisives pour la victoire. Les cadences de travail sont
importantes, on travaille 24 heures sur 24, et journalièrement,
il sort de Bourges, 40 canons de 75, il en sera produit au total
plus de 3000 exemplaires.
Les voisins de la Pyrotechnie avaient les mêmes préoccupations,
la plupart des munitions de l'Artillerie et de l'Aviation sortiront
de cet Etablissement qui était passé, en surface,
de 20 à 300 hectares. Les chiffres donnés pour
les productions de cette époque sont vertigineux.
- En 1918, la production journalière
atteignait :
80 000 cartouches de 75
40 000 fusées diverses
700 kilogrammes de fulminate de mercure.
En 1917, il y aura plus de 23 000 personnes,
logées pour beaucoup aux Bigarelles. La ville de Bourges
atteint alors le chiffre considérable de 100 000 habitants.
La région de Bourges est totalement axée sur l'économie
de guerre, la base d'Avord en est encore un exemple frappant.
Bourges pendant la Guerre, C.G. Gignoux
LA BASE
D'AVORD
La base d'aviation d'Avord située
à 20 kilomètres de Bourges n'avait que 2 ans d'existence
à la déclaration de la guerre. Elle va devenir
le plus grand centre européen de formation de pilotes.
Dans une publication, le Capitaine Morgat a parfaitement traité
cette période relative à la naissance d'Avord.
C'est par la volonté du Président de la Chambre
de Commerce, le banquier Albert Hervet, aidé du Prince
d'Arenbert, que se constitue un dossier visant à installer
une école d'aéronautique dans le département,
et cela dès 1910. Les autorités locales du Cher,
le 12 mai se mettent d'accord pour soumettre un dossier au ministère
afin que le Camp d'Avord devienne, en plus d'une garnison d'infanterie,
un champ d'aviation.
Tout se jouera lors d'une visite impromptue à Avord du
Ministre de la Guerre, Millerand, accompagné par le Chef
d'Etat Major, Joffre. Ils sont venus assister à des tirs
d'obus à la mélinite, et, sur leur lancée,
ils vont visiter le site d'Avord. Quelques temps plus tard, Avord
devient la 9e école d'aviation en France.
Pendant la guerre de 1914, la base se structura
; il y aura jusqu'à 1300 avions en permanence,
1000 élèves pilotes et 3000 mécaniciens.
Ces chiffres sont éloquents. Tous les "as" de
la guerre sont passés par le Cher : Guynemer, Nungesser,
Bourgeade, Haegelen, Fonck et beaucoup d'autres.
(Il y aurait eu 255 avions en 1915 et 1300
à la fin de la guerre 3 ans plus tard)
LES AMERICAINS
EN BERRY
C'est le 2 avril 1917 que le Président
Wilson, au nom des Etats-Unis, déclare la Guerre à
l'Allemagne. Au cours de l'été qui suit cet acte,
les premières troupes américaines arrivent en Berry.
Bourges et Vierzon étaient sur les lignes de communication
entre les ports de Nantes et Bordeaux, et le centre de concentration
et de triage des troupes US situé à Is-sur-Tille
en Bourgogne.
En 1918, quatre divisions américaines
s'installèrent dans la périphérie de Bourges.
La ville devint le siège du "Central Record Office",
(CRO), c'est à dire du centre chargé de tenir à
jour l'ensemble des dossiers du corps expéditionnaire
américain. Le Central Post Office (CPO) était associé
au CRO et ce furent 6000 militaires ( plus 500 auxiliaires
féminines anglaises) qui séjournèrent dans
la ville de Bourges pour ce qui fut appelé avec humour
"la Bataille de Bourges".
Ils sont installés à Marmagne
( très exactement à Beauvoir) et Foëcy. Des
journaux paraissent pour les américains, comme le "Mehun
News" qui est un périodique.
On retrouve ces Américains de curieuse manière
chez les Franc-Maçons de Bourges en 1918. La Franc-Maçonnerie
locale, avec la Loge "Travail et Fraternité"
n'avait jamais suspendu ses travaux pendant tout le conflit.
Il y avait bien eu quelques difficultés au début
de la Guerre, car de nombreux F.°. étaient mobilisés
et les plus anciens ne pouvaient plus se déplacer facilement
pour venir au nouveau Temple situé Boulevard Chanzy.
