La guerre de 1914 - 1918 a Bourges par Roland Narboux - Encyclopédie

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LA GUERRE DE 1914 - 1918 A BOURGES
Par Roland NARBOUX

La guerre de 1914 - 1918 à Bourges, cité militaire modifie la cité et reste un drame pour les habitants.

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Version 2009

 

Bourges, cité militaire est aussi acquise à la guerre "nécessaire contre l'Allemagne", il faut reprendre l'Alsace et la Lorraine, c'est le grand sujet d'alors. Les instituteurs, "ces hussards noirs de la République" le répètent depuis 30 ans à leurs élèves. Chacun est persuadé que cet inévitable conflit sera réglé en quelques semaines. C'est la première guerre mondiale qui approche avec ses millions de morts.

Cet article complet fait le point en plusieurs dizaines de pages sur Bourges pendant ce conflit.

La guerre 1914 /1919

- Les élections législatives de 1914
- A la veille du conflit
- La guerre de 1914 à Bourges
- Nouvelles du Front
- Difficultés de la guerre à Bourges
- Les Etablissements Militaires
- La base d'Avord
- Les Américains en Berry
- La Victoire du 11 Novembre
- La politique reprend le dessus
- Laudier le rouge prend la mairie
- Les difficultés de la reconversion des industries d'armement
- Les régiments du Cher dans le conflit

1914, l'aviation en France est toujours aussi populaire, et l'exploit de Roland Garros traversant la Méditerranée en septembre 1913 est salué par toute la presse. Dans le domaine artistique, le pays respire : on a retrouvé la Joconde qui avait été dérobée deux ans plus tôt. La peinture commence sa révolution, les impressionnistes cèdent la place à l'art "moderne", avec les recherches de Kandinsky qui va réinventer la peinture et amener l'art abstrait.
A Bourges, la peinture est elle aussi au devant de la scène. C'est pour la population l'occasion de s'en aller admirer les oeuvres picturales très classiques des Anciens Elèves de l'Ecole des Arts appliqués à l'Industrie pour la quatrième exposition organisée par "le Mouciau". Nous sommes au mois d'avril 1914 alors que chacun s'apprête à s'en aller voter.

LES ELECTIONS LEGISLATIVES DE 1914

La guerre est proche, mais la France reste une démocratie avec des échéances électorales, c'est ainsi que les législatives sont prévues pour le mois d'avril 1914.
Dans la première circonscription de Bourges, ils sont trois candidats à se présenter. Il y a le député sortant, Debaune, radical socialiste ; en face, un homme de droite baptisé "progressiste" par les uns et réactionnaire par les autres, Dubois de la Sablonnière, et enfin Laudier qui se présente comme socialiste unifié.
Les documents établis par la Préfecture du Cher sur chaque candidat sont éloquents. En ce qui concerne la perception du pouvoir politique vis-à-vis de Laudier, il est écrit dans les fiches des "Renseignements Généraux" :
" Sans instruction première, a su, grâce à sa valeur personnelle acquérir des notions générales très étendues, qui font de lui un esprit d'apparence cultivé.
Très intelligent, d'un réel talent de parole, a pris au conseil général, une place prépondérante.
A mesure qu'il s'affirme, ses opinions s'adoucissent et son influence dans les milieux ouvriers a plutôt tendance à décroître."
Laudier est donc perçu comme un personnage avec lequel il faudra compter.

Quant à l'intéressé, il signe ses professions de foi en évoquant la "République laïque". Il se présente comme un antimilitariste, prônant et défendant l'école laïque, il demande la proportionnelle, parle des retraites et du problème social des femmes en couche pour lesquelles il faut une loi, enfin, il s'engage, s'il est élu à proposer le retour immédiat "aux deux ans". Il se dit Républicain, Socialiste et Libre Penseur.
Dans le grand rendez-vous du 26 avril 1914, à la Salle des Fêtes, les quatre principaux candidats sont présents. Il y a Laudier, de la Sablonnière, Debaune et enfin Armand Mitterrand. Laudier est le premier à prendre la parole, il fustige Monsieur Dubois, qui est, pour le socialiste, le candidat de l'archevêché. Le second orateur est l'offensé, Dubois de la Sablonnière qui attaque à son tour Laudier. Il n'a pas la salle avec lui, laquelle manifeste bruyamment sa désapprobation et il doit laisser la parole à l'orateur suivant. Ces soirées électorales étaient un grand moment sur le plan local, et la campagne auprès des électeurs était très âpre.

Le 26 avril, au 1er tour, Laudier recueille 5108 voix, devancé par Dubois avec 6875 voix et Debaune 6020. Le très bon score de Laudier s'explique par "des voix réactionnaires qui se sont portées sur Laudier, afin qu'il devance Debaune, et favorise ainsi Dubois lors d'un second tour dans lequel le député sortant aurait été éliminé". C'est en tout cas l'analyse du préfet du Cher.

Avant le second tour, Laudier se désiste en faveur du radical Debaune qui sera facilement réélu avec 10 293 voix face à Dubois qui n'en recueille que 7773.
Sur les désistements, une campagne de presse dénonce "l'invasion maçonnique", car, remarquent les journalistes, en France, tous ceux qui se sont désistés ont obéi à un chef d'orchestre mystérieux : "le grand pontife de la Franc-Maçonnerie", d'ailleurs, "les Francs-Maçons sont à la tête du Parti Socialiste". Les caricatures fleurissent dans les journaux nationaux et locaux.
Sur le plan national, ces élections enregistrent une forte poussée des socialistes, la S.F.I.O. gagne 30 sièges, elle en possède désormais 102. Les radicaux se maintiennent et, avec l'appoint de républicains "socialisants", la gauche a la majorité à la Chambre. C'est Viviani après quelques péripéties qui forme le gouvernement, il propose une réforme électorale, un impôt progressif, des mesures sociales et une modification de la loi militaire. Des mesures assez à gauche.

Viviani n'aura pas le temps de mettre son programme à exécution, le 28 juin l'Archiduc François-Ferdinand, héritier du trône austro-hongrois est assassiné à Sarajevo. La poudrière des Balkans va sauter. La Serbie est mise en accusation, la Russie se porte à son secours, l'Autriche-Hongrie veut en finir avec les Serbes et la France tout comme l'Allemagne, par le jeu des alliances, veut en découdre :
Ce sera la guerre.

