L'origine de la bibliothèque
C'est par une circulaire du 22 septembre
1806 que les bibliothèques publiques furent mises à
la charge des municipalités.
Mais celle de Bourges existait, en fait, depuis 1792. Quatre
dépôts principaux des livres provenant des établissements
religieux 1 avaient été constitués :
le plus important, celui de l'archevêché, où
existait déjà la riche collection des archevêques
(Mgr de Lévis de Ventadour, Cal de La Rochefoucauld, etc..)
fut ouvert au public tous les après-midis. A ce dépôt
fut réunie la bibliothèque de l'École centrale
du département fondée par Lakanal en 1795. Le local
était malsain, exposé à l'humidité,
à la fumée, à la poussière.
L'entassement des livres fut la cause d'un
grand désordre et de nombreuses disparitions. Dans
ces conditions défavorables, la bibliothèque fut
cependant gérée de façon consciencieuse
par l'ancien prêtre Champion (jusqu'en 1812), de façon
plus fantaisiste par l'aimable érudit et poète
Chevalier, dit Chevalier de Saint-Amand (1826-1849). Le problème
de son transfert dans des locaux mieux appropriés fut
maintes fois posé devant les différents conseils
municipaux de l'époque, mais sans provoquer autre chose
que des velléités de projets.
Ce déménagement eut enfin
lieu, par la force des choses, à la suite de l'incendie
de l'archevêché, dans la nuit du 24 au 25 juillet
1871. La majeure partie des livres,
sauvée par les artilleurs de la place, puis entassée
sous les voûtes de la cathédrale, fut recasée
en 1874 dans l'hôtel Aubertot, rue de la Monnaie, devenu
propriété de la ville. Cette maison, avec sa décoration
gracieuse de style Empire, ne se prêtait guère,
au total, à cette affectation. Nous en avons nous-même
longtemps subi les inconvénients. Surtout, le défaut
total d'entretien rendit rapidement ces locaux vétustes
et malsains : toiture en très mauvais état, chauffage
excessif dans l'unique salle de lecture et de prêt (si
bruyante le samedi!), température avoisinant 0° dans
les réserves en hiver, absence d'éclairage électrique
dans lesdites réserves, etc... sans parler de l'incommodité
des liaisons entre les différentes salles. Ces dernières
années, une lutte de vitesse avait dû être
engagée contre les champignons et les moisissures!
Cette bibliothèque lépreuse,
indigne de Bourges, ville au passé et à la vocation
historiques, (quoique regrettée maintenant par quelques
vieux habitués !) vit se succéder à sa tête
plusieurs conservateurs remarquables dont certains, tel Hippolyte
Boyer, se distinguèrent dans l'archéologie locale
sans négliger les rebutants travaux de classement et de
catalogage; d'autres, jeunes promus de l'École des Chartes,
devaient parfois se faire un nom dans la recherche historique
: ainsi Marcel Poète (1890-1893). Mais le changement trop
rapide des titulaires rendit longtemps impossible un travail
continu et efficace. C. Desages et Mr Jean Béreux classèrent
cependant les archives municipales anciennes; Alfred Gandilhon,
archiviste départemental et bibliothécaire par
intérim, donna au fonds berruyer sa vivante autonomie.
La seconde guerre mondiale venait de se
terminer, et l'administration des Postes était devenue
propriétaire de l'immeuble, lorsque la question du transfert
revint sur le tapis. On s'était décidé pour
une aile du centre administratif, ancien séminaire construit
par le Prince de Condé, mais ce local fut attribué
aux Ponts et Chaussées. Intervint alors la donation Témoin.
Le Dr Daniel Témoin, éminent
chirurgien et protecteur des arts, habitait depuis 1892 un hôtel
du XVIIIe siècle, construit entre 1744 et 1747, place
des Quatre-Piliers, par Pierre
Guyard, procureur du roi « dans la monnoye » et propriété
pendant plus d'un demi-siècle (1765-1824) de la famille
de Pommereau, qui fit aménager la cour intérieure
et orna le corps de logis principal de sculptures et de boiseries.
Le banquier Eugène Brisson, maire
de Bourges et cousin du président de la Chambre Henri
Brisson, l'avait occupé de 1864 à 1892. Le Dr Témoin
fit aménager en salon de musique le premier étage
des communs et couvrir la galerie qui y donnait accès.
C'est sa veuve qui, en 1947, Mr Charles Cochet étant maire
de Bourges et Mr Louis Gauchery bibliothécaire, fit don
à la ville de son hôtel, sous condition expresse
qu'on y installe la bibliothèque municipale après
son décès, qui survint en 1956.Nous ferons grâce
au lecteur des lenteurs ou tergiversations
administratives
qui suivirent, au risque parfois de faire échouer le projet.