L'Atelier était placé sous
la Présidence de Marcel Soubret, parmi les Francs-Maçons
de l'époque, on retrouve les noms de Vatan, Grémillot
et Bruneau. Un jour de réunion, les Maçons berruyers
eurent la surprise de voir arriver à la porte du Temple,
deux "Frères" américains, Eisenberg et
Léo, d'une Loge de Chicago. Sans doute favorablement impressionnés
par cette "Tenue" en terre berrichonne, ils vont revenir
en délégation quelques semaines plus tard à
une autre "Tenue", et cette fois, ce sont 60 Francs-Maçons
américains qui prennent place sur les colonnes du Temple.
Après ce grand moment de Fraternité, les Américains
vont rendre la pareille à leurs "Frères"
berruyers et ils organiseront un grand banquet Franco-Américain
dans la Grande salle du Palais du Duc Jean, ils seront cette
fois 300 Francs-Maçons venus d'Amérique et stationnés
dans la région de Bourges. Cela donne une idée
de la puissance de cette Franc-Maçonnerie Américaine.
Pendant toute la durée de la guerre,
la Franc-Maçonnerie va se situer dans la mouvance de "l'Union
sacrée". Pourtant, au plan local, des travaux porteront
sur la fraternité Franco-Allemande entre les F.°.
qui se battent dans les tranchées. Un discours à
caractère très pacifiste sera entendu à
Bourges en pleine guerre, à la grande stupeur d'un délégué
de Paris, qui fera tout pour que de tels propos ne puissent pas
"sortir du Temple", il n'était pas admissible
à cette époque de vouloir démontrer que
la responsabilité du conflit était bien partagée
entre les deux camps. Les Francs-Maçons ont toujours été
très libres, en toute circonstance.
La guerre terminée, de nombreuses manifestations avec
les Américains seront organisées. Bourges verra
la présence du Général Pershing, commandant
en chef, puis celle de Margaret Wilson, la fille du Président
des Etats-Unis, qui donnera un concert aux troupes U.S. présentes
en terre berrichonne.
La présence sur le front de forts contingents de soldats
et de matériel venant des Etats Unis va permettre aux
Français et aux Anglais de terminer victorieusement ce
conflit.
LA VICTOIRE
DU 11 NOVEMBRE
Après quatre années de guerre,
le clairon de la Victoire retentit à Bourges et en Berry
comme une délivrance, avec un goût d'amertume et
un grand fatalisme.
La veille du 11 novembre 1918, le grand événement
qui est prévu à Bourges pour cette date qui deviendra
historique concerne les soldes sur les fourrures proposées
par le Grand Magasin "Des Dames de France". Le placard
publicitaire comprend un quart de page :
Le lendemain, alors que la presse locale
n'avait pas vu venir l'événement, c'est effectivement
dans "Le Journal du Cher" l'information attendue depuis
quatre ans. Les journaux locaux font leur première page
avec ce titre :
" Paris, 11 novembre,
10 H 40
L'ARMISTICE EST SIGNE"
Dans la même page, ces mots:
"L'armistice
est signé.
Cet événement heureux, qui restera l'un des plus
considérables de ce vingtième siècle, dont
les conséquences sont dès maintenant incalculables,
car il consacre l'effondrement de l'impérialisme, du militarisme
allemand, perpétuelle menace pour la paix du monde, survient
après quatre ans, trois mois et onze jours de guerre,
exactement au 1561e jour des hostilités.
Salut à notre héroïque armée !
Honneur à nos morts glorieux !
La France saura se montrer toujours reconnaissante pour nos soldats.
Elle conservera à jamais la mémoire de ses enfants
tombés au champ d'honneur".
La chronique locale peut être à
la fois "légère", avec les soldes des
"Dames de France", et devenir dramatique, 10 lignes
plus loin. C'est ainsi que l'on apprend le 12 novembre, que le
fils du commandant Deville, major de la garnison de la Ville
de Bourges "vient de recevoir la cruelle nouvelle que son
fils était tombé au champ d'honneur". En effet,
le jeune René Deville, un Saint Cyrien de 20 ans, avait
été mortellement atteint d'une balle dans la tête
en entraînant sa section à l'assaut quelque part
dans les Ardennes, loin de son Berry.