Archives Départementales du Cher 20 M 42

A LA VEILLE DU CONFLIT

Bourges, cité militaire est aussi acquise à la guerre "nécessaire contre l'Allemagne", il faut reprendre l'Alsace et la Lorraine, c'est le grand sujet d'alors. Les instituteurs, "ces hussards noirs de la République" le répètent depuis 30 ans à leurs élèves. Laudier lui, est socialiste, il est très minoritaire sur la conduite à tenir dans ce conflit qui pointe. Il est avant tout, en 1914, un antimilitariste acharné, il n'a sans doute pas participé au grand meeting du 31 juillet 1914 au Palmarium car dans les rares documents disponibles sur ces journées, il ne figure pas parmi les orateurs. Ce meeting sera l'objet de polémiques, et beaucoup à Bourges, vont dénoncer "cette réunion antimilitariste et antipatriotique", demandant au gouvernement son interdiction. Elle se déroulera néanmoins devant 1500 personnes, à la seule initiative de la CGT, la Fédération Socialiste prenant en cette occasion le profil bas. Les renseignements généraux signalent que tout fut calme, que les grands chefs et élus socialistes n'étaient pas présents et comme le note Claude Pennetier, même si la foule se sépara au chant de "l'Internationale", le coeur n'y était pas, il y avait même un certain découragement chez les militants de gauche.

Les événements se précipitent, c'est l'assassinat de Jaurès, le 31 juillet 1914. Le grand orateur, député du Tarn et directeur de l'Humanité avait écrit la veille dans son journal : " C'est à l'intelligence du peuple que nous devons faire appel si nous voulons qu'il puisse rester maître de soi, refouler les paniques, dominer les énervements pour écarter de la race humaine l'horreur de la guerre". Il dénonçait ceux qui pensaient que la guerre serait courte et rapide. Car la majorité des gouvernants sont convaincus que cette guerre moderne sera terminée en quelques jours.
Et puis, c'est l'enchaînement des alliances, des déclarations et le début des hostilités. "Le Journal du Cher", comme ses confrères, donne de la situation une image très offensive. Cela va "des Allemands qui se conduisent en barbares", aux "ovations de la population anglaise devant les ambassades de Russie et de France...."

Dans ces journées dramatiques, Laudier va, comme les autres socialistes, changer de position de manière radicale en quelques jours. Ainsi, il écrira dans l'Emancipateur de cette période:


" Non, le socialisme international ne laissera pas sombrer le progrès et la civilisation dans les horreurs d'une guerre qui ne peut servir que la ploutocratie... Levons-nous de partout, à la ville comme à la campagne, clamons notre inébranlable volonté d'épargner à notre pays et aux autres l'ouragan de fer et de feu que d'aucun tiennent en réserve".

Mais cette belle proclamation contre la guerre va voler en éclat. Comme Vaillant et bien d'autres, Laudier s'écriera "Vive la Nation" et les socialistes rempliront leur devoir, ils s'en iront à la guerre, la fleur au fusil. "pour la Patrie, pour la République et pour l'Internationale."
"Le Journal du Cher" retransmet fidèlement l'état d'esprit des Berruyers de l'époque, dans son numéro du 3 août 1914 : "Oui, en lisant l'affiche de mobilisation, chaque citoyen jurait de faire payer cher à l'Allemagne ces rodomontades !" et il terminait ainsi : " Enfin, le compte depuis longtemps ouvert va être réglé ; l'Allemagne provocatrice va trouver à qui parler!".

Archives Départementales du Cher 25 M 174
Journal du Cher 1914
Claude Pennetier, Le socialisme dans le Cher 1851 -1921

LA GUERRE DE 1914 A BOURGES

Après le 2 août et la mobilisation générale, le titre de la "Dépêche du Berry" en date du 4 août est des plus optimistes. Il est écrit : "calme et confiante notre population se prépare à la guerre", avant un chapitre très cocardier avec ces mots : "L'armée est enthousiaste et croit au succès de la France". La soirée du samedi est fébrile à Bourges, la population se rend en masse à l'Hôtel des Postes pour avoir des nouvelles sur l'ordre de mobilisation. Celui-ci arrive et "la confiance règne et un esprit de décision remarquable est à signaler" écrit un journaliste.
Au Grand Café, les officiers et soldats, après le dîner, entonnèrent des chants patriotiques, avec l'aide de l'orchestre de l'établissement. Le dimanche, alors que le temps est radieux, Bourges se transforme peu à peu en véritable camp retranché, les militaires se rendent dans leur cantonnement, ils prennent tous les établissements publics, la troupe occupe le cinéma, les garages automobiles et même le cercle littéraire de la rue Moyenne., "toute la journée, c'est dans les rues de Bourges une animation sans exemple". Bourges cité de l'armement et siège du 95e Régiment, d'Infanterie va commencer à vivre, de l'arrière, la première guerre mondiale.

Laudier n'est pas envoyé au front, il est mobilisé sur place à Bourges, dans les services de la santé. Il avait été réformé lors de son service militaire en 1899 à cause de sa mauvaise vue. Il laisse de côté ses idées généreuses et comme l'ensemble de ses concitoyens, il milite pour la guerre. Le 23 août il écrira qu'il veut la Victoire "pour qu'enfin l'humanité soit délivrée de l'Attila monstrueux qui veut l'égorger". Dans les débuts du conflit, comme beaucoup de Français, il pense à une rapide victoire, il s'exprime ainsi en novembre 1914 : "c'est encore quelques semaines à patienter d'ici que l'ennemi se décide à déguerpir de son terrier".

Chacun connaît la suite : il faudra 4 ans de combats, des millions de morts et des pays ruinés. La grande boucherie de 14/18 ne fait que commencer.
Un des premiers drames qui touche le Berry, c'est la mort d'
Alain-Fournier. L'auteur du Grand Meaulnes est abattu à la tête de sa section, par la volonté d'un Capitaine idiot. Il faudra attendre le printemps 1992 pour retrouver son corps aux Eparges, et faire la lumière sur une mort qui fut controversée, quant à ses circonstances. Il ne semble pas que cette mort, à Bourges ait provoqué à l'époque, quelques émotions. La gloire d'Alain-Fournier sera posthume.

Dès le mois d'août 1914, c'est un véritable flot de population qui se présente en Berry. Les réfugiés des territoires occupés par les troupes allemandes, essentiellement des Belges et des Français de la région de Dunkerque, affluent et sont bientôt logés soit chez l'habitant, soit dans les hôpitaux de la Ville.
Face à cette situation, la municipalité de Paul Commenge commence à réagir avec les problèmes posés par le ravitaillement. Un décret en date du 3 août interdit de "sortir" de la commune de Bourges les marchandises et autres denrées. Quelques jours plus tard, c'est la constitution de stocks des produits de première nécessité, comme le sucre, la farine, le café ou l'essence qui sont entreposés dans des bâtiments de la ville.

