Les Marais de Bourges - Roland Narboux - Bourges Encyclopédie

 

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L'ENCYCLOPEDIE DE BOURGES

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Version 2019
 

LE SOMMAIRE
 
Introduction
 
La géographie et la topologie
 
Visite guidée des marais
 
L'histoire lointaine … et proche
 
L'organisation et le classement des marais.
 
Faune, flore et potagers
 
Les 4 saisons des marais
 
Les cabanes, les barques et les moulins,
 
Les gens des marais
 
Visites illustres dans les marais
 
L'animation dans les marais
 
L'avenir des marais
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
Ils sont nés à Bourges,
François Mitterrand à Bourges
Chiffres essentiels
Les Templiers
Les élections à Bourges au XXe siècle
Les Très Riches Heures du duc de Berry
les villes jumelles
Radios locales
Les francs-maçons
Kiosque et musique
Agnès Sorel
L'horloge astronomique
Les tramways de Bourges
L'Yèvre à Bourges
L'alchimie
La Bouinotte, magazine du Berry
L'usine Michelin
La maison de la Reine Blanche
Serge Lepeltier
L'industrie à Bourges au XXIs
Monuments Historiques Classés
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

 

 

 

 

 

 

Et puis une nouveauté : L'information et l'actualité à savoir sur Bourges, en quelque clip et quelques lignes :

http://www.bourges-info.com/

 

 

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 LES MARAIS DE BOURGES

Les marais de Bourges sont à l'image des gens de ce pays du Berry, ils existent mais leur discrétion est telle qu'il faut avoir vécu de longs mois à leur périphérie pour se décider à y pénétrer. Et le paradoxe tient dans les passions irrationnelles pour tout ce qui touche le monde des marais : le chemin, la faune, la flore, les légumes, les coulants, la plate, la cabane, et bien entendu l'homme, sur ces sujets, un petit rien, une mauvaise parole, un geste dédaigneux, une herbe peu coupée ou une rangée de poireaux mal alignée, et c'est " la révolution "…. Ou presque. Une étincelle suffit à embraser les 135 hectares de cette terre noire et fertile.

Au pied de la cathédrale se situent donc les marais de Bourges qui appartiennent à environ 1000 propriétaires. La plus grande parcelle fait 1,5 hectares et la plus petite 13 mètres carrés. C'est un joyaux qu'il nous faut découvrir, mais à pas lent, sans bruit, … en se faisant discret et tout petit.


Introduction

Ils sont à une centaine de mètres à vol d'oiseau de la cathédrale Saint-Etienne, dans les quartiers de Pignoux, Charlet et Edouard Vaillant, les faubourgs de la ville ancienne. Avec les rivières comme l'Yèvre, l'Yèvrette, la Voiselle et le Langis ils forment désormais un ensemble de " marais " qui font la fierté de Bourges. Lieu de calme, de repos et de sérénité.

Dès l'an 52 avant JC, cette vaste étendue marécageuse est citée par Jules César, lorsqu'il voulut s'emparer d'Avarich. Plus tard, des communautés religieuses l'acquière, et au XII e siècle les premiers travaux importants sont réalisés avec la construction d'un "vrai lit" pour l'Yévrette et l'édification de moulins.
Ces marécages, pendant des siècles ne sont pas des lieux de promenade, mais des zones incultes, nauséabondes et dangereuses. Leur seul avantage, c'est la pêche car toutes ces rivières sont très poissonneuses, et se nourrir alors, était une fonction vitale pour les Berruyers.
Au XVIIe siècle les acquéreurs de marais sont obligés de les entretenir. Des parcelles sont constituées puis louées aux habitants du faubourg Saint-Privé.

C'est le début d'une exploitation locale et individuelle des marais. Les produits des cultures, légumes et fleurs, sont commercialisés.
A la révolution, les marais sont vendus comme biens nationaux et souvent achetés par les locataires qui poursuivirent leurs tâches, jusqu'au milieu du XX e siècle, les marais sont exploités par des maraîchers professionnels qui disparaîtrons peu à peu, laissant la place aux jardins potagers familiaux, puis progressivement aux "marais loisirs" actuels.

Lieu mythique de Bourges, c'est un poumon vert en pleine ville occupé par des gens amoureux de la nature, ils recherchent le calme et la tranquillité, c'est un jardin dans la ville.

marais "du bas", avec des chemins communaux, marais " du haut " avec de l'eau de toute part, c'est un vocabulaire qu'il faut posséder, on parle de " plates ", " de coulants ", de " bourde "…..à chacun de goûter le charme de ces lieux de travail… et de promenades. Ce sont en effet de merveilleuses ballades pédestres, le long de la Voiselle ou de l'Yévrette à la rencontre de canards, de chardonnerets et autres pinsons le tout d'un charme incomparable.

Les marais, en ce début de XXI ième siècle sont devenus très " tendance " pour reprendre une expression plus en vogue à Paris dans les beaux quartiers que dans notre Berry. Terre ou territoire de conflits continus entre les hommes et la nature, pour dompter l'eau de l'Yèvre ou de la Voiselle avec leurs caprices réguliers et la mauvaise répartition de cette eau si précieuse dans les nombreux coulants. Mais aussi conflits entre les hommes … et entre les hommes et l'administration sous toute les formes possibles.
Les marais représentent aujourd'hui un vaste espace naturel, situé désormais en Centre Ville, occupé par des propriétaires ou de des locataires, tous acharnés à défendre leur parcelle et leur tranquillité, qu'ils cultivent en récoltant des fleurs et des légumes au format souvent " gargantuesque ". Ce sont des passionnés de ces espaces de nature qu'ils veulent sauvegarder.

Aujourd'hui classés, les marais de Bourges sont devenus, pour les Berrichons un symbole fort, au même titre que leur cathédrale Saint-Etienne ou leur palais Jacques Cœur.


La géographie et la topologie

 

Lorsque l'on regarde une photographie aérienne de Bourges, la cathédrale Saint-Etienne ressort sa masse majestueuse au milieu d'une cité entourée de remparts. Mais très vite, l'observateur est attiré par les différentes zones vertes, qui font une croix est-ouest et nord-sud, donnant l'impression d'un immense jardin naturel.

Du haut de " la plus belle cathédrale du monde ", un observateur, perché au somment de la tour Nord, le regard porté à l'Est aperçoit un havre de verdures et de canaux, ce sont les marais de Bourges. Les yeux continuent à chercher vers le sud, puis l'ouest…. Et c'est un peu une révélation : la cité de Jacques Cœur est entourée d'une ceinture verdoyante au milieu de laquelle coule une rivière, un canal ou un ruisseau : c'est le Bourges vert, celui d'hier…. Et encore d'aujourd'hui.

 

Le Bourges vert

D'est en ouest, la ville est traversée, par l'Yèvre accompagnée de plusieurs affluents. Du sud au nord, c'est l'Auron qui survient, créant à l'entrée de la ville un immense lac, artificiel, appelé le lac d'Auron d'une superficie supérieure à 80 hectares. L'Auron se jette en plein Bourges dans l'Yèvre, alors que venant du nord de la ville, le Moulon en fait de même.
Ajoutons à cela un autre ouvrage récents : le canal de Berry qui promène ses lignes géométriques le long de l'Auron, puis le long de l'Yèvre jusqu'à Vierzon.
Cette trame verte devient omniprésente et forme au pied de l'oppidum sur lequel est perché la cathédrale, plusieurs zones de marais.

Comment se présentent les marais à Bourges ? Il faut savoir que dans le langage courant, pour les Berrichons, lorsqu'ils évoquent les marais, ce sont pour 90% d'entre eux des zones situées au nord-est de la ville, appelés encore " Marais de l'Yèvre et de la Voiselle ". Ils occupent 135 hectares, mais ils ne sont pas seuls sur la commune.

A l'origine de l'implantation humaine, les marais ont eu une importance sans doute essentielle. C'est sur l'éperon de la ville actuelle, mais aussi sur les plateaux de faible altitude que la ville celte s'installe à l'âge du fer et devient au V° siècle avant JC, une des plus imposantes cité du monde occidentale.