Il y a donc ceux qui font la fête
: c'est le soulagement de 4 ans d'horreur, et ceux qui pleurent.
Peu de familles ont été épargnées,
les monuments aux morts "qui vont fleurirent " en sont
aujourd'hui encore le témoignage.
Pourtant la population berruyère
n'était pas au bout de ses peines. Dans l'hiver 1918-1919,
une terrible maladie se déclara : on l'appela la grippe
espagnole. Déjà, elle sévissait dans plusieurs
points de France, dans des zones généralement surpeuplées.
Et c'était bien le cas de Bourges. La population avait
été de 100 000 âmes durant la guerre, et
ces derniers mois, 18 000 prisonniers ont été rassemblés
à Bourges, une conséquence de la signature de l'armistice.
Mais le mal va se répandre à cause du rationnement
du pain, nourriture de base, et de l'utilisation pour sa fabrication,
de farines peu panifiables, "dont l'ingestion provoquait
des troubles de l'appareil digestif, diminuant la force de résistance
et créant ainsi un terrain favorable à l'éclosion
de la maladie".
Après les manifestations de joie du 11 novembre, succédait
cette nouvelle épreuve dans laquelle, là encore,
peu de familles furent épargnées. Il y aura en
1918, 2143 morts par la grippe espagnole et 1418 l'année
suivante. L'hôpital auxiliaire ouvert dans le couvent des
dames de La Charité, route de Saint Michel, fut transformé
en hôpital des épidémies.
Ce fléau fera, dans l'ensemble des pays où il passera,
plus de vingt millions de morts, pour la plupart âgés
de 20 à 40 ans, surtout parmi les troupes ayant survécu
au conflit armé.
Le Journal du Cher nov 1918
La Dépêche du Berry nov 1918
Bulletin Municipal de Bourges 1919
LA POLITIQUE
REPREND LE DESSUS
La guerre est terminée, c'est "la
der des der", et la politique reprend le dessus. En 15 jours
de temps vont se dérouler dans tout le pays, les élections
Législatives, puis les Municipales. C'est l'effervescence
à Bourges où les listes s'établissent. Du
côté des socialistes, la tendance des modérés
emporte les suffrages des militants lors du congrès départemental
d'octobre. Laudier, secrétaire de la Fédération
devient pour les deux cas, tête de liste, il est suivi
d'Emile Dumas député sortant, puis Charles Migraine,
Pierre Hervier, secrétaire de la Bourse du Travail et
enfin Augustin Durand, marqué "négociant à
Bourges", et qui "représentait la Loge de Bourges".
Deux autres listes lui sont opposées, l'une conduite par
Breton, avec Plaisant Valude et Foucrier, ils sont appelés
"Concentration Républicaine" et bénéficient
de l'appui du grand journal local "La Dépêche
du Berry". Enfin, une troisième liste dite "d'Union
Nationale", avec Dubois de la Sablonnière est inscrite.
Pierre Hervier est né le 13 septembre
1868 à Bourges. Jusqu'à la guerre, c'est lui qui
va organiser l'action syndicale dans tout le département
du Cher. Antimilitariste notoire, Hervier n'était pourtant
pas un des plus extrémistes. Aussi, lorsqu'il fut arrêté
en juillet 1913 pour avoir organisé "le sou du soldat",
les protestations du monde syndical tout entier furent retentissantes.
Il était parmi les socialistes de la première heure,
mais pendant tout le conflit, lui, l'anti-militariste entra dans
"l'Union Sacrée". Il resta à Bourges
pendant la guerre et fut le principal rédacteur du journal
"La Défense", organe des socialistes, remplaçant
à la fois "L'Emancipateur" et "Le Syndiqué
du Cher". Il eut en cette occasion à concilier les
positions les plus extrêmes. Il s'opposa au pacifisme qui
se développait aux Etablissements Militaires, tout en
soutenant la grève du 1er mai 1918, pour ne pas être
débordé par les minoritaires.
Au moment où il se présentait
aux Législatives, il faisait une demande pour entrer dans
la Loge maçonnique de Bourges. Les rapports d'enquête
furent très favorables, même si quelques F.°.
demandèrent au récipiendaire de s'expliquer sur
certaines attaques contre les Francs-Maçons qu'il avait
faites avant-guerre. Hervier s'en tira bien et fut initié
en juillet 1920.