Finalement, la sagesse l'emporta et, les plans étant approuvés
et les crédits votés, les travaux purent commencer
en février 1960. On démolit d'abord une petite
maison, contiguë à l'hôtel et acquise par la
ville; puis on faillit s'arrêter là, car l'immeuble
suivant, occupé par un cinéma et faisant l'angle
de la place des Quatre-Piliers et de la rue de Linières,
menaçait ruine. La municipalité eut alors l'heureuse
initiative de racheter le cinéma et le chantier put repartir,
mais sans enregistrer de progrès vraiment sensibles avant
le courant de l'année 1963, les intempéries de
l'hiver 62-63 étant en partie la cause de ce retard.
Enfin, les magasins étant terminés
à Pâques 1964, le déménagement put
s'effectuer sans trop de mal du 17 avril au 31 juillet, c'est-à-dire
pendant la période de l'année la plus favorable
( la bibliothèque avait fermé ses portes pendant
ce temps). Le 8 septembre dernier, la nouvelle bibliothèque
était solennellement inaugurée par Mr Julien Cain,
directeur général des bibliothèques et de
la lecture publique; et le Ier octobre, tous les reclassements
et préparatifs étant à peu près terminés,
nous avons ouvert les portes au flot des lecteurs : vieux habitués
impatients de retrouver une pâture intellectuelle, nouveaux
« clients » satisfaits de pouvoir lire ou travailler
dans un cadre plus propice à la détente ou à
la méditation. Des curieux aussi viennent jeter un coup
d'il admiratif sur la cour, sur les salons : on peut espérer
que plusieurs d'entre eux n'en resteront pas à ce stade!
Plan général
de la bibliothèque.
Extérieurement, la partie ancienne rénovée
présente à l'Est, place des Quatre-Piliers, sa
façade convexe aux grandes fenêtres et au portail
surmonté d'un cartouche rocaille; le bâtiment neuf,
qui lui fait suite au Sud et contient les magasins et la lecture
publique, a reçu de l'architecte une façade s'inspirant
plus sobrement de l'ancienne, mais située légèrement
en retrait par rapport à elle, ce qui évite une
trop grande disparité. La façade sud des magasins,
rue de Linières, est nue et percée seulement de
petites ouvertures carrées.
Pénétrons par le portail,
sous la voûte : à gauche, le hall d'entrée
mène à la salle de lecture publique, claire et
meublée de rayonnages muraux en bois verni; romans, biographies,
documentaires classés selon le système Dewey, s'offrent
au choix direct des emprunteurs. Sur deux tables circulaires
sont disposés quelques magazines, journaux, brochures
touristiques : l'on peut feuilleter, ou parcourir, tel livre
pris sur les rayons, en s'asseyant dans un des fauteuils placés
dans ce but. Le sol est fait d'un petit carrelage de couleurs
claires.
A droite de la voûte, le cabinet
des manuscrits, ancien cabinet du Dr Témoin, dont la cheminée
s'orne d'une Adoration des mages de l'École française
(XVIIe s.), abrite également les incunables. Le jour de
l'inauguration furent notamment exposés dans la bibliothèque
du docteur divers manuscrits et incunables du fonds : Bible de
Saint-Sulpice (fin XIIe, du type de la Bible de Souvigny); lectionnaire
et évangéliaire de la Sainte-Chapelle du duc Jean
(fin XIVe); édition incunable du Roman de la rose, illustrée
de naïves gravures sur bois; Heures de Rome, de Pigouchet;
une Cité de Dieu, imprimée en 1487 à Subiaco,
par Sweynheym et Pannartz; un Salluste (147I) et les Opera philosophica
de Cicéron (1472), sorties des presses de Gering, Krantz
et Friburger, etc...
Au fond de la cour, la vaste salle carrelée,
aux fenêtres donnant sur la petite rue de l'Equerre, est
occupée par les bureaux et le fonds de livres de la Bibliothèque
centrale de prêt du Cher, récemment créée
: plus tard, ce local pourra recevoir une autre affectation et
devenir éventuellement une salle pour la jeunesse.
De retour sous la voûte, gravissons
le bel escalier de pierre, à rampe en fer forgé.
Le palier du premier étage 2 nous permet d'accéder
à droite, par un couloir, à la salle de réunion,
dite « salle des sociétés savantes »,
longue et claire, située au-dessus de la salle de lecture
publique; à gauche, au bureau du bibliothécaire,
aux boiseries gris clair, qui garde sur ses rayons les principales
bibliographies; en face, se trouve le « salon d'accueil
», ancienne salle à manger, où Eugène
Brisson, futur maire de Bourges, reçut à sa table
le capitaine Rossel, futur membre de la Commune; le Dr Témoin,
propriétaire de la maison après Brisson, attribuait
à Téniers les peintures flamandes du XVIIe siècle
qui tapissent cette pièce et auxquelles le bon goût
et l'habileté de Mr Moras, artiste décorateur des
Monuments historiques, ont rendu une nouvelle fraîcheur
: ce sont des scènes champêtres ou de beuverie,
un tir à l'arc, etc... Au-dessus des portes, le baron
Sallé a curieusement représenté le Dr Témoin,
sa famille et ses amis en costumes de fantaisie (en chirurgien
d'autrefois, par exemple). Le manteau de la cheminée porte
une devise d' « honnête homme », fort convenable
pour une salle à manger : Coagulum amicitiae est cum bonis
convivium (Sénèque). De chaque côté,
les globes céleste (1640) et terrestre (1645) de Blaeu,
restaurés à merveille par les soins de Mr Desbrosses,
chef de l'atelier de la Bibliothèque nationale, contribuent
à donner à ce salon son caractère de musée.