Les marais sont formées par l'arrivée, sensiblement au même emplacement, de plusieurs rivières qui se rencontrent autour d'un éperon culminant à 155 mètres d'altitude. Ce promontoire passe assez vite de cette cote 155, à celle de 127 mètres vers le pont d'Auron ou vers la zone des marais à proximité du quartier de Pignoux. La dénivellation est donc d'une trentaine de mètres.

Les rivières des époques lointaines s'appellent l'Yèvre, l'Auron, auxquelles il faut ajouter le Langis qui se jette dans l'Yèvre, tout comme le Moulon. Quant à la Rampenne elle s'en va vers l'Auron.

 

En fait le réseau des rivières de Bourges est particulièrement complexe et dense.
C'est la ville aux 7 rivières, à savoir :

- l'Yèvre
- la Voiselle, l'Yèvrette et le canal de dessèchement issus de l'Yèvre
- le Langis qui rejoint l'Yèvre après un passage dans les marais
- le Moulon, oh combien capricieux
- l'Auron qui est un fleuve important à lui tout seul.

Les rivières actuelles comme l'Yèvrette, la Voiselle, ou le Canal de dessèchement, sont artificielles.

Aujourd'hui, lorsqu'un touriste demande comment aller dans les marais, lorsqu'il se trouve à proximité du Centre Ville, l'autochtone lui répond invariablement en berrichon dans le texte :

Prenez la rue à gauche là-bas, et vous allez jusqu'au grand magasin c'est l'hypermarché Carrefour, et c'est là. Pour vous garer, car je suppose que vous êtes en voiture automobile, arrêtez-vous le long de la chaussée de la Chappe, à moins que vous vouliez aller jusqu'au Caraqui. Mais attention,je vous le déconseille, le chemin à cet endroit est mauvais. Vous savez, à la ville, ils ne rebouchent pas les trous ! Ah mon pauvre monsieur. "

D'autres, envoient le touriste vers la rue Edouard Vaillant, et parfois vers la rue Charlet ou le boulevard Chanzy. C'est à dire toujours dans les marais de l'Yèvre et de la Voiselle, aux multiples entrées, alors qu'il existe d'autres secteurs de marais dans la ville, mais ils sont " réservés " aux seuls Berrichons… et aucun touriste n'y est jamais entré.

Ces marais inconnus sont multiples, ceux de la Prairie de Saint Sulpice, de Robinson, des Barbottes, des Plantons…..

Les marais enserrent la ville :

Les marais sont divers dans la cité de Jacques Cœur, on peut chercher à les énumérer, sans avoir la certitude de ne pas omettre l'existence de plusieurs d'entres eux.

Au sud, entre le lac d'Auron et le boulevard de l'Industrie se trouvent les marais de Robinson, du nom donné au début du XX e siècle à la guinguette d'autrefois et à la piscine actuelle, le long de l'Auron ou de ses affluents. Ils sont tout simplement inaccessibles, sauf pour celui qui possède une parcelle depuis plusieurs générations……

Puis ce sont les marais de la Prairie parfaitement dissimulés entre le boulevard de l'Industrie et le palais d'Auron ou le pont d'Auron. Pendant longtemps, ces marais étaient inaccessibles et hors de la vue du public, mais la réalisation de la " trouée verte ", dans les années 1970 montre leur existence. Comme ils sont à proximité du Camping municipal, il arrive parfois que des campeurs qui sont généralement amateurs de nature sauvage marchent en direction du Centre Ville par des chemins herbeux et traversent ainsi cette Prairie. Le franchissement d'un des bras de l'Auron ou de la Rampenne se fait sur les plots et nécessite une certaine souplesse si l'on ne veut pas se retrouve à l'eau !

Les marais de Saint Sulpice sont situés à proximité de la commune de Saint-Doulchard, juste en bordure de l'Yèvre. C'est dans cette zone que fut construite il y a bien longtemps, une abbaye bénédictine. C'est aussi sur cette prairie que Jeanne d'Arc aimait venir, selon les textes, pour s'entraîner à cheval avant de s'en aller guerroyer. Aujourd'hui des jardins potagers permettent à de nombreux maraîchers de s'adonner à leur art, d'une manière très discrète, puisque les Berrichons ignorent souvent ce lieu, qui jouxte la station d'épuration, laquelle repousse généralement le touriste ou le simple promeneur.

Plus au nord, dans un espace situé juste derrière le boulevard Gambetta, sur toute sa longueur et en bordure de l'Yèvre, ou de l'une de ses dérivations, des marais forment une série de jardins, très mal connus, et occupés par les propriétaires des grosses maisons construites au XIX e siècle en bordure de ce boulevard.

Les marais des Plantons, dont une partie a été gagnée par l'urbanisation ont été constitués progressivement par le Langis. Ils sont situés derrière une zone d'activités avec des bâtiments comme celui du Crédit Agricole et même l'IUT de Bourges, construits à la fin des années 1960. Ce sont des marais dont une partie, le long de la rue Bernard Palissy a été livrée à l'urbanisation, avec sur le devant, à proximité de la route de La Charité, des coulants ou des bras de déchargement, très utiles lors des crues même s'ils ont été partiellement ou totalement bouchés par les riverains au fil des décennies.
Sur une partie des marais vers ce qui fut appelé Port Sec Nord, aujourd'hui Esprit 1, les jardins ont subsisté, parfois difficilement et la sédentarisation récente de plusieurs familles des gens du voyage provoque quelque conflit avec les riverains et autres jardiniers….

Il n'existe donc pas une seule zone occupée à Bourges par des marais, mais une multitude qui ne se remarque pas…. Sauf en avion à basse altitude. Pourtant, le vocable utilisé par les Berrichons, lorsqu'ils veulent parler " des marais " c'est dans le langage de tous les jours, ceux de l'Yèvre et de la Voiselle.

Cela n'empêche pas, de constater que dans les temps anciens, le nombre et la surface occupée par les marais, étaient considérables. Beaucoup ont disparu…. Sans que cela n'émeuvent la population d'alors !

 

Les marais disparus

A Bourges, par rapport à d'autres villes qui ont éradiqué toute zone humide, peu de marais ont véritablement disparus. La canalisation, l'entretien et l'utilisation de parcelles maraîchères a évité leur destruction pure et simple.

On peut simplement noter que les marais existaient à l'emplacement actuel des Prés Fichaux, et le maire de l'époque, Henri Laudier en fit un magnifique jardin d'Art déco dans les années 1930. Ainsi fut remplacée une zone particulièrement nauséabonde située près de la gare, en entrée de ville, par un espace que beaucoup de ville de France envièrent.

Plus proche de notre époque, dans les années 1970, le lac d'Auron avec plus de 80 hectares a été mis en eau sur des marais constitués par l'Auron et la Rampenne.

Au début des années 1980, c'est une partie des marais Saint Paul, qui a été comblée pour le parc des Expositions, et un vaste parking pour les bus municipaux a été réalisé… en bitume.

Quant à la station d'épuration de la ville de Bourges, elle a été édifiée sur les marais du Mavois, entre l'Yèvre et le Moulon, à la limite de la commune de Saint Doulchard.

Sur les franges des marais de la Voiselle, l'urbanisation a sévit, c'est le cas de la rue Charlet, avec quelques constructions individuelles datant des années 1900, alors que Boulevard Chanzy, deux immeubles, " haut et laid " datent des années 1970, ils ont été pris sur les zones humides. Et c'est ainsi qu'une des plus belle vue sur la cathédrale à partir des marais des Ribault a été totalement défigurée par ces deux constructions.

Mais la surface la plus controversée, aujourd'hui encore, concerne l'implantation de l'hypermarché Carrefour.