Les relations entre les adeptes de la Franc-Maçonnerie
et les partisans de la IIIe Internationale passeront par des
phases difficiles. Ainsi, en novembre 1922, au Congrès
de Moscou, les Francs-Maçons durent choisir entre leur
appartenance à l'Ordre Maçonnique ou au Parti Communiste.
Ils étaient en quelque sorte "excommuniés".
Pierre Hervier le syndicaliste Franc-Maçon
Collection Claude Pennetier
Sur la notice individuelle de Laudier retrouvée aux Archives
Départementales, et rédigée par le Préfet
d'alors, on retrouve strictement les mêmes mots qu'en 1914,
avec toutefois, en fin de page cette annotation :
" Son influence a été suffisante encore pour
se faire élire par un parti dont il cherchera à
s'évader à la première occasion".
Au cours d'une réunion publique
contradictoire, comme cela était courant alors, il y avait
à la tribune, Breton, Plaisant, Foucrier, Dubois, Laudier
et Migraine. C'était à Vierzon devant 2000 personnes,
essentiellement des ouvriers.
Laudier va s'exprimer à la suite
de Breton, "dans un calme absolu" signale le journaliste,
et il évoque les suites de ce qui est la victoire :
"La victoire
militaire n'est rien par rapport à la défaite financière...
Si les Unifiés arrivent au pouvoir, les fortunes seront
abattues par le sommet et par le monopole bien organisé,
on établira l'ordre."
En 1919, cela fait deux ans que Lénine
est au pouvoir en Russie, chacun se demande ce qui se passe là-bas,
Laudier parle de ce qu'il sait :
"Les Soviets en Russie fonctionnent bien, "
Mais il ajoute, prudent comme un vrai Berrichon
:
"On ne peut pas se baser ni en bien, ni en mal, vu
qu'on ne sait rien de positif. Je suis reconnaissant qu'on ait
aboli le gouvernement Tsariste."
Et il termine ainsi son propos à
la tribune:
"On veut le pouvoir pour remplacer la Société
actuelle par une Société meilleure".
La campagne électorale n'est pas
très animée, il faut relever le pays, on parle
des 1 million 700 000 morts, des 500 000 mutilés et de
la ruine économique, le pays a 240 milliards de dettes.
Laudier sur ses affiches électorales insiste sur l'enseignement,
"un enseignement intellectuel et physique, classique, technique
et agricole en un service unique d'Education Nationale gratuit
et obligatoire". Son programme contient un mot sur le désarmement
général de tous les peuples, et sur la lutte contre
la tuberculose.
Et il signe avec cette formule très courageuse :
"
Républicains, libre-penseurs, ouvriers, paysans, votez
rouge le 16 novembre pour la République Sociale".
Le scrutin en France voit les Socialistes traités d'internationalistes
et les radicaux tenus responsables de l'impréparation
de 1914 en difficulté. Inversement, la droite et le centre,
rassemblés dans un "Bloc National" sont en bonne
position. C'est aussi la défaite des anciens parlementaires.
A Bourges c'est l'inverse, seul Laudier est élu pour les
Socialistes. La liste Dubois obtient un élu alors que
Breton entre à la chambre avec deux autres de ses colistiers.
Il faut dire que cette liste formée de Radicaux avait
de quoi plaire à la population. Ainsi Valude est revenu
du front amputé de la jambe droite, Breton est le promoteur
en France du Tank, Plaisant a été captif pendant
plus de trois ans, enfin Foucrier a perdu à la guerre,
son fils unique. Les radicaux battent les socialistes largement,
Breton obtient environ 32 000 voix et Laudier 21 000.
Jules Louis Breton est né dans le Nord un 1er avril 1872,
son père était maire d'une petite ville et exerçait
la profession de brasseur. Le jeune garçon fit de solides
études et devint ingénieur-chimiste, il mènera
avec une égale réussite ses travaux scientifiques
et son action sociale. Car il s'engage très vite aux côtés
des socialistes, et sera un disciple de Vaillant. En 1894, il
publie un article dans "Le Parti Socialiste" et se
retrouve inculpé selon les lois de l'époque sur
la presse. Il est condamné à deux ans de prison,
malgré la défense exercée par son avocat
: Viviani.