A Bourges, la vie a repris, on attend les communiqués, les lettres de ceux qui sont au front, on suit l'avance de nos troupes. Chaque famille a un père, un fils, un cousin au front, alors l'existence s'organise. C'est assez vite, une certaine désolation dans les campagnes par manque de main d'oeuvre, c'est aussi dans les villes et à Bourges, l'arrivée massive des femmes sur le marché du travail.
Pigenet, dans le livre "Terre de lutte", écrit que "cette main d'oeuvre plus docile permet au patronat d'accroître le rendement et les profits par l'accroissement des cadences, la mise en place du Taylorisme et la restriction des libertés syndicales". Si ces propos sont excessifs, ils ne sont pas totalement erronés, la guerre est dure pour ceux qui sont au front tout comme pour la majorité de ceux qui sont à l'arrière. C'est d'autant plus vrai à Bourges, avec les Etablissements Militaires qui drainent une population de travailleurs et travailleuses importante.

Ce n'est qu'à partir de 1915 que le gouvernement comprit que la guerre serait plus longue que prévu et qu'elle serait gagnée par le pays qui posséderait le meilleur matériel. Pour le fabriquer dans les Etablissements Militaires, les ouvriers d'usine mobilisés affluèrent. Des groupes compacts de 500 familles se présentèrent à Bourges. Puis ce furent des Marocains, Chinois Indo-Chinois et autres travailleurs Kabyles qui arrivèrent, ainsi que des Portugais. Bourges eut à résoudre alors le problème du logement. L'hôpital Lariboisière tout comme le séminaire Saint-Célestin (actuellement Lycée Jacques Coeur) furent réquisitionnés pour servir de logements.
La transformation de bâtiments publics, comme les écoles, en logements eut pour conséquence la désorganisation de l'enseignement, les cours se donnaient dans des maisons particulières, et les Directeurs d'Ecole réclamaient leurs locaux à l'Autorité Militaire qui avait d'autres soucis. C.J. Gignoux note toutefois que la scolarisation ne souffrit pas de ces perturbations.

Sur le plan de l'hygiène, l'importance de cette population vivant dans des conditions précaires, ne se traduisit pas par des maladies ou autres épidémies, du moins jusqu'à la fin de 1917.
Dans le domaine social, le travail de la main d'oeuvre féminine posa de nombreux problèmes familiaux. "Les femmes et les enfants furent groupés à l'hôpital général, des bons de pain et de lait furent distribués, des soupes populaires créées, ainsi que des crèches et des garderies d'enfants". Dans les premiers mois de la guerre, les nouveaux nés étaient élevés aux frais de la ville, mais cela ne durera pas, par contre une aide est votée à chaque famille dans cette situation. De son côté, l'autorité militaire créa une crèche pour les enfants des femmes travaillant à la Pyrotechnie et à la Fabrique de Canons. Dans le même esprit, les différentes oeuvres de bienfaisance furent regroupées en un "Comité de souscription publique".
Le point le plus noir pour la villle de Bourges, ce fut la dégradation rapide de la voirie. Les rues et routes n'étaient pas construites pour faire circuler des camions lourdement chargés ou des matériels de guerre. De plus, la municipalité n'avait plus de personnel pour les réparations habituelles, les hommes valides étaient au front ou travaillaient dans les Etablissements Militaires.

NOUVELLES DU FRONT

Bourges vit la guerre de façon optimiste à ses débuts, et fataliste jusqu'en 1917. Chacun se cramponne aux lettres du front, à celle d'un être cher, et c'est le calme qui prédomine. Etait-il possible de réagir d'une autre manière ?
Les lettres des poilus sont toujours d'une grande authenticité. Celles de Lucien André, un Berruyer dont le fils deviendra à Bourges un personnage pittoresque et attachant 60 ans plus tard, ont été publiées dans "Le Cher Soldat" et "La Nouvelle République". On peut lire cette correspondance :

" 11 décembre 1914, Vive la République démocratique et sociale, Victoire, Victoire, La réaction est enfoncée, la République est sauvée. 236 radicaux et 102 socialistes. La calotte est dans le lac. Les républicains ont fait leur devoir."

" 2 avril 1915.... Nos troupes ont enlevé un poste ennemi à la baïonnette, nous avons progressé d'un kilomètre et repoussé deux contre-attaques des Boches. Si vous aviez vu ça, soyez fiers du Caporal André de la 6e compagnie du 29e car j'y étais... Et j'ai tué des Boches, oui moi...Les salauds sont revenus en nombre et en deux fois à la charge, mais ils sont tombés sur un manche."

" 21 novembre 1915..... Aujourd'hui rien de bien beau. Mon lieutenant a été blessé grièvement. Il doit être mort à l'heure qu'il est...Il n'y a pas à s'émouvoir, ça nous guette à chaque seconde. On a assez à penser à soi sans s'attrister sur les autres. Encore un brave de moins."

" 4 septembre 1916.... Rien de nouveau sous le soleil, sauf que ce matin, les camarades d'en face ont voulu jouer à l'âne et qu'ils ont reçu la correction qu'ils cherchaient - c'est à dire des obus et des balles dans la gueule - C'est moi le plus blessé, je me suis coupé le pouce en coupant une miche dans la boule de son. Dans l'émotion du combat, ça peut arriver, quoique je ne m'effarouche guère."

" 18 février 1917.... Ben, ça va plus du tout chez nous. Les Boches attaquent, nous aussi. C'est le fouillis quoi. C'est à présent que la guerre va finir, qu'il faut se tuer avec le plus de brutalité".

Lucien André sera blessé en mai 1918, et évacué sur l'hôpital d'Issoudun. Il écrira encore : "Ma foi, il s'en est fallu de peu que je sois maintenu au service armée... j'avais deux blessures, un médecin voulait me renvoyer au service...". Finalement il sera versé "de justesse" comme auxiliaire.

Les journaux locaux, de manière régulière font état de lettres reçues du Front. Elles sont souvent publiées. Mais ce 20 novembre 1914, dans "La Dépêche du Berry" une lettre est reçue par la rédaction ; c'est une histoire poignante. Cette lettre a toute une histoire, elle fut envoyée par une Berruyère à un soldat du Front sans famille. Ce soldat devait recevoir avec ce courrier un colis comprenant des vêtements et quelques vivres. Mais le soldat orphelin ne recevra jamais le colis, il est tué au combat juste avant la réception du précieux envoi. Alors, un de ses camarades retourne la missive au journal local qui la publie en ces termes :

" Mon Brave,
Il ne fait pas si bon dans les tranchées, qu'au coin du feu, hein mon vieux ? Je ne regrette qu'une seule chose, c'est que ma bourse ne m'ait pas permis de t'envoyer un bon caleçon de laine, au lieu de celui-ci qui est en coton. Enfin je fais cela d'un si bon coeur, que la tendresse qui l'accompagne te tiendra lieu si tu le veux de ce qui peut te manquer."

Et la lettre se termine par ces mots d'espoirs :


" Allons, au revoir, mon vieux, et tâche de nous revenir bien portant, hein !
Ta famille inconnue, mais qui te chérit bien quand même".

signé G.P.
De tels témoignages montrent ce que fut la réalité d'une telle boucherie.