Une employée y surveille le va et vient tout en effectuant
son travail de dactylographie. Au fond et à gauche de
ce salon, la galerie des périodiques propose les revues
les plus courantes dont les derniers numéros sont rangés
dans un meuble à casiers et peuvent être feuilletés
sur les tables le long des fenêtres donnant sur la cour.
Ajoutons que des vitrines serviront à de petites expositions
temporaires.
A l'extrémité de la galerie
à droite, les fichiers en bois clair annoncent la proximité
de la salle de travail : ancien salon de musique dont les murs
ont été tapissés de papier clair; cependant
le style 1900 a été respecté : fresques
à entrelacs sur les poutres apparentes du plafond et les
ébrasements des fenêtres; vitrail aux couleurs un
peu heurtées dans lequel sont enchâssés des
fragments anciens; cheminée néo-gothique imitant
celles du palais Jacques-Cur et due à l'artiste
Henri Jossant. Six tables, dont une légèrement
plus grande, pour la consultation des grands formats, offrent
vingt-quatre places assises (auxquelles peuvent s'ajouter les
six chaises de la galerie). Les rayonnages sont garnis d'un choix
d'usuels considérablement renouvelé et augmenté,
ainsi que des revues de caractère plus savant. Trois fenêtres
ouvrent sur la terrasse dominant la cour. A l'entrée de
la salle, le surveillant reçoit les inscriptions et donne
les bulletins que l'employé installé au fond recueille
pour aller chercher les livres dans les magasins par un couloir
qui y donne accès.
A droite du « salon d'accueil »,
du côté de la place des Quatre-Piliers, a été
prévu un cabinet de travail pour érudits, avec
usuels de caractère spécial (généalogie,
armorial, numismatique, etc.). Il a été installé
dans le salon Louis XVI aux murs ornés de glaces et dont
les dessus de portes sont garnis de motifs mythologiques (centaure,
faune...). A la suite, le « salon des sphinx » présente
un choix de belles reliures : armes royales de Marie-Antoinette,
de Mme Victoire, de Mme du Barry, reliure à la fanfare
aux armes de Mgr de Lévis de Ventadour, etc., et ne sera
ouvert que dans les grandes occasions.
Nous n'avons pas parlé des magasins
réalisés par les Forges de Strasbourg selon le
principe des poteaux porteurs : ils se situent à quatre
niveaux différents de 2,20 m de hauteur.
Le premier, à demi en sous-sol,
contient le fonds ancien, le fonds général moderne,
le Journal officiel; le second, communiquant avec la cour et
la salle de lecture publique, contiendra les réserves
de ce dernier fonds; le troisième, intermédiaire,
est réservé aux collections de périodiques;
le quatrième, au niveau du premier étage du bâtiment
principal, est accessible à la fois de la salle de travail,
du bureau du bibliothécaire et de la salle des sociétés
savantes : on y trouve les grandes collections scientifiques,
les cartes et gravures, le fonds du Berry, la bibliothèque
de la Société historique du Cher, en attendant
qu'on y constitue, dans un « enclos » grillagé
qui reste à aménager, une seconde réserve
où seront rassemblés éditions rares, ex-libris,
etc. non loin d'une petite salle de consultation donnant au-dessus
de la cour.
Le plan de chaque étage est le même
: de part et d'autre d'une allée centrale orientée
Ouest-Est, de 1 m de largeur, les rayonnages métalliques
mobiles, par travées doubles de 5 éléments
de 1 m, sont réservés aux in-4° et petits formats;
à mi-chemin toutefois de chaque côté, deux
doubles travées plus profondes contiennent les in-folio.
Des allées latérales ont été aménagées
dans la mesure du possible mais ne permettent pas, comme l'allée
centrale, le passage du chariot. Le long des murs de l'Ouest
et de l'Est, des rayonnages à bords en rouleaux, qu'un
fond métallique sépare de la paroi, ont été
installés, à la demande du bibliothécaire,
pour la conservation à plat des grands périodiques,
albums, atlas, etc. De même, çà et là,
des meubles bas formant tables de consultation servent au même
usage. Quelques tablettes rabattantes dans l'allée centrale,
des tabourets, complètent le mobilier de ces magasins
toujours soigneusement fermés à clef. L'accès
normal à chaque étage se fait par l'ascenseur monte-charge
situé à l'Ouest; mais un petit escalier de secours
a été construit également du côté
de la rue de Linières .
Jenny, Jean, « La
bibliothèque municipale de Bourges », BBF, 1964,
n° 11, p. 433-438