Ce matin-là, en 1969, deux maraîchers, Gérard et Fred discouraient en marchant à petits pas sur le chemin de Caraqui, en direction de la Chaussée de Chappe, évoquant ce brûlant sujet :

- C'est y pas malheureux, commença Gérard. Quant je pense qu'ils ont fait un immense magasin et un parking géant à la place de nos marais.
- T'a raison, Fred, mais tu sais, à cette époque, le maire il s'en foutait de la nature et de nos marais, il voulait son hyper. D'ailleurs, c'est un des premiers de France, je crois.
- Et puis ce parking, en bitume, et toutes ces voitures et l'eau qui s'en va vers les coulants, c'est pour ça qu'on a plus d'écrevisses.
- C'est pour ça qu'il faut qu'on se batte, ne plus revoir ça, car ils vont continuer…..
- Aller, vient, on va aller se consoler à la cabane. J'ai un Châteaumeillant au frais, dans une lessiveuse…..

Et ils partirent en direction des marais du haut par le chemin Saint Fiacre. Ils auraient dû savoir que le magasin Carrefour n'avait pas été construit sur des marais récemment comblés.

En effet, ils avaient bien raison quant à la nécessité de protéger les marais restant, mais sur le comblement de la parcelle sur laquelle est situé et fut construit l'hypermarché Carrefour en 1969, ils ont effectivement tort. Cet espace important était un beau champ de blé au XIX e siècle, et les recherches actuelles ne permettent pas de savoir si un jour, il y a plusieurs siècle, ce lieu fut ou non un marais.

On doit donc noter une pression immobilière permanente, pour récupérer de l'espace et créer, ici un pavillon, là une cabane, plus loin une clôture et parfois un parking….. Il ne reste donc de manière presque originelle, les marais de l'Yèvre et de la Voiselle, qui sont " les derniers grands marais de Bourges ".

 

Qu'est-ce qu'un marais à Bourges ?

Un marais, c'est une parcelle de terrain, d'une surface moyenne de 500 à 1000 mètres carrés environ avec des disparités importantes. Elle est de forme géométrique classique et peu originale, c'est un carré ou un rectangle. Chaque côté est parfaitement déterminé, une clôture végétale ou barrièrée en définit les limites. Selon que l'on se trouve dans les marais du " Haut " ou ceux du " Bas ", l'eau entoure totalement ou partiellement la parcelle. Ainsi, un marais peut être entièrement entouré d'eau, inversement, il ne peut y avoir aucun coulant…. Ce qui est toutefois assez rare.

Sur la parcelle, la terre a été travaillée, selon la saison, on peut ainsi trouver un jardin récemment retourné à la bêche, ou encore de belles allées avec des légumes prêts à être ramassés…. Quant à l'hiver ou à la saison froide, le marais peut sembler être abandonné, sous la neige parfois, et plus sûrement sous l'eau

Selon les secteurs, quelques arbres, fruitiers pour la majorité, occupent une partie de la parcelle, mais ils ne doivent pas prendre de l'ampleur car ils feraient de l'ombre aux cultures.

Le marais est donc, aujourd'hui encore, un lieu de culture !

Les marais de l'Yèvre et de la Voiselle

L'ensemble des marais de l'Yèvre et de la Voiselle montrent une géométrie assez particulier. Ils ressemblent, vue du ciel à une immense patatoïde avec sur l'est, un gros bouton… formé de bitume : le parking de l'hypermarché Carrefour. Les parcelles apparaissent comme les " pixels " d'une photo numérique, de petits carrés de couleur verte ou bleue, avec de grandes traînées, qui sont des chemins de terre de largeur variable, ce sont des allées.

On distingue les marais " du Bas " et les marais " du Haut ".

Les marais " du Bas " ont pour caractéristique d'être à une altitude assez faible, ils sont accessibles à pied ou à vélo par de multiples entrées, sur plus de la moitié de leur superficie. Par contre, ils ne sont pas navigables dans les rivières ou coulants, soit parce que la largeur ne le permet plus, comme pour l'Yèvrette, soit, dans le cas de la Voiselle, parce que le courant est trop fort, même si certains se risquent à naviguer sur quelques tronçons de cette belle rivière. Ces marais possèdent aussi un parcellaire très étriqué comprenant des clôtures et des haies.
Cette grande zone, très importante se divise en 14 quartiers aux noms intéressants et typiques, ce sont les marais des Ribauds, des Mariens, des Chenus, des Picaults, des Prébendes ou de Saint François…. Etc

Les marais " du Haut " ne possèdent que 8 quartiers, aux noms tout aussi curieux et " très berrichons ", ce sont les marais de Saint-Ursin, des Pains Perdus, des Barbottes ou des Tourattes. Ils sont aussi caractérisés par de très grandes allées de plusieurs centaines de mètres, portant le nom des marais correspondants comme l'allée des Grands Chenus.
Les coulants sont la partie essentielle de ces marais, ils ont une largeur comprise entre 5 et 10 mètres, et il faut une bonne " plate " pour circuler dans ces coulants.

Les ports des marais :

Compte tenu du nombre de barques dans les marais " du Haut ", il a été nécessaire de créer des " ports ". Ce sont essentiellement trois ports, fabriqués de manière très succincts, avec des palplanches, ils permettent d'accoster et de laisser la barque pour une journée… ou pour tout l'hiver. Les trois " grands ports " sont :

- le port aux Echalottes, situé le long de l'Yèvre en sortie des marais, il donne sur les 4 Pelles, c'est là que se fait la fête des marais de septembre.
- le port dit du Caraqui, en face du restaurant, sur un domaine propice aux photographies….
- le quai des Maraîchers fut largement utilisé pour le " parking " des barques dans les temps anciens, il l'est moins aujourd'hui.



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L'histoire lointaine… et proche

 

Les marais des Bourges sont sans aucun doute présent depuis " la nuit des temps ", et les historiens s'accordent à dire que dès le VII ième siècle av JC, une population vivait sur cette zone, laquelle apportait une certaine sécurité par rapport aux prédateurs de l'homme, et plus tard au fil des siècles, un moyen de subsistance.
Le promontoire actuel sur lequel trône la cathédrale de Bourges est entouré depuis toujours de deux belles rivières, l'Yèvre et l'Auron, qui formèrent en fait un immense marécage. Aussi le site fut-il idéal pour se protéger, il s'agit " d'une défense naturelle difficilement franchissables " à ces époques lointaines.

La présence humaine depuis 2500 ans, par les Bituriges qui sont en réalité des Celtes (ou Gaulois), est largement attestée par les archéologues et c'est sans aucun doute la fertilité des sols pour une forme élémentaire d'agriculture et une certaine abondance de minerais de fer et d'étain qui font de cette très grande métropole un des centres du commerce de ces temps reculés.

César face aux marais de Bourges

La première trace historique écrite sur les marais de Bourges fut l'œuvre de Jules César en mars 52 avant JC. Il se présente face à Avarich (Avaricum) et la présence des marais lui pose un sérieux problème stratégique, d'autant plus que les solides remparts celtes semblent très efficaces.

" ….. César partit pour Avaricum, qui était la ville la plus grande et la plus forte du pays des Bituriges : il sentait que la prise de cette place lui soumettrait toute la nation des Bituriges ".

Et en parlant d'Avarich, il poursuit dans son " De Bello Gallico " :

" … Car presque de tous côtés elle est entourée par l'eau courante et le marais et n'offre qu'un accès, qui est d'une extrême étroitesse ".

César insiste d'ailleurs sur ces marais qui lui pose une véritable difficulté :

" La position de l'ennemi était une colline qui s'élevait en pente douce. Elle était entourée presque de toutes parts d'un marais difficile à traverser et plein d'obstacles, dont la largeur n'excédait pas cinquante pieds ".

Il poursuit son récit :

" Les Gaulois avaient coupé les passages et ne bougeaient pas de leur colline ; rangés par cités, ils occupaient solidement tous les gués et tous les fourrés de ce marais "

D'ailleurs, les Celtes de la cité lorsqu'ils voulurent desserrer l'étreinte des troupes romaines, se lancèrent à travers les marais qu'ils connaissaient bien, pour tenter de prendre à revers les légions de César, ou pour rejoindre Vercingétorix qui était alors à quelques lieues de la cité, vers ce qui est actuellement le village de Morogue.