DIFFICULTES DE LA GUERRE A BOURGES

A partir de 1917, après trois ans de conflit, à la suite de sévères défaites militaires, des mutineries sur le front et de leur répression, ajoutés à la révolution russe, le climat psychologique va évoluer. Ce sera la lassitude, et bientôt, "la renaissance des luttes, de l'action et d'un mouvement pacifiste". Des manifestations vont se dérouler pour protester contre la guerre, avec des défilés du côté de la place Malus. De même, les grèves commencent à prendre une ampleur importante, à Vierzon, mais aussi à Bourges. Le maire Paul Commenge, le 5 octobre 1917 interdit tout rassemblement dans le quartier de la Pyrotechnie.
Le Ministère fera bientôt appel non seulement à la main d'oeuvre féminine, mais à des ouvriers venus d'Espagne, d'Indochine et même de Serbie. Les problèmes de ravitaillement sont effroyables à partir de 1917. Pour tenter de résoudre les problèmes posés, un "Office Municipal de Ravitaillement" fut créé le 2 mars 1917. Il s'agissait d'aider les commerçants et les coopératives dans les approvisionnements des produits de première nécessité. Assez vite, des produits comme le savon ou les pâtes alimentaires se retrouvèrent sur les étals, mais au printemps 1917, le sel a été sur le point de manquer totalement. La viande fut contingentée en mai de cette même année. Pendant deux jours par semaine, les boucheries, triperies et charcuteries étaient fermées et le 1er mars 1918, les Berruyers virent apparaître les cartes de pain. Après le pain, le même type de document fut exigé pour le tabac et le sucre. Avec ces difficultés, la hausse du prix des produits de base devint persistante. L'indice du coût de la vie passa de 926 au début de 1914 à 1500 vers la fin du conflit, et les salaires ne suivirent pas. Bourges, par la présence de travailleurs assez bien organisés et payés par rapport au reste du département, devint un des centres de France où le coût de la vie était devenu le plus élevé.

Vers la fin du conflit, Bourges se révèle comme un "foyer important de contagion du syndicalisme révolutionnaire". Les syndicats des Etablissements Militaires assez modérés auront fort à faire avec ces nouveaux syndicalistes plus radicaux. Un des hommes de gauche parmi les plus influents, Venise Gosnat nommé secrétaire du Syndicat, en février 1916 fera voter à l'unanimité un texte préconisant toujours "l'Union Sacrée" :
"Tenant compte de la situation du pays dans l'épouvantable tourmente ... les travailleurs des E.M. sont prêts aux plus grands efforts pour aider dans leur tâche difficile ceux qui ont charge de repousser l'envahisseur brutal, en leur donnant tout le nécessaire en munitions et en canons .... afin de hâter une paix victorieuse et éviter le retour de semblables tueries dont la principale sera la déchéance du militarisme prussien".
Ces motions ne dureront pas ; avec l'enlisement du conflit, des voix vont s'élever : aux revendications très professionnelles comme l'égalité des salaires entre hommes et femmes, s'ajoutèrent assez vite en 1917, des mouvements plus politiques rappelant aux jeunes, "qu'il faut cesser le conflit".
Les ouvriers étrangers ne seront pas en reste, ainsi, au mois de janvier 1918, sous l'impulsion d'un des leurs, Miktschitch, les ouvriers de Serbie "créèrent un syndicat des ouvriers Serbes à la Bourse du Travail".

Le 1er mai 1918, une grève est décidée, ils seront 8000 à suivre ce mouvement face à des autorités médusées par tant d'audace. Mais la contagion des pacifistes minoritaires ne se fera pas et les Etablissements Militaires continueront à produire les matériels de guerre qui s'en iront sur le front.

Bourges pendant la guerre, C.G. Gignoux
Le socialisme dans le Cher, Claude Pennetier
Journal local La Défense de 1916
Archives Départementales du Cher 25 M 48

LES ETABLISSEMENTS MILITAIRES

L'accroissement du personnel est considérable dans les fabriques de canons et d'obus de Bourges. A l'Atelier de Construction, il y a 729 employés au début du conflit, ils seront 8376 à la fin de la guerre. De même, la Pyrotechnie comprenait 1619 spécialistes des explosifs en 1914, ils seront 12 500 quelques mois plus tard.
A la Pyrotechnie, les bâtiments et installations de production existants furent utilisés au maximum de leur capacité. Mais très vite, ils devinrent insuffisants, on adjoignit deux grands ateliers de chargement des munitions ainsi qu'un atelier pour produire le fulminate. Entre le début et la fin du conflit, les surfaces se trouvèrent multipliées par 5 !
Il en fut de même à l'Atelier de Construction, on édifia à la hâte, des ateliers d'usinage, mais aussi des magasins, des quais et même une usine d'alimentation en eau. Les surfaces occupées furent multipliées par 3 entre 1914 et 1918.

Les canons sortiront à grandes cadences, le 65 mm de montagne, le 155 mm Rimailho, et enfin le 155 GPF du Colonel Filloux. Ce dernier sera utilisé sur le front à partir de 1917 , il figure parmi les armes qui furent décisives pour la victoire. Les cadences de travail sont importantes, on travaille 24 heures sur 24, et journalièrement, il sort de Bourges, 40 canons de 75, il en sera produit au total plus de 3000 exemplaires.
Les voisins de la Pyrotechnie avaient les mêmes préoccupations, la plupart des munitions de l'Artillerie et de l'Aviation sortiront de cet Etablissement qui était passé, en surface, de 20 à 300 hectares. Les chiffres donnés pour les productions de cette époque sont vertigineux.

En 1918, la production journalière atteignait :
80 000 cartouches de 75
40 000 fusées diverses
700 kilogrammes de fulminate de mercure.

En 1917, il y aura plus de 23 000 personnes, logées pour beaucoup aux Bigarelles. La ville de Bourges atteint alors le chiffre considérable de 100 000 habitants.
La région de Bourges est totalement axée sur l'économie de guerre, la base d'Avord en est encore un exemple frappant.

Bourges pendant la Guerre, C.G. Gignoux

LA BASE D'AVORD

La base d'aviation d'Avord située à 20 kilomètres de Bourges n'avait que 2 ans d'existence à la déclaration de la guerre. Elle va devenir le plus grand centre européen de formation de pilotes.
Dans une publication, le Capitaine Morgat a parfaitement traité cette période relative à la naissance d'Avord. C'est par la volonté du Président de la Chambre de Commerce, le banquier Albert Hervet, aidé du Prince d'Arenbert, que se constitue un dossier visant à installer une école d'aéronautique dans le département, et cela dès 1910. Les autorités locales du Cher, le 12 mai se mettent d'accord pour soumettre un dossier au ministère afin que le Camp d'Avord devienne, en plus d'une garnison d'infanterie, un champ d'aviation.
Tout se jouera lors d'une visite impromptue à Avord du Ministre de la Guerre, Millerand, accompagné par le Chef d'Etat Major, Joffre. Ils sont venus assister à des tirs d'obus à la mélinite, et, sur leur lancée, ils vont visiter le site d'Avord. Quelques temps plus tard, Avord devient la 9e école d'aviation en France.