Breton sera élu dès 1898 au parlement dans la seconde
circonscription de Bourges incluant Vierzon, une brillante carrière
politique commençait.
Sur le plan scientifique, il utilise ses résultats de
laboratoire pour faire avancer son action sociale. En 1908, à
la suite de travaux sur le plomb, Breton obtient la prohibition
de la peinture au blanc de céruse, quelques années
plus tard, il fait publier la loi sur les maladies professionnelles
qui prendra le nom de "loi Breton". Breton deviendra
membre de l'Institut, Ministre et Directeur des Inventions.
Autre personnage élu au cours des
élections de 1919 : Henri Laudier se retrouve député
du Cher, il entre dans la Chambre dite "bleu horizon".
Sur sa lancée il va prendre la mairie de Bourges au cours
de ce même mois de novembre 1919, il a 41 ans.
Archives Départementales
du Cher 20 M 43
Claude Pennetier : Biographies des militants socialistes, communistes
et syndicalistes du Cher
Archives du Grand Orient de France
LAUDIER
LE ROUGE PREND LA MAIRIE DE BOURGES
La campagne électorale à
Bourges sera très curieuse. Les élections doivent
se dérouler le 30 novembre 1919, et trois jours auparavant,
un journal local écrit :
"Nous sommes à 4 jours des élections municipales
et les électeurs s'étonnent de n'avoir vu aucune
affiche ni aucune annonce de candidature. C'est qu'ils ignorent
encore les manoeuvres de toute sorte et les tractations pénibles
des partis de droite pour jeter la confusion dans le corps électoral."
Ce quotidien n'a pas tort, car des manoeuvres, il y en a !
Alors qu'au Grand Palais, à 20 H
30 se joue une grande représentation théatrale
: "Médor ou je ne trompe pas ma femme", un vaudeville
en 3 actes, sur la scène politique tout se joue en quelques
heures. Le 28 novembre, la liste dite "d'Union Républicaine
et Socialiste" est publiée ; c'est la surprise. Elle
comprend en effet, côte à côte, les anciens
ennemis politiques, qui se sont durement affrontés quelques
jours auparavant aux législatives : Foucrier et Laudier.
Le Journal du Cher, qui patronnait la liste de "Concentration
à Droite" est furieux, il parle de cette liste contre
nature Laudier / Foucrier comme d'une liste de bolcheviks. Avec
les deux leaders, dont on ne sait pas trop qui prendra le dessus,
il y a Boyron, Bonnard, Augustin Durand, Georges Lamy et Galopin
; ils sont soutenus par la puissante "Dépêche
du Berry" qui appartient toujours à Jean Foucrier.
La campagne électorale, en fait, n'aura duré que
quelques heures. On retiendra un discours de Laudier, le 29 novembre
:
" Citoyens,
" Acceptez-vous que l'Hôtel de Ville soit à
nouveau livré aux partis de la réaction, alors
que le résultat des législatives commande impérativement
un coup de barre à gauche ?", Et il termine par:
" L'heure est particulièrement grave, Vive la République
laïque, démocratique et sociale".
L'affrontement entre les deux listes est
brutal, il y a des airs de tragédie et de trahison, et
quelques heures avant le vote, dernier coup de théâtre
: le maire Paul Commenge invite à voter pour la liste
Foucrier / Laudier. "L'affiche Commenge" ne suscitera
aucune contre-partie de la part de Pierre Dubois.
"Le Journal du Cher" ne sait plus que penser. Après
le triomphe de la droite aux Législatives, l'élection
municipale ne pouvait être qu'une réplique fidèle
de la quinzaine précédente. Mais l'éclatement
de la coalition Breton / Foucrier, et de l'alliance de ce dernier
avec le parti extrémiste, va brouiller les cartes. Comme
le rédacteur l'écrira : "Sans prévoir
une défaite aussi complète et aussi écrasante
à Bourges, nous la redoutions...".