Cette sortie fut un échec, et la ville d'Avarich fut occupée et les Celtes anéantis. Si les marais de Bourges avaient plus accueillants, la face du monde en eut été changé !

Les premiers aménagements

Les siècles passent, la paix romaine dote Avarich devenu Avaricum puis Bourges de somptueux monuments, avant que la ville se dote d'un rempart en pierres. Les marais restent alors un outil protecteur, mais insuffisant.

A partir du VII ième siècle s'implantent en Berry et à Bourges plusieurs monastères, et ils se construisent en bordures des rivières et marais de Bourges. C'est ainsi que des abbayes bénédictines sont édifiées, comme à Saint Laurent, à l'est de la cité, à Saint Ambroix plus au nord, pas loin de l'Yèvre et à Saint Sulpice au bord de l'Yèvre, à l'ouest de la ville. Cette période du Haut Moyen Age est marquée par la présence de Charlemagne, qui ordonne nous dit la tradition ou la légende, la réalisation de travaux gigantesques pour l'époque.

C'est sans doute à ce moment que l'Yèvrette est tracée et son cours creusé comme dérivation de l'Yèvre, ce qui permet d'assécher quelques zones et surtout de commencer à utiliser de manière rationnelle l'eau qui ne stagnait plus, mais coulait. Les rivières pouvaient dès ce moment être utilisées pour les usages domestiques, l'évacuation des latrines et enfin, pour un artisanat qui pouvait se développer.

Les moulins font leur apparition, et avec eux, des métiers nouveaux. Comme en Berry, la force du vent n'est pas une énergie très efficace, c'est l'eau qui permet de moudre le grain, par l'intermédiaire des meules mues par la force du courant de l'Yèvre et de l'Yèvrette.

Plus tard, des communautés religieuses acquièrent ces espaces, la ville possédant les communaux. C'est au XII ième siècle que sont réalisés les premiers travaux importants avec la construction d'un "vrai lit" pour l'Yévrette et l'édification de moulins.

Le Moyen Age des Riches Heures de Bourges

A partir du XII ième siècle, la cité devient prospère, c'est une ville importante, cela va durer 3 siècles, ce sont les " Très Riches Heures de Bourges ", la cité devenant pour quelques temps, la capitale du " Royaume de France ", la cathédrale étant alors et aujourd'hui encore le symbole de cette puissance.

Pourtant, les marécages, en cette époque lointaine, ne sont toujours pas des lieux de promenade, ce sont des zones encore incultes, nauséabondes et dangereuses. Seul avantage de ces marais : la pêche. Toutes les rivières sont très poissonneuses, et se nourrir alors, était la première préoccupation des Berruyers.
Les métiers s'implantent le long de l'Yèvre et de l'Yèvrette, c'est ainsi que le père de Jacques Cœur vient habiter et travailler à Bourges rue Parrerie, il exerce la profession de pelletier. Il a pour voisin, des drapiers, des tanneurs ou des chanvriers. Sur les zones asséchées, tout au moins à la belle saison, les terres sont récupérées comme pacage pour les bêtes, alors que l'artisanat continue à se développer.

Des travaux sont progressivement réalisés, comme l'édification de la " Grande digue de l'Yèvre ", dont la date est très approximative, et d'un fossé qui deviendra l'Yèvrette, et cela se situe au XII ième siècle, mais peut être deux siècles auparavant….

C'est l'époque des moulins à farine qui se construisent par dizaine.
Ainsi les marais sont domptés pour la production d'énergie, avec les moulins, et l'utilisation de l'eau pour les fouleries et autres tanneries, mais les terres, restent des zones incultes, souvent inondées : de vrais marécages peu exploitables.

Dans le parcours-spectacle des Nuits Lumière de Bourges, le seul texte qui est proclamé sur le mur gallo romain du jardin de l'archevêché concerne le Bourges " d'avant la cathédrale " et il commence par une belle évocation des marais sur une musique de Beethoven :
" Ici, tout n'était que marais ! "

L'entrevue princière

La ville de Bourges, à la grande époque de Jean de Berry, Charles VII Jacques Cœur et Louis XI a reçu la visite de personnages illustres, princes et roi venant de tout le royaume et même de plus loin. La cathédrale, la " grant'maison de monseigneur l'Argentier ", la Sainte Chapelle et le palais Ducal devenant des lieux incontournables.
Quant aux marais de Bourges, nul ne s'y aventurait, ce n'était pas un endroit pour se promener, et l'on peut penser que la belle Agnès Sorel, si elle flânait à Menetou ou plus sûrement à Bois-sir-Amé, ne s'est jamais risquée dans les marécages d'alors, car, selon les saisons, ce n'était qu'une vaste étendue d'eau, souvent " sale et puante " !

Et pourtant ces marais vont être le lieu d'une rencontre inattendue.
Au début du XV ième siècle, alors que la situation politique est incertaine, et que la moindre rencontre entre deux princes est susceptible de se terminer par un beau coup de dague et un enterrement en grande pompe, les marais de Bourges servirent à la paix.

En effet, tout remonte à 1407, date à laquelle, Jean sans Peur, duc de Bourgogne avait fait assassiner Louis d'Orléans, et ce fut la guerre civile entre les Bourguignons et les Armagnacs. Le duc Jean de Berry, du parti des Armagnacs, Bernard du même nom étant son gendre, prit les armes en mai 1412 pour venger Louis d'Orléans. Le roi Charles VI, aidé par la Maison de Bourgogne vint faire le siège de Bourges et la cité fut très endommagée.
Mais les épidémies étaient assez courantes à cette époque et les troupes furent décimées par la dysenterie. Pour mettre fin aux combats, l'archevêque de Bourges fut désigné pour conduire des négociations, et c'est dans les marais de Bourges, seul lieu sûr pour les deux camps que se déroula l'entrevue majeure entre le duc Jean de Berry, qui était déjà âgé, et son neveu Jean sans Peur, duc de Bourgogne. Et au milieu des marais fut conclut la " Paix de Bourges ".
Cette paix franco-française des marais de Bourges ne va pas empêcher quelques années plus tard à Montereau, en 1419, l'assassinat de Jean sans Peur…. par des " amis " du futur Charles VII.

Le temps des communautés

Les décennies passent, et l'eau coule dans les marais …. Ou stagne selon le degré d'intérêt des propriétaires d'alors. La plus grande partie des marais souvent appelés de Saint Privé appartenaient à des communautés religieuses. Elles étaient nombreuses et puissantes à Bourges et dans tout le diocèse appelé d'ailleurs " Aquitaine Première ".
En 1637, les différents chapitres comme ceux de Saint-Ursin, de Saint-Etienne, ou de celui de la cathédrale, se partageaient les marais, sans oublier des possessions appartenant aux bénédictines de Saint-Laurent. De même, la ville de Bourges était aussi propriétaire de plusieurs parcelles : des communaux.

Au XVII ième siècle, très exactement en 1640, la ville se voit contrainte de payer un impôt de guerre de près de 60 000 livres, exigé par le pouvoir royal…. Et comme il n'y avait plus beaucoup d'argent dans les caisses et autres coffres, ils demandèrent à Paris et Orléans de leur consentir un prêt, ce que les deux cités refusèrent et c'est ainsi que Louis XII, alors au pouvoir donna l'autorisation aux élus de vendre leurs communaux.

Ces parcelles furent achetées par des chapitres, comme celui du Château, par des Chanoines et par les Jésuites du collège Sainte Marie, alors que pour la première fois, des gens fortunés de la ville achetèrent pour leur propre compte de nombreuses parcelles. Mais l'ensemble de ces acquisitions, suite à un arrêté de 1663, demandant aux nouveaux propriétaires d'entretenir leur terres, l'opération s'averra fort coûteuse, et beaucoup, tout en réalisant des aménagements, se lancèrent afin de retrouver un peu de profit dans la production de légumes.