Pendant la guerre de 1914, la base se structura ; il y aura jusqu'à 1300 avions en permanence, 1000 élèves pilotes et 3000 mécaniciens. Ces chiffres sont éloquents. Tous les "as" de la guerre sont passés par le Cher : Guynemer, Nungesser, Bourgeade, Haegelen, Fonck et beaucoup d'autres.

(Il y aurait eu 255 avions en 1915 et 1300 à la fin de la guerre 3 ans plus tard)

LES AMERICAINS EN BERRY

C'est le 2 avril 1917 que le Président Wilson, au nom des Etats-Unis, déclare la Guerre à l'Allemagne. Au cours de l'été qui suit cet acte, les premières troupes américaines arrivent en Berry. Bourges et Vierzon étaient sur les lignes de communication entre les ports de Nantes et Bordeaux, et le centre de concentration et de triage des troupes US situé à Is-sur-Tille en Bourgogne.

En 1918, quatre divisions américaines s'installèrent dans la périphérie de Bourges. La ville devint le siège du "Central Record Office", (CRO), c'est à dire du centre chargé de tenir à jour l'ensemble des dossiers du corps expéditionnaire américain. Le Central Post Office (CPO) était associé au CRO et ce furent 6000 militaires ( plus 500 auxiliaires féminines anglaises) qui séjournèrent dans la ville de Bourges pour ce qui fut appelé avec humour "la Bataille de Bourges".

Ils sont installés à Marmagne ( très exactement à Beauvoir) et Foëcy. Des journaux paraissent pour les américains, comme le "Mehun News" qui est un périodique.
On retrouve ces Américains de curieuse manière chez les Franc-Maçons de Bourges en 1918. La Franc-Maçonnerie locale, avec la Loge "Travail et Fraternité" n'avait jamais suspendu ses travaux pendant tout le conflit. Il y avait bien eu quelques difficultés au début de la Guerre, car de nombreux F.°. étaient mobilisés et les plus anciens ne pouvaient plus se déplacer facilement pour venir au nouveau Temple situé Boulevard Chanzy.

L'Atelier était placé sous la Présidence de Marcel Soubret, parmi les Francs-Maçons de l'époque, on retrouve les noms de Vatan, Grémillot et Bruneau. Un jour de réunion, les Maçons berruyers eurent la surprise de voir arriver à la porte du Temple, deux "Frères" américains, Eisenberg et Léo, d'une Loge de Chicago. Sans doute favorablement impressionnés par cette "Tenue" en terre berrichonne, ils vont revenir en délégation quelques semaines plus tard à une autre "Tenue", et cette fois, ce sont 60 Francs-Maçons américains qui prennent place sur les colonnes du Temple.
Après ce grand moment de Fraternité, les Américains vont rendre la pareille à leurs "Frères" berruyers et ils organiseront un grand banquet Franco-Américain dans la Grande salle du Palais du Duc Jean, ils seront cette fois 300 Francs-Maçons venus d'Amérique et stationnés dans la région de Bourges. Cela donne une idée de la puissance de cette Franc-Maçonnerie Américaine.

Pendant toute la durée de la guerre, la Franc-Maçonnerie va se situer dans la mouvance de "l'Union sacrée". Pourtant, au plan local, des travaux porteront sur la fraternité Franco-Allemande entre les F.°. qui se battent dans les tranchées. Un discours à caractère très pacifiste sera entendu à Bourges en pleine guerre, à la grande stupeur d'un délégué de Paris, qui fera tout pour que de tels propos ne puissent pas "sortir du Temple", il n'était pas admissible à cette époque de vouloir démontrer que la responsabilité du conflit était bien partagée entre les deux camps. Les Francs-Maçons ont toujours été très libres, en toute circonstance.
La guerre terminée, de nombreuses manifestations avec les Américains seront organisées. Bourges verra la présence du Général Pershing, commandant en chef, puis celle de Margaret Wilson, la fille du Président des Etats-Unis, qui donnera un concert aux troupes U.S. présentes en terre berrichonne.
La présence sur le front de forts contingents de soldats et de matériel venant des Etats Unis va permettre aux Français et aux Anglais de terminer victorieusement ce conflit.

LA VICTOIRE DU 11 NOVEMBRE

Après quatre années de guerre, le clairon de la Victoire retentit à Bourges et en Berry comme une délivrance, avec un goût d'amertume et un grand fatalisme.
La veille du 11 novembre 1918, le grand événement qui est prévu à Bourges pour cette date qui deviendra historique concerne les soldes sur les fourrures proposées par le Grand Magasin "Des Dames de France". Le placard publicitaire comprend un quart de page :

Le lendemain, alors que la presse locale n'avait pas vu venir l'événement, c'est effectivement dans "Le Journal du Cher" l'information attendue depuis quatre ans. Les journaux locaux font leur première page avec ce titre :

" Paris, 11 novembre, 10 H 40
L'ARMISTICE EST SIGNE"
Dans la même page, ces mots:

"L'armistice est signé.
Cet événement heureux, qui restera l'un des plus considérables de ce vingtième siècle, dont les conséquences sont dès maintenant incalculables, car il consacre l'effondrement de l'impérialisme, du militarisme allemand, perpétuelle menace pour la paix du monde, survient après quatre ans, trois mois et onze jours de guerre, exactement au 1561e jour des hostilités.
Salut à notre héroïque armée !
Honneur à nos morts glorieux !
La France saura se montrer toujours reconnaissante pour nos soldats. Elle conservera à jamais la mémoire de ses enfants tombés au champ d'honneur".

La chronique locale peut être à la fois "légère", avec les soldes des "Dames de France", et devenir dramatique, 10 lignes plus loin. C'est ainsi que l'on apprend le 12 novembre, que le fils du commandant Deville, major de la garnison de la Ville de Bourges "vient de recevoir la cruelle nouvelle que son fils était tombé au champ d'honneur". En effet, le jeune René Deville, un Saint Cyrien de 20 ans, avait été mortellement atteint d'une balle dans la tête en entraînant sa section à l'assaut quelque part dans les Ardennes, loin de son Berry.

Il y a donc ceux qui font la fête : c'est le soulagement de 4 ans d'horreur, et ceux qui pleurent. Peu de familles ont été épargnées, les monuments aux morts "qui vont fleurirent " en sont aujourd'hui encore le témoignage.