Les résultats sont en effet surprenants
; la liste Foucrier / Laudier obtient la victoire avec une majorité
de 1700 voix de plus en moyenne, et tous les inscrits de la liste
sont élus. Laudier est en 22e position avec 4675 voix,
Foucrier arrive en tête avec 4992 voix. Le "Bloc de
droite" qui comprenait Achille Chédin, de Grossouvre,
Cassier, Magdelena, Potier, De Saint Venant, est écrasé,
elle était pourtant formée d'hommes de valeur qui
possédaient et géraient des entreprises parfois
importantes, la déception est grande dans la droite classique.
Lorsque Chassin, "ex-conseiller" proclame les résultats,
il est une heure du matin. C'est une immense acclamation et "un
triple ban" qui accueille la proclamation. Un millier de
berruyers crient leur joie, et ce sont les chants comme "l'Internationale"
ou les slogans du type : "Vive le Bolchevisme !" qui
sont entendu devant la salle des fêtes du lycée.où
se déroulait le dépouillement.
Il n'est pas certain que les électeurs
de cette liste "Républicaine" aient voté
pour Laudier le Socialiste, mais qu'ils se soient davantage prononcés
pour Foucrier comme maire. Les rayures sur Laudier montrent qu'il
avait quelques problèmes avec certains électeurs....
En fait, tout s'est joué en coulisse et Laudier sera élu
Maire.
Son discours de victoire sera dans la ligne de l'époque
:
" Citoyens,
" La victoire a couronné nos efforts, je demande
de l'accueillir dans le calme et la dignité. Je remercie
ce vieux Républicain Paul Commenge.... Je demande à
tous de ne pas oublier la leçon de cette victoire. Confiance
et discipline. Demain, de nouvelles batailles nous appelleront.
J'espère qu'elles nous amèneront de nouvelles victoires.
"Vive la République laïque démocratique
et sociale".
Alors que Vierzon s'est aussi donnée
un Maire de gauche, Emile Perraudin, et que la France soigne
ses plaies et se délecte dans l'affaire Landru, Laudier
se met au travail dans son Hôtel de Ville, il y restera
près de 24 ans !
Archives Départementales
du Cher 23 M 256
LA DIFFICILE
RECONVERSION DE L'APRES-GUERRE
L'activité industrielle principale
de Bourges avait été consacrée depuis 4
ans à une intensive production de guerre. Mais comme il
s'agissait de la "der des der", il n'était plus
nécessaire de "sortir" des munitions et autres
canons. La reconversion de milliers de travailleurs devenait
nécessaire.
Dès la fin des hostilités, les syndicats se mirent
en avant pour empêcher les licenciements. Ils demandèrent
la transformation immédiate des Etablissements Militaires
en Office Industriel. L'idée qui prévaut est alors
de mettre 3000 ouvriers à l'entretien des machines et
bâtiments ; quant aux autres, la fabrication de matériel
de chemin de fer et de machines agricoles pourrait occuper 12000
personnes.
A partir de janvier 1919, la tension commence à monter.
Toute la population est inquiète, les ouvriers bien sûr,
mais aussi les commerçants qui voient avec frayeur la
baisse de leur chiffre d'affaire. Au cours d'une grande réunion
syndicale rassemblant plus de 8000 personnes, il est demandé
:
"Qu'au travail de guerre pour lequel
ils ont été créés, succède
immédiatement le travail de paix dans ces établissements
supérieurement agencés et outillés pour
toutes sortes de production... Ils réclament avec énergie
la continuation de leur exploitation par l'Etat".
Lorsque des visites de responsables de l'industrie privée
comme Citroën ou Schneider, viennent en mission afin d'examiner
le parc machines qu'ils pourraient acheter, c'est la révolte
à la fois des syndicats et des hommes politiques. Laudier
et Hervier vont se dépenser sans compter pour qu'aucune
machine ne soit démontée et envoyée sous
d'autres cieux.
Les marchés des Etablissements Militaires
vont comporter quelques éléments de wagons et de
matériel agricole, mais cela ne donnait plus du travail
pour des milliers d'ouvriers. Le ministre de la Reconstruction
industrielle recevra les desiderata des syndicats et de la population
de Bourges, mais il ne voit une solution que dans l'activation
des affaires civiles, qui sont lentes à mettre en oeuvre,
il écrira :
"la
congestion de certains centres qui, dans l'état de production
de guerre, avaient dû recevoir une population tout à
fait hors de proportion avec celle qu'ils pouvaient normalement
absorber, je cite, par exemple, la ville de Bourges".