Certains considèrent que les marais de Bourges, comme chacun les connaît aujourd'hui, datent véritablement du 18 avril 1640, car ils étaient pour la première fois exploités de manière forte, ils ne sont plus en totalité des zones insalubres servant à défendre la ville ou des lieux de pacage des moutons, mais ils commencent véritablement à se transformer en jardins maraîchers. Ils sont environ 70 personnes à cultiver les marais, et leur production, en légumes et fruits sont proposés à la vente dans l'espace de ce qui est aujourd'hui, la place Gordaine.

Il n'en reste pas moins, que les marais, même avec quelques travaux, comme le creusement de fossés et le rehaussement des parcelles en y rejetant la terre ainsi récupérée, restent assez souvent d'immenses marécages dès que la pluie commence à tomber en Berry.

La révolution tranche

A la révolution de 1789, les marais appartenant aux communautés religieuses sont vendus comme Biens nationaux et souvent achetés par les locataires qui poursuivirent leurs tâches.
Les moulins et de nombreuses parcelles sont vendus et en particuliers, les immenses terrains des communautés religieuses sont fractionnés en de multiples parcelles beaucoup plus petites, que les nouveaux propriétaires peuvent alors " se payer ". Le résultat, c'est une multiplication considérable du nombre de ces parcelles, un découpage que l'on retrouve encore aujourd'hui.

C'est ainsi que le moulin de Voiselle est vendu en 1791, et l'année suivante, c'est celui de Charlet. On peut considérer qu'à la fin du 1 er Empire, les propriétés de l'Eglise mais aussi les communaux ont tous été vendus à des particuliers. C'est le début réel du " maraîchage intensif ", ce qui correspond à un accroissement de la population de la ville de Bourges et un besoin accru en légumes et en fruits.
On peut noter que ce sont davantage les marais du haut qui se professionnalisent contrairement à ceux du bas qui restent plus familiaux et sont cultivés pour les usages personnels des maraîchers.

La seconde conséquence, c'est l'opposition entre les différents types de propriétaires, maraîcher ou meuniers qui ne sont que rarement d'accord sur la gestion du niveau des eaux. Les procès deviennent courants dans les marais et les conflits vont faire partie du paysage.

Le niveau des eaux était géré par les meuniers, c'était leur " gagne pain ", ils entretenaient avec beaucoup de conscience le cours des ruisseaux et des coulants, et lorsque progressivement ils disparurent, ce furent les maraîchers qui durent faire ce travail ingrat et toujours discuté.

La seconde moitié du XIX ième siècle

Cette période est caractérisée par l'avant dernière modification des marais avec des éléments importants qui se déroulent à partir de 1850. Le premier, c'est le passage à Bourges du Prince-président, le futur Napoléon III qui s'intéresse à la capitale du Berry. Il va être à l'origine des industries d'armement avec une fabrique de canons. La conséquence sera l'afflux de personnels venus des campagnes et, à partir de 1860, les Etablissements militaires représentent l'Industrie à Bourges avec un grand " I ". C'est le début du renouveau de la ville. Et ces personnes vont acquérir des parcelles pour retrouver la terre noire de leurs ancêtres et en les cultivant, apporter une ressource supplémentaire à leur petite famille.

Le passage de ce futur Napoléon, en amont des marais de Bourges, à la colonie pénitentiaire de Saint Germain du Puy va être un encouragement pour assécher les zones trop inondées, et cela va réguler la partie des marais de Bourges situés en aval.

Pendant 1 siècle environ, de 1850 à 1950, les marais vont rester un lieu constitué de mille et une parcelles achetées ou louées par des gens de Bourges de condition souvent modeste, ils vont les cultiver avec beaucoup d'amour, car c'est un moyen de subsistance ou d'appoint. Et si les conflits locaux entre maraîchers sont encore nombreux, ils ont tous à cœur d'entretenir le marais…..

De leur côté, les maraîchers professionnels continuent leur travail, mais les conditions d'exploitation deviennent de plus en plus draconiennes, surtout par rapport aux grandes productions du Val de Loire et à l'amélioration des moyens de transports des produits frais.
Alors peu à peu, ils vont disparaître.

De la même manière, vers la fin du XIX ième siècle, les moulins, un à un disparaissent, ils sont repris par des particuliers qui les utilisent à d'autres fins que moudre le grain ou le kaolin. Ils ne peuvent pas se dresser en concurrent des grands minotiers du Berry ou de la Beauce.

C'est ainsi que les marais changent de physionomie, l'ensemble des parcelles est cultivé, il y a peu de friche, et les zones incultes se font rares ou inexistantes. On ne se promène pas encore beaucoup dans les marais, ce ne sont pas des lieux de ballades romantiques, mais des espaces de travail " à l'ancienne ", qui change de " l'usine ", et où le maraîcher se sent libre, il n'a en face de lui que les éléments de la nature qu'il cherche parfois à dompter.

Il est intéressant de reprendre quelques phrases écrites par S. Clément, c'était en 1881,

" Ces riants vergers si frais, si fertiles, avec leur ceintures de canaux, sont une conquête de l'homme savamment obtenue sur un sol autrefois marécageux. Toute la vallée n'était qu'un vaste étang, défense naturelle infranchissable contre une armée assiégeante, mais foyer permanent de miasme pestilentiels pour les habitants ".

Et plus loin, il nous décrit ce qu'il observe,…. Et cela semble date de la semaine dernière :
" Les canaux n'ont pas tous la même largeur ni la même direction. Dans quelques endroits, on en voit cinq ou six courir parallèlement en lignes droites fort rapprochées les unes des autres ; ailleurs c'est un réseau enchevêtré de lignes courbes, avec des impasses et des carrefours comme dans la distribution des villes antiques ".

Et la mutation s'est poursuivie, sans que le paysage en soit affecté, alors que des projets se dessinaient pour faire de ces marais un lac ou une cité lacustre sur pilotis dans le cadre d'une opération immobilière…. comme à Port Camargue. Mais rien d'important n'a été réalisé. Les marais sont restés tels quels, très faiblement grignotés par l'urbanisme essentiellement sur la périphérie.

Jardiniers d'aujourd'hui

Dernière évolution de ce milieu naturel, dans le dernier quart du XX ième siècle : les derniers maraîchers professionnels ont presque tous disparu, et les pouvoirs publics restent à l'écart de ces marais, n'achetant que rarement des terrains.

Peu à peu, l'ensemble des parcelles s'est transformée en de nombreux jardins potagers familiaux. Des friches sont apparues, mais en nombre encore acceptable, et l'arrivée d'une population immigrée venue d'Orient a redonné un " coup de jeune " à ces jardins, avec des cultures exotiques que les Berrichons ont regardé avec amusement, sans s'en inspirer, restant aux tomates, poireaux, salades et autres haricots.

La mutation nouvelle date des années 1990, avec l'arrivée d'une population, souvent jeune, toujours familiale, accrochée à la nature mais peu portée sur la culture du légume ou le dragage des coulants. Ainsi apparaissent peu à peu, ce que certains appellent : les marais loisirs.

C'est la parcelle, ensemencée de gazon, avec quelques arbres, une belle cabane en bois achetée à Carrefour ou à La Redoute, et un ensemble de balançoires et bacs à sable pour faire jouer les enfants. Un banc, un barbecue, et…. C'est le bonheur retrouvé au fond des marais, sous le regard sévère des " anciens " qui ne comprennent pas que l'on puisse préférer tondre le gazon, plutôt que de cultiver des choux ! Il s'agit d'une tendance lourde, même si, dans une première approche, la parcelle est divisée en loisirs et gazon d'un côté et légumes de l'autre. Pour combien de temps encore ?


4 L'organisation et le classement des marais

 

Lorsque l'on parle des marais, où que l'on fait visiter les bords de la grande digue à quelques touristes, du Berry ou de plus loin, il est assez courrant que les questions fusent :

" comment ça marche tout ça ?, "
" c'est à qui ces marais ? "
" comment c'est organisé ?"
" Que fait la ville dans cet ensemble ?",…. " Et l'Etat ? "

La fibre " nature " est depuis toujours une composante de l'espèce humaine, car chacun se rappelle que ses ancêtres furent des paysans et autres hommes de la terre, et d'autres furent issus du milieu des jardiniers, à la campagne où à la ville dans les cités jardin, et aujourd'hui, cette fibre est devenue " écologiste ". Alors, des marais en pleine ville, c'est un peu " la " curiosité et l'anachronisme dans une ville.