Pourtant la population berruyère n'était pas au bout de ses peines. Dans l'hiver 1918-1919, une terrible maladie se déclara : on l'appela la grippe espagnole. Déjà, elle sévissait dans plusieurs points de France, dans des zones généralement surpeuplées. Et c'était bien le cas de Bourges. La population avait été de 100 000 âmes durant la guerre, et ces derniers mois, 18 000 prisonniers ont été rassemblés à Bourges, une conséquence de la signature de l'armistice. Mais le mal va se répandre à cause du rationnement du pain, nourriture de base, et de l'utilisation pour sa fabrication, de farines peu panifiables, "dont l'ingestion provoquait des troubles de l'appareil digestif, diminuant la force de résistance et créant ainsi un terrain favorable à l'éclosion de la maladie".
Après les manifestations de joie du 11 novembre, succédait cette nouvelle épreuve dans laquelle, là encore, peu de familles furent épargnées. Il y aura en 1918, 2143 morts par la grippe espagnole et 1418 l'année suivante. L'hôpital auxiliaire ouvert dans le couvent des dames de La Charité, route de Saint Michel, fut transformé en hôpital des épidémies.
Ce fléau fera, dans l'ensemble des pays où il passera, plus de vingt millions de morts, pour la plupart âgés de 20 à 40 ans, surtout parmi les troupes ayant survécu au conflit armé.

Le Journal du Cher nov 1918
La Dépêche du Berry nov 1918
Bulletin Municipal de Bourges 1919

LA POLITIQUE REPREND LE DESSUS

La guerre est terminée, c'est "la der des der", et la politique reprend le dessus. En 15 jours de temps vont se dérouler dans tout le pays, les élections Législatives, puis les Municipales. C'est l'effervescence à Bourges où les listes s'établissent. Du côté des socialistes, la tendance des modérés emporte les suffrages des militants lors du congrès départemental d'octobre. Laudier, secrétaire de la Fédération devient pour les deux cas, tête de liste, il est suivi d'Emile Dumas député sortant, puis Charles Migraine, Pierre Hervier, secrétaire de la Bourse du Travail et enfin Augustin Durand, marqué "négociant à Bourges", et qui "représentait la Loge de Bourges". Deux autres listes lui sont opposées, l'une conduite par Breton, avec Plaisant Valude et Foucrier, ils sont appelés "Concentration Républicaine" et bénéficient de l'appui du grand journal local "La Dépêche du Berry". Enfin, une troisième liste dite "d'Union Nationale", avec Dubois de la Sablonnière est inscrite.

Pierre Hervier est né le 13 septembre 1868 à Bourges. Jusqu'à la guerre, c'est lui qui va organiser l'action syndicale dans tout le département du Cher. Antimilitariste notoire, Hervier n'était pourtant pas un des plus extrémistes. Aussi, lorsqu'il fut arrêté en juillet 1913 pour avoir organisé "le sou du soldat", les protestations du monde syndical tout entier furent retentissantes. Il était parmi les socialistes de la première heure, mais pendant tout le conflit, lui, l'anti-militariste entra dans "l'Union Sacrée". Il resta à Bourges pendant la guerre et fut le principal rédacteur du journal "La Défense", organe des socialistes, remplaçant à la fois "L'Emancipateur" et "Le Syndiqué du Cher". Il eut en cette occasion à concilier les positions les plus extrêmes. Il s'opposa au pacifisme qui se développait aux Etablissements Militaires, tout en soutenant la grève du 1er mai 1918, pour ne pas être débordé par les minoritaires.

Au moment où il se présentait aux Législatives, il faisait une demande pour entrer dans la Loge maçonnique de Bourges. Les rapports d'enquête furent très favorables, même si quelques F.°. demandèrent au récipiendaire de s'expliquer sur certaines attaques contre les Francs-Maçons qu'il avait faites avant-guerre. Hervier s'en tira bien et fut initié en juillet 1920.
Les relations entre les adeptes de la Franc-Maçonnerie et les partisans de la IIIe Internationale passeront par des phases difficiles. Ainsi, en novembre 1922, au Congrès de Moscou, les Francs-Maçons durent choisir entre leur appartenance à l'Ordre Maçonnique ou au Parti Communiste. Ils étaient en quelque sorte "excommuniés".

Pierre Hervier le syndicaliste Franc-Maçon
Collection Claude Pennetier
Sur la notice individuelle de Laudier retrouvée aux Archives Départementales, et rédigée par le Préfet d'alors, on retrouve strictement les mêmes mots qu'en 1914, avec toutefois, en fin de page cette annotation :
" Son influence a été suffisante encore pour se faire élire par un parti dont il cherchera à s'évader à la première occasion".

Au cours d'une réunion publique contradictoire, comme cela était courant alors, il y avait à la tribune, Breton, Plaisant, Foucrier, Dubois, Laudier et Migraine. C'était à Vierzon devant 2000 personnes, essentiellement des ouvriers.

Laudier va s'exprimer à la suite de Breton, "dans un calme absolu" signale le journaliste, et il évoque les suites de ce qui est la victoire :


"La victoire militaire n'est rien par rapport à la défaite financière... Si les Unifiés arrivent au pouvoir, les fortunes seront abattues par le sommet et par le monopole bien organisé, on établira l'ordre."

En 1919, cela fait deux ans que Lénine est au pouvoir en Russie, chacun se demande ce qui se passe là-bas, Laudier parle de ce qu'il sait :
"Les Soviets en Russie fonctionnent bien, "

Mais il ajoute, prudent comme un vrai Berrichon :
"On ne peut pas se baser ni en bien, ni en mal, vu qu'on ne sait rien de positif. Je suis reconnaissant qu'on ait aboli le gouvernement Tsariste."

Et il termine ainsi son propos à la tribune:
"On veut le pouvoir pour remplacer la Société actuelle par une Société meilleure".

La campagne électorale n'est pas très animée, il faut relever le pays, on parle des 1 million 700 000 morts, des 500 000 mutilés et de la ruine économique, le pays a 240 milliards de dettes.
Laudier sur ses affiches électorales insiste sur l'enseignement, "un enseignement intellectuel et physique, classique, technique et agricole en un service unique d'Education Nationale gratuit et obligatoire". Son programme contient un mot sur le désarmement général de tous les peuples, et sur la lutte contre la tuberculose.
Et il signe avec cette formule très courageuse :


" Républicains, libre-penseurs, ouvriers, paysans, votez rouge le 16 novembre pour la République Sociale".