La Pyrotechnie se mit à réparer
un millier de wagons, alors que l'Atelier de Construction "végète
dans un marasme à peu près complet" dira Gignoux,
seront produits environ 1500 chariots de culture en 1920.
Cette situation ne pouvait pas continuer ainsi ; Laudier, en
bon gestionnaire qu'il devenait, trouvait que "la principale
difficulté que rencontraient les établissements
d'Etat pour s'adapter à la vie industrielle moderne provenait
de la sujétion administrative à laquelle ils sont
soumis".
Dans un projet de loi en date du 26 mai
1921, portant le numéro 2-683, Laudier soumet à
la Chambre des Députés un texte pour placer la
gestion "des établissements constructeurs de l'artillerie"
à un Conseil Central composé par tiers de représentants
de la production dont la moitié serait désignée
par le personnel. Un second tiers rassemblerait les représentants
des consommateurs ; enfin, le dernier tiers serait formé
des représentants des Pouvoirs Publics. C'est ce Conseil
qui nommerait les dirigeants de l'entreprise. L'Office aurait
un budget autonome et pourrait faire des bénéfices,
lesquels seraient distribués à l'Etat et aux oeuvres
sociales de l'Etablissement. En cas de déficit, c'est
l'Etat qui couvrirait les pertes dans l'éventualité
d'un fond de réserve insuffisant. C'est sans doute dans
cette hypothèse que le projet a quelques failles.....
Enfin, l'Office pourrait se procurer des capitaux par l'emprunt
à court terme.
Ce projet d'essence très moderniste
"bouleverse tous les errements suivis jusqu'à ce
jour en France dans les industries d'Etat" selon l'opinion
de Gignoux, est accepté par tous les partis. C'est le
moyen de sauver l'emploi et d'utiliser les machines-outils, il
y a quelque mille tours de toutes dimensions à la fonderie
de Bourges.
Mais il est très difficile de reconvertir
une industrie de guerre dans les activités civiles. Peu
à peu, les effectifs des Etablissements Militaires vont
se réduire pour revenir à un chiffre d'environ
3 500 employés, à peine plus important qu'avant-guerre.
La population de Bourges revenant pour sa part à une valeur
de 45 942 habitants au recensement de 1921, soit 207 de plus
qu'en 1911.
La ville de Bourges sort de quatre ans
d'épreuve dans un état identique à celui
d'avant-guerre, avec toutefois 1475 tués à l'ennemi.
La ville n'a pas changé, les foules ouvrières ont
quitté les rues sans laisser de trace. La cité
ouvrière, une des plus grande de France, est un lointain
souvenir ; Bourges n'a pas pu ou su profiter de l'apport industriel
de ces années. Elle pourrait retourner à un engourdissement
qui lui va assez bien. Un homme va réveiller cette torpeur,
c'est son maire : Laudier. Dans des années agitées
sur le plan politique, il va transformer la ville.
- Les régiments de
Bourges
-
- En 1914 un régiment d'infanterie
comprend 3400 hommes.
-
- Dans le Cher, il existe un régiment
prestigieux d'infanterie, qui remonte du XVIII e siècle,
c'est le 95° de Ligne qui prend place à Avord
dès 1875. Sur le drapeau, on note des noms de batailles
comme Austerlitz, Anvers, Sébastopol ou Puebla.
- Ce régiment est formé de
berrichons pour l'essentiel, il occupe les casernes Condé,
Auger et Vieil Castel.
- Ce régiment va quitter Bourges
le 6 août 1914, il appartient au 8 ° Corps d'armée,
au sein de la 16° division d'infanterie, et avec le 85°
régiment stationné à Cosnes sur Loire, le
95° régiment de ligne forme la 31 ° brigade.
-
- Autre régiment, celui d'artillerie, avec 2 régiments d'artillerie de campagne,
le 1 er et le 37° qui sont aussi à Bourges, très
proches des Etablissements militaires. Ils sont équipés
de 9 batteries, c'est à dire 36 canons de 75 mmm, le meilleur
canon de l'armée, .... fabriqué à Bourges..
Rapide, ce canon est léger et rapide : 8 coups à
la minute.