L'organisation sous forme associative des marais de Bourges est un phénomène qui n'est pas récent. Au XIX ième siècle, plusieurs types de structures, sous forme d'Associations Syndicales Autorisées, (ASA) ont été semble-t-il constituées dans les années précédent la Grande Guerre. Puis vers 1930, alors qu'une loi d'embellissement et d'amélioration du paysage de Bourges est signée par le président Albert Lebrun et le maire Henri Laudier, plusieurs syndicats se partagent la gestion des différents marais de la ville. En 1935, une ASA est constituée, mais elle ne fonctionne que quelques années… et disparaît.

Le temps passe, et l'eau coule dans les marais.

Aujourd'hui, sur le plan de l'organisation collective des marais, on trouve trois entités, plus ou moins bien structurées :
- l'association " Patrimoine Marais " (qui avait pour nom à l'origine l'AUMYVB, Association des Usagers des Marais de l'Yèvre et de la Voiselle de Bourges). C'est la plus ancienne.
- l'association appelée AMB, Association des Marais de Bourges de création récente.
- les " autres ", c'est à dire les maraîchers, propriétaires ou locataires, n'appartenant à aucune de ces deux associations. Ils sont en majorité.

Au cours du temps, et après une longue période d'individualisme, les maraîchers se regroupèrent, et ce n'est que dans les années 1970, sous l'impulsion de Marcellin Ferrand, qu'une première association selon les statuts de la loi de 1901 fut constituée.

En fait, il s'agissait, comme souvent en pareil cas, d'une réaction contre la mairie de Bourges, dirigée à l'époque par Raymond Boisdé. L'action commença par une pétition, qui recueillit environ 170 signatures. Les pétitionnaires reprochaient à la municipalité de vouloir automatiser les pelles…. Lors d'une enquête publique diligentée par l'Etat, pour permettre par un système moins aléatoire, en motorisant les pelles, de gérer de manière plus rigoureuse la hauteur de l'eau dans les marais, ceux du haut comme ceux du bas.

Paul se souvient aujourd'hui de cette époque. Il était en barque, ce matin la, dans les marais du haut, vers les Pains Perdus, il poussait sa bourde, et le bateau se frayait un passage entre les berges étroites.
Il raconte :

C'était je crois à l'automne 1970, mais je n'en suis pas sûr, et je vis un de mes anciens collègues avec lequel je travaillais aux Etablissements militaires, à la pyro. Il m'apostropha :
- Ohé, Julien, j'ai un papier à te faire signer. Tu ne bouges pas, je vais essayer d'accoster, là-bas à côté du gros saule.
- C'est comme tu veux, lui répondis-je, mais je n'ai rien fait.
- Ne bouge pas, je fais la manœuvre et j'arrive.

La barque s'immobilisa et je fus, en un saut sur la berge.
- Voilà, c'est une pétition, tu sais, comme à l'ABS autrefois, c'est une idée de Marcellin, il a appris que l'on voulait mettre un autre système de pelles, je crois que c'est justement aux 4 Pelles, et en plus, ils veulent nous empêcher de rejeter l'eau.
- T'es sûr de ce que tu dis ? Je connais un conseiller municipal, ça m'étonne de Boisdé.
- Enfin, j'ai pas tout compris, mais il faut signer, c'est la solidarité camarade, comme en 36.

Et Julien signa la pétition, sans savoir en fait qu'il était, avec quelques autres, à l'origine de la première association moderne de défense des marais de Bourges.

Vers l'AUMYVB

Ayant montré par cette action collective que l'on est meilleurs ensemble que seuls, les maraîchers décidèrent dès lors de créer une vraie association de défense avec des statuts, un bureau, un président…. Bref tout ce qui existe en la matière pour ne pas se laisser marcher sur les pieds !
Ils déposèrent les statuts de l'Association des Usagers des Marais de l'Yèvre à Bourges, ce qui donne en prenant les premières lettres de chacun des mots : aumyb, un sigle pas très porteur, et d'une certaine complexité.
La déclaration date du 21 avril 1971, et c'est le journal officiel du 5 mai 1971 qui donne à cette association, loi 1901, sa validité. Au départ, le périmètre considéré est plus réduit qu'aujourd'hui, puisque c'est l'Association des Usagers des Marais de l'Yèvre de Bourges. Il manque la Voiselle….
Quelques années plus tard, en 1977, est ajouté au périmètre d'origine, les marais des Prébendes et ceux de Charlet, ce qui modifie le sigle qui devient l'Aumyvb, un mot définitivement imprononçable, mais à cette époque, la médiatisation n'avait pas la place d'aujourd'hui, et chacun parlait " des gars des marais ".

Il faudra attendre 2004 pour que l'AUMYVB, tout en conservant son nom d'origine sur les papiers à en-tête affiche un nouveau logo : " Patrimoine Marais ", ce qui est tout de même plus aisé à prononcer que le sigle " aumyvb ".

Les statuts de cette association sont des plus simples :

" Elle se donne pour but d'étudier en commun et apporter aux Services Publics la collaboration de l'Association en son savoir et son soutien, pour l'utilisation normale et l'amélioration des voies de desserte, rivières, canaux, marais, éviter toutes nuisances, lutter contre les ennemis des cultures sous le contrôle des autorités compétentes et défendre les intérêts généraux de l'Association ".

Très vite, l'association se conforte et près d'un tiers des jardiniers adhérent, ils veulent défendrent leur territoire.

Ils n'ont sans doute pas tord, ils sont inquiets sur deux sujets sensibles de ces années 1970. Le premier, c'est un peu le résultat des études de la municipalité qui recherche à créer un plan d'eau. C'était une idée de Raymond Boisdé qui voulait faire de Bourges, " un petit Vichy ", et il réalisera effectivement un plan d'eau…. Au Val d'Auron.
Mais dans les pré-études, figurait semble-t-il la possibilité de faire ce grand lac à la place des marais, et il n'est pas certain que la population en général s'y serait véritablement opposée. Les écologistes d'aujourd'hui étaient en culotte courte, et le mot développement durable ne figurait pas dans le " Petit Larousse ".

L'autre élément, vers la fin de cette décennie, c'est le grignotage de l'urbanisme, comme le racontait récemment Alain :

- J'étais dans mon jardin des Prébendes, commença Alain, lorsque j'ai vu des gars qui prenaient des mesures vers le boulevard Chanzy. Oui, à l'angle de Charlet et de Chanzy.
- Mais c'est juste à côté de l'Yèvrette, répondit Jean Claude, ils doivent vouloir améliorer le cours ou enlever quelques sablettes.
- Je ne sais pas, mais je crains que ce soit pour construire une maison.
- On en parlera au Marcellin.
- Au fait, comment va-t-il ?
- Bien, t'as pas lu le Berry de c'matin, il était dedans, tu sais, sur la parcelle de son oncle le sourd, oui, Bonnin, il a tué un ragondin.
- C'est quoi un ragondin ?
- Un gros rat qui creuse partout.
- Mais il n'est pas dans les " grandes longues " le Marcellin ?
- Si, c'est son nouveau marais, il fait 600 mètres carrés, c'est tout de même plus facile à bêcher que dans les 2500 mètres carrés de son oncle. Mais il y va encore de temps à autre.

Marcellin Ferrand est devenu dans les années 2000 la " véritable mémoire des marais ", et comme il est particulièrement consensuel, il appartient aux deux associations de maraîchers existantes, " Patrimoine Marais " et AMB qui se le disputent…... C'est lui qui a commencé à écrire des souvenirs dans les Mémoires des marais, lancés par l'AMB, une initiative fort intéressante pour maintenir cette mémoire locale.