Le scrutin en France voit les Socialistes traités d'internationalistes et les radicaux tenus responsables de l'impréparation de 1914 en difficulté. Inversement, la droite et le centre, rassemblés dans un "Bloc National" sont en bonne position. C'est aussi la défaite des anciens parlementaires.
A Bourges c'est l'inverse, seul Laudier est élu pour les Socialistes. La liste Dubois obtient un élu alors que Breton entre à la chambre avec deux autres de ses colistiers. Il faut dire que cette liste formée de Radicaux avait de quoi plaire à la population. Ainsi Valude est revenu du front amputé de la jambe droite, Breton est le promoteur en France du Tank, Plaisant a été captif pendant plus de trois ans, enfin Foucrier a perdu à la guerre, son fils unique. Les radicaux battent les socialistes largement, Breton obtient environ 32 000 voix et Laudier 21 000.
Jules Louis Breton est né dans le Nord un 1er avril 1872, son père était maire d'une petite ville et exerçait la profession de brasseur. Le jeune garçon fit de solides études et devint ingénieur-chimiste, il mènera avec une égale réussite ses travaux scientifiques et son action sociale. Car il s'engage très vite aux côtés des socialistes, et sera un disciple de Vaillant. En 1894, il publie un article dans "Le Parti Socialiste" et se retrouve inculpé selon les lois de l'époque sur la presse. Il est condamné à deux ans de prison, malgré la défense exercée par son avocat : Viviani.
Breton sera élu dès 1898 au parlement dans la seconde circonscription de Bourges incluant Vierzon, une brillante carrière politique commençait.
Sur le plan scientifique, il utilise ses résultats de laboratoire pour faire avancer son action sociale. En 1908, à la suite de travaux sur le plomb, Breton obtient la prohibition de la peinture au blanc de céruse, quelques années plus tard, il fait publier la loi sur les maladies professionnelles qui prendra le nom de "loi Breton". Breton deviendra membre de l'Institut, Ministre et Directeur des Inventions.

Autre personnage élu au cours des élections de 1919 : Henri Laudier se retrouve député du Cher, il entre dans la Chambre dite "bleu horizon".
Sur sa lancée il va prendre la mairie de Bourges au cours de ce même mois de novembre 1919, il a 41 ans.

Archives Départementales du Cher 20 M 43
Claude Pennetier : Biographies des militants socialistes, communistes et syndicalistes du Cher
Archives du Grand Orient de France

LAUDIER LE ROUGE PREND LA MAIRIE DE BOURGES

La campagne électorale à Bourges sera très curieuse. Les élections doivent se dérouler le 30 novembre 1919, et trois jours auparavant, un journal local écrit :
"Nous sommes à 4 jours des élections municipales et les électeurs s'étonnent de n'avoir vu aucune affiche ni aucune annonce de candidature. C'est qu'ils ignorent encore les manoeuvres de toute sorte et les tractations pénibles des partis de droite pour jeter la confusion dans le corps électoral."
Ce quotidien n'a pas tort, car des manoeuvres, il y en a !

Alors qu'au Grand Palais, à 20 H 30 se joue une grande représentation théatrale : "Médor ou je ne trompe pas ma femme", un vaudeville en 3 actes, sur la scène politique tout se joue en quelques heures. Le 28 novembre, la liste dite "d'Union Républicaine et Socialiste" est publiée ; c'est la surprise. Elle comprend en effet, côte à côte, les anciens ennemis politiques, qui se sont durement affrontés quelques jours auparavant aux législatives : Foucrier et Laudier. Le Journal du Cher, qui patronnait la liste de "Concentration à Droite" est furieux, il parle de cette liste contre nature Laudier / Foucrier comme d'une liste de bolcheviks. Avec les deux leaders, dont on ne sait pas trop qui prendra le dessus, il y a Boyron, Bonnard, Augustin Durand, Georges Lamy et Galopin ; ils sont soutenus par la puissante "Dépêche du Berry" qui appartient toujours à Jean Foucrier.
La campagne électorale, en fait, n'aura duré que quelques heures. On retiendra un discours de Laudier, le 29 novembre :


" Citoyens,
" Acceptez-vous que l'Hôtel de Ville soit à nouveau livré aux partis de la réaction, alors que le résultat des législatives commande impérativement un coup de barre à gauche ?", Et il termine par:
" L'heure est particulièrement grave, Vive la République laïque, démocratique et sociale".

L'affrontement entre les deux listes est brutal, il y a des airs de tragédie et de trahison, et quelques heures avant le vote, dernier coup de théâtre : le maire Paul Commenge invite à voter pour la liste Foucrier / Laudier. "L'affiche Commenge" ne suscitera aucune contre-partie de la part de Pierre Dubois.
"Le Journal du Cher" ne sait plus que penser. Après le triomphe de la droite aux Législatives, l'élection municipale ne pouvait être qu'une réplique fidèle de la quinzaine précédente. Mais l'éclatement de la coalition Breton / Foucrier, et de l'alliance de ce dernier avec le parti extrémiste, va brouiller les cartes. Comme le rédacteur l'écrira : "Sans prévoir une défaite aussi complète et aussi écrasante à Bourges, nous la redoutions...".

Les résultats sont en effet surprenants ; la liste Foucrier / Laudier obtient la victoire avec une majorité de 1700 voix de plus en moyenne, et tous les inscrits de la liste sont élus. Laudier est en 22e position avec 4675 voix, Foucrier arrive en tête avec 4992 voix. Le "Bloc de droite" qui comprenait Achille Chédin, de Grossouvre, Cassier, Magdelena, Potier, De Saint Venant, est écrasé, elle était pourtant formée d'hommes de valeur qui possédaient et géraient des entreprises parfois importantes, la déception est grande dans la droite classique. Lorsque Chassin, "ex-conseiller" proclame les résultats, il est une heure du matin. C'est une immense acclamation et "un triple ban" qui accueille la proclamation. Un millier de berruyers crient leur joie, et ce sont les chants comme "l'Internationale" ou les slogans du type : "Vive le Bolchevisme !" qui sont entendu devant la salle des fêtes du lycée.où se déroulait le dépouillement.

Il n'est pas certain que les électeurs de cette liste "Républicaine" aient voté pour Laudier le Socialiste, mais qu'ils se soient davantage prononcés pour Foucrier comme maire. Les rayures sur Laudier montrent qu'il avait quelques problèmes avec certains électeurs.... En fait, tout s'est joué en coulisse et Laudier sera élu Maire.
Son discours de victoire sera dans la ligne de l'époque :

" Citoyens,
" La victoire a couronné nos efforts, je demande de l'accueillir dans le calme et la dignité. Je remercie ce vieux Républicain Paul Commenge.... Je demande à tous de ne pas oublier la leçon de cette victoire. Confiance et discipline. Demain, de nouvelles batailles nous appelleront. J'espère qu'elles nous amèneront de nouvelles victoires.
"Vive la République laïque démocratique et sociale".

Alors que Vierzon s'est aussi donnée un Maire de gauche, Emile Perraudin, et que la France soigne ses plaies et se délecte dans l'affaire Landru, Laudier se met au travail dans son Hôtel de Ville, il y restera près de 24 ans !