En fait, les deux compères ne savaient pas que l'Yèvrette n'était pas en cause, mais la construction de deux grands immeubles. Et l'environnement n'était pas encore à la mode, les gens n'avaient pas la même notion de la nature et de sa préservation, et surtout, il manquait beaucoup de logements dans cette période de très forte augmentation des effectifs des entreprises d'armement et de Michelin.
Et les grands immeubles qui enlaidissent la vue que l'on avait depuis le chemin de Voiselle en regardant la cathédrale, vont se construire sans opposition particulière de la part des Berruyers.

Aujourd'hui, un mur de 50 centimètres, édifié le long d'un chemin, un porte un peu laide et c'est la révolution, avec pétitions, demandes d'entrevue, au Maire, au Préfet, au Procureur de la République…. Les temps ont bien changé.

L'organisation en ASA capote

L'association des maraîchers, l'AUMYVB décide vers 1998 de mettre sur pied une structure pour enfin sortir de la logique d'immobilisme dans l'entretien et la préservation des marais.

Les plus anciens avaient lu que la solution, c'était une ASA, Association Syndicale Autorisée.

" nous cherchons à former une Association Syndicale Autorisée " pour obliger les propriétaires à contribuer à l'entretien des canaux " avait dit Yves Chéron le président de l'époque lors d'une assemblée générale.

C'est à partir de cet instant que les coups vont commencer à pleuvoir. Alors que la plupart des observateurs pensent que l'ASA est une solution qui doit faire avancer les choses et décrocher des subventions, une opposition commence à se faire jour.
Autour de quelques maraîchers, comme Christian Lamaire et France Camuzat, la " zizanie s'installe ", très présents sur le terrain, très actifs dans la presse locale, ils ne veulent pas de cette ASA :
" et au besoin, on ira scouer les grilles de la préfecture ". affirment-ils le verbe haut.

Le ton monte, Yves Chéron et ses amis restent calmes, ils sont confiants dans leur approche et ils ne voient dans ce qu'ils appellent " le camp d'en face ", que quelques agitateurs et autres gesticulateurs, " des maraîchers perçus comme peu responsables et qui ne représentent qu'une infime minorité " de l'ensemble des maraîchers. Et puis, " cette solution de l'ASA, a la bénédiction de la mairie et de la préfecture, que voulez-vous de plus? " disent-ils en chœur !

Yves Chéron commence à avoir des sueurs froides lorsque Christian Lamaire met sur pied une sorte d'association de lutte contre l'ASA, et que plus de 200 maraîchers s'entassent dans la salle du moulin de Voiselle afin d'écouter les arguments de ces opposants à l'ASA.

La bataille fait rage entre les maraîchers, elle devient irrationnelle, et prend de l'ampleur. Le vote constitutif de l'ASA va se dérouler dans une atmosphère explosive….. les poings sont fermés, prêts à être utilisés contre l'adversaire, non, contre l'ennemi… c'est la seconde guerre des marais depuis Jules César !

Les résultats des votes, ce 28 octobre 1998, dans la salle surchauffée de la Chancellerie tombent dans une ambiance surréaliste. Les votes par correspondance ne sont pas arrivés alors que gronde une petite centaine de maraîchers contre la direction de l'association. " Vous faites voter les morts " s'écrit un homme particulièrement excité à l'encontre de Claude Csorgei, responsable du contrôle des votes.

Et c'est dans la confusion, que les chiffres sont annoncés, et ils ne font l'objet d'aucune contestation tant l'écart entre les partisans de l'ASA et leurs opposants est grand. C'est pour Yves Chéron et ses amis, " la douche froide ", le NON est massif, près de 80% des maraîchers qui ont votés sont contre l'ASA. Sur 675 bulletins exprimés, ils n'étaient que 112 d'accord pour l'ASA, et 513 ont voté contre. Une bataille largement perdue par l'Aumyvb.

Que s'est-il passé pour arriver à un tel fiasco ?

Le vieux fond d'individualisme des maraîchers est revenu au fil des semaines à la surface, avec la crainte d'une structure technocratique qui imposerait des travaux et ferait payer des impôts aux locataires ou propriétaires. C'est la peur ancestrale du " Berrichon pour tout ce qui est nouveau ".
Le second aspect est plus " politique ", la ville et la préfecture s'étaient résolument engagée pour la constitution de l'ASA, et certains gens des marais, à quelques mois des élections municipales de 2001 voulaient en découdre et mettre l'équipe du maire sortant Serge Lepeltier en difficulté.

C'était d'autant plus paradoxal, que le maire communiste de 1994, Jean Claude Sandrier avait demandé par un courrier " aux propriétaires de se regrouper au sein d'un syndicat destiné à mettre en place un cadre juridique qui permettra à la municipalité d'intervenir financièrement dans la préservation de cet espace naturel ".
Donc tout le monde allait dans le même sens, sauf qu'en 1995, Jean Claude Sandrier avait perdu la mairie de Bourges au profit de Serge Lepeltier, et trois ans plus tard, il ne s'est pas beaucoup manifesté sur l'ASA…. Songeant à 2001 pour récupérer la mairie, et revoir le problème.

Mais le plus important dans cette lutte n'était pas politique, c'était sur la place des acteurs des marais dans cette ASA et en particulier celle des locataires et France Camuzat faisait remarquer, avec un certain bon sens, qu'une ASA écartait juridiquement les locataires des parcelles au profit des propriétaires.

La presse locale fit ses gros titres sur les résultats du vote et Christian Lamaire, le porte parole des opposants à l'ASA était sur un petit nuage, il avait gagné et après avoir remercié ses amis, il dressa un programme pour le futur.

Il affirma " que si l'ASA est définitivement enterré, cela ne nous dispense pas de procéder au dévasage des coulants ", c'est plein de vérité, mais c'est bien là le problème, car ce dévasage ne se fit pas !
Puis il ajouta, " nous allons mettre des parcelles en friche à la disposition des plus défavorisés, à charge pour eux de les remettre en état et d'entretenir les coulants, nous allons nous organiser pour mettre en place ce projet ". C'est la générosité et le bon sens…. Sauf que ça ne fonctionna pas et plus d'une décennie après, chacun peut voir que la situation des friches et de l'envasement des coulants ne s'était pas améliorée, bien au contraire.

L'Association des Marais de Bourges, AMB

C'est donc en réaction à cette ASA des années 2000 que va se constituer une seconde association de maraîchers. Les opposants s'organisent et c'est en quelque sorte une scission de l'association historique. L'association nouvelle est formée en 1998, elle va devenir progressivement aussi importante que l'AUMYVB. Elle se fit sous la houlette de fortes personnalités qui avaient une culture d'opposants très forte, acquise souvent sur le plan syndical depuis plusieurs décennies. Des gens actifs et très présents sur le terrain, à l'écoute et prompt à revendiquer…..

Les courriers envoyés à la presse, les demandes d'entrevues auprès des élus de la ville, les remarques en tout sens, les multiples réunions d'informations, les permanences pour leurs adhérents… et cela finit par payer.
L'AMB deviendra un partenaire incontournable, au même titre que l'AUMYVB, et les réactions des maraîchers sont intéressantes :

- Enfin, on a une association qui se fait voir, pérorait Paul B. attablé à la Courcillière.
- Oui, c'est bien ce que font France et René. Eux, au moins, on en entend parler. Ils s'occupent de nous. Ce sont de vrais maraîchers, et ils connaissent tous les coulants. Regarde, avant, le Langis, on n'en parlait jamais.
- Surtout ceux du haut, car en bas on ne les voit pas beaucoup.
- Mais êtes vous certains que c'est efficace, questionna le quatrième maraîcher ?
- Ecoutez, eux au moins, ils ne sont pas à la botte des autorités.
- C'est vrai mais ils n'apportent aucune solution. Ils critiquent, et c'est tout. Alors que les " autres ", ils discutent et c'est moins tendu.
- Mais tu as vu où cela allait nous mener ? Avec leur ASA, c'est comme si on donnait nos parcelles à la ville ou à la préfète.
- Non, tu n'y comprends rien, il va bien falloir trouver une solution….

Et la conversation sans fin se poursuivait, toujours la même, sans aboutir à la moindre solution acceptable dans un vrai consensus.

Christian Lamaire dira " Nous souhaitons dresser un état des lieux incontestable, parcelle par parcelle, coulant par coulant, chemin par chemin, fossé par fossé…. ". Une conception généreuse et idéalisée, mais pas très réaliste pour qui connaît la complexité de ces marais. Beaucoup d'idées et de projets, même si certains maraîchers regrettent un incontestable manque de pragmatisme…..

Progressivement, l'AMB va devenir moins vindicative. L'association se heurte à une réalité têtue, si les coulants de tel ou tel propriétaire sont envasés, que faire ? Il n'y a pas de solution magique, sinon de prendre la drague et d'enlever la vase. " Mais, monsieur, le propriétaire il ne veut pas ou il ne peut pas ", c'est l'impasse.
Et c'est ainsi que l'ASA aura divisé les maraîchers, l'Aumyvb d'un côté, l'AMB de l'autre.

La présence constante des élus de la mairie et du conseil général lors des assemblées générales annuelles tout comme les réunions avec l'architecte des bâtiments de France ne donneront que des solutions partielles, par manque de consensus, même si tous n'ont qu'un objectif : il faut sauver les marais de Bourges ! C'est le moyen qui divergeait entre tous les acteurs.

Les associations environnementales

Dans les marais, plusieurs associations environnementales oeuvrent dans leur domaine respectif. C'est ainsi que la LPO, Ligue de Protection des Oiseaux met en place avec l'accord de leurs propriétaires des zone de protection avec une petite pancarte du type " là on aime les oiseaux et on s'en occupe ".

Plus loin, l'Eveil en Vert, avec Valérie Le Priol a organisé pendant de nombreuses années des animations découvertes pour les enfants, et à chaque vacance scolaire, au moulin de Voiselle, on pouvait voir les enfants au bord de la rivière avec des épuisettes, ramassant mille et une petites bêtes et cherchant ensuite à leur donner un nom où à voir leur utilité.

Nature 18 est aussi très présente dans les marais, avec une brochure qui devient très vite " le document des marais " car il comporte un plan définissant les chemins qu'il est possible de prendre. De plus, les croquis de la faune et de la flore dus en particulier à la plume d'Alain Bougelot sont tout à faits remarquables. Nature 18 organise aussi des visites à thème très documentées sur ce que chacun peut trouver le long des chemins et des berges.

D'autres sont présents dans les marais, comme " l'association pour la Protection des Paysages " qui veut à son tour protéger l'esthétique du lieu, avec les vues magnifiques sur la cathédrale ou le couvent des Sœurs de la Charité.

Et puis, le Muséum, animé par Michèle Lemaire et Laurent Arthur sont attentifs depuis plusieurs décennies à ce lieu naturel qui comporte mille et une espèces, certaines assez rares, et au milieu desquelles, les chauves souris, ces " reines de la nuit ".

Le classement des marais

C'est à partir de l'action conjuguée et organisée du milieu associatif local que les marais vont commencer un parcours épique afin de les " classer ", et donc de les sauver.

En effet, depuis 1993, chacun évoque l'avenir " officiel " des marais avec de fortes paroles et une réelle inquiétude lors des assemblées générales de la seule association de l'époque l'AUMYVB : " L'avenir des marais ne peut pas se résumer à une transformation en zone touristique de loisirs. Leur vocation doit rester la culture maraîchère ".

Les préoccupations des maraîchers sont multiples. Il faut de lutter contre les constructions sauvages, supprimer les parcelles en friches, revoir les accès aux marais, lutter contre les invasions des ragondins et autres rats musqués, mais aussi s'occuper de la pollution, de la détérioration des digues, et de quelques autres sujets….. qui n'ont guère changé 20 ans plus tard.

Le 13 février 1994, l'association AUMYVB, sous la direction d'Yves Chéron lance l'idée de faire classer les marais au titre de la loi du 2 mai 1930 sur les paysages.

C'est le 9 avril suivant, sans perdre de temps, que la demande officielle de classement est envoyée à la préfecture du Cher par 4 associations :
- l'AUMYVB
- Nature 18
- L'Association nationale pour la protection des villes d'art
- L'Association pour la protection des paysages.

Le classement demandé va nécessité des études, des réunions, des photos, des rapports, encore des réunions.…. Et près d'une dizaine d'années plus tard, en plein été, le verdict tombera :
Le classement intervient par un décret du 24 juillet 2003, il est signé de Jean Pierre Raffarin et de Roselyne Bachelot.

Il est écrit dans le Journal Officiel :

" Décret du 24 juillet portant classement parmi les sites du département du Cher de l'ensemble formé par les marais de l'Yèvre et de la Voiselle sur le territoire de la commune de Bourges ".

Le document précise que cela est fait

" en raison de son caractère pittoresque et historique, un intérêt général au sens de l'article L 341-1 du code de l'environnement ".

Sans exposer dans le détail l'histoire du classement, il est utile de signaler deux ou trois éléments :
Le premier, c'est le travail du cabinet Mazas qui commence en 1997, ce sont ces spécialistes en paysage et urbanisme qui vont rédiger le rapport, très positif, permettant d'aller plus loin.
Ensuite l'enquête publique est déclenchée par madame la préfète, Marie-Françoise Haye-Guillaud et dont le résultat sera lui aussi favorable.
Enfin, l'action du maire adjoint à l'environnement de la ville de Bourges, Paul-André Aubrun qui se montre très actif dans ce dossier, et, avec son collègue Roland Chamiot, ils vont se mobiliser pour que ce classement avance, car les obstacles sont encore nombreux, il faut un avis du conseil municipal, qui a délibéré le 29 juin 2001, mais aussi une instruction de la commission nationale des sites, et puis l'avis du Conseil d'Etat…..

C'est à travers tout cela qu'apparaît, au milieu de la procédure le coup de théâtre créé par le refus de l'ASA… et en conséquence la remise en cause d'un outil susceptible de faire appliquer les préconisations du classement. Fort heureusement, ces péripéties ne vont pas bloquer la procédure.

Il faut ajouter que le POS, Plan d'Occupation des Sol, rédigé par la ville de Bourges sous la responsabilité du maire adjoint à l'urbanisme et à l'environnement Paul-André Aubrun, a été voté par le Conseil municipal de Bourges en octobre 2000. Et dans ce document d'urbanisme, les parcelles étaient déjà mises en zone N, c'est à dire Naturelle, et en conséquence, la loi n'autorisait aucune emprise constructible supplémentaire par rapport à ce qui existait.
Mais le POS, par sa complexité et parfois ses différentes interprétations n'offraient pas selon les associations et les maraîchers les garanties suffisantes.

Et après le classement ?

Les marais sont classés, ce qui est un réel soulagement pour tous les gens amoureux de ces lieux. Mais le classement est une reconnaissance, il ne donne pas les moyens techniques et financiers de résoudre les milles et un problèmes qui se présentent.

Elément important, le ministère de l'écologie, avec Roselyne Bachelot, et à partir de 2004 avec le ministre de l'écologie et du développement durable Serge Lepeltier a prévu une enveloppe budgétaire importante pour ces marais dans une phase qui peut être qualifiée d'exploratoire.

Certains évoquent à nouveau la constitution d'une ASA… alors que d'autres plus prudents et échaudés par l'échec de 1998, veulent en rester à une simple association suivant la loi de 1901, regroupant le maximum d'acteurs des marais et ayant un but unique : l'étude générale des marais afin de savoir ce qu'il y a lieu d'y faire, comment le faire et avec quel argent.

Et c'est ainsi qu'après plusieurs mois de discussions, une nouvelle structure sous forme d'une association, cette fois pour " l'Etude des marais ", avec un financement des collectivités locales et de l'Etat. Un bureau d'étude ayant pour nom " Maîtres du Rêve " se met au travail, avec pour présidence alternative annuelle, Michel Melin et France Camuzat les présidents respectifs des 2 associations de maraîchers.
Cette " Grande Association " qui avait le mérite de remettre autour de la même table l'ensemble des maraîchers mais aussi la