Archives Départementales du Cher 23 M 256

LA DIFFICILE RECONVERSION DE L'APRES-GUERRE

L'activité industrielle principale de Bourges avait été consacrée depuis 4 ans à une intensive production de guerre. Mais comme il s'agissait de la "der des der", il n'était plus nécessaire de "sortir" des munitions et autres canons. La reconversion de milliers de travailleurs devenait nécessaire.
Dès la fin des hostilités, les syndicats se mirent en avant pour empêcher les licenciements. Ils demandèrent la transformation immédiate des Etablissements Militaires en Office Industriel. L'idée qui prévaut est alors de mettre 3000 ouvriers à l'entretien des machines et bâtiments ; quant aux autres, la fabrication de matériel de chemin de fer et de machines agricoles pourrait occuper 12000 personnes.
A partir de janvier 1919, la tension commence à monter. Toute la population est inquiète, les ouvriers bien sûr, mais aussi les commerçants qui voient avec frayeur la baisse de leur chiffre d'affaire. Au cours d'une grande réunion syndicale rassemblant plus de 8000 personnes, il est demandé :

"Qu'au travail de guerre pour lequel ils ont été créés, succède immédiatement le travail de paix dans ces établissements supérieurement agencés et outillés pour toutes sortes de production... Ils réclament avec énergie la continuation de leur exploitation par l'Etat".
Lorsque des visites de responsables de l'industrie privée comme Citroën ou Schneider, viennent en mission afin d'examiner le parc machines qu'ils pourraient acheter, c'est la révolte à la fois des syndicats et des hommes politiques. Laudier et Hervier vont se dépenser sans compter pour qu'aucune machine ne soit démontée et envoyée sous d'autres cieux.

Les marchés des Etablissements Militaires vont comporter quelques éléments de wagons et de matériel agricole, mais cela ne donnait plus du travail pour des milliers d'ouvriers. Le ministre de la Reconstruction industrielle recevra les desiderata des syndicats et de la population de Bourges, mais il ne voit une solution que dans l'activation des affaires civiles, qui sont lentes à mettre en oeuvre, il écrira :


"la congestion de certains centres qui, dans l'état de production de guerre, avaient dû recevoir une population tout à fait hors de proportion avec celle qu'ils pouvaient normalement absorber, je cite, par exemple, la ville de Bourges".

La Pyrotechnie se mit à réparer un millier de wagons, alors que l'Atelier de Construction "végète dans un marasme à peu près complet" dira Gignoux, seront produits environ 1500 chariots de culture en 1920.
Cette situation ne pouvait pas continuer ainsi ; Laudier, en bon gestionnaire qu'il devenait, trouvait que "la principale difficulté que rencontraient les établissements d'Etat pour s'adapter à la vie industrielle moderne provenait de la sujétion administrative à laquelle ils sont soumis".

Dans un projet de loi en date du 26 mai 1921, portant le numéro 2-683, Laudier soumet à la Chambre des Députés un texte pour placer la gestion "des établissements constructeurs de l'artillerie" à un Conseil Central composé par tiers de représentants de la production dont la moitié serait désignée par le personnel. Un second tiers rassemblerait les représentants des consommateurs ; enfin, le dernier tiers serait formé des représentants des Pouvoirs Publics. C'est ce Conseil qui nommerait les dirigeants de l'entreprise. L'Office aurait un budget autonome et pourrait faire des bénéfices, lesquels seraient distribués à l'Etat et aux oeuvres sociales de l'Etablissement. En cas de déficit, c'est l'Etat qui couvrirait les pertes dans l'éventualité d'un fond de réserve insuffisant. C'est sans doute dans cette hypothèse que le projet a quelques failles..... Enfin, l'Office pourrait se procurer des capitaux par l'emprunt à court terme.

Ce projet d'essence très moderniste "bouleverse tous les errements suivis jusqu'à ce jour en France dans les industries d'Etat" selon l'opinion de Gignoux, est accepté par tous les partis. C'est le moyen de sauver l'emploi et d'utiliser les machines-outils, il y a quelque mille tours de toutes dimensions à la fonderie de Bourges.

Mais il est très difficile de reconvertir une industrie de guerre dans les activités civiles. Peu à peu, les effectifs des Etablissements Militaires vont se réduire pour revenir à un chiffre d'environ 3 500 employés, à peine plus important qu'avant-guerre. La population de Bourges revenant pour sa part à une valeur de 45 942 habitants au recensement de 1921, soit 207 de plus qu'en 1911.

La ville de Bourges sort de quatre ans d'épreuve dans un état identique à celui d'avant-guerre, avec toutefois 1475 tués à l'ennemi. La ville n'a pas changé, les foules ouvrières ont quitté les rues sans laisser de trace. La cité ouvrière, une des plus grande de France, est un lointain souvenir ; Bourges n'a pas pu ou su profiter de l'apport industriel de ces années. Elle pourrait retourner à un engourdissement qui lui va assez bien. Un homme va réveiller cette torpeur, c'est son maire : Laudier. Dans des années agitées sur le plan politique, il va transformer la ville.


Les régiments de Bourges
 
En 1914 un régiment d'infanterie comprend 3400 hommes.
 
Dans le Cher, il existe un régiment prestigieux d'infanterie, qui remonte du XVIII e siècle, c'est le 95° de Ligne qui prend place à Avord dès 1875. Sur le drapeau, on note des noms de batailles comme Austerlitz, Anvers, Sébastopol ou Puebla.
Ce régiment est formé de berrichons pour l'essentiel, il occupe les casernes Condé, Auger et Vieil Castel.
Ce régiment va quitter Bourges le 6 août 1914, il appartient au 8 ° Corps d'armée, au sein de la 16° division d'infanterie, et avec le 85° régiment stationné à Cosnes sur Loire, le 95° régiment de ligne forme la 31 ° brigade.
 
Autre régiment, celui d'artillerie, avec 2 régiments d'artillerie de campagne, le 1 er et le 37° qui sont aussi à Bourges, très proches des Etablissements militaires. Ils sont équipés de 9 batteries, c'est à dire 36 canons de 75 mmm, le meilleur canon de l'armée, .... fabriqué à Bourges.. Rapide, ce canon est léger et rapide : 8 coups à la minute.

 

Retrouvez quelques articles de l'Encyclopédie :
François Mitterrand à Bourges
Chiffres essentiels
Les Templiers
Les élections à Bourges au XXe siècle
Les Très Riches Heures du duc de Berry
les villes jumelles
Radios locales
Les francs-maçons
Kiosque et musique
Agnès Sorel
L'horloge astronomique
Les tramways de Bourges
L'Yèvre à Bourges
L'alchimie
La Bouinotte, magazine du Berry
L'usine Michelin
La maison de la Reine Blanche
Serge Lepeltier
L'industrie à Bourges au XXIe s
Monuments Historiques Classés
 

Et puis une nouveauté : L'information et l'actualité à savoir sur Bourges, en quelque clip et quelques lignes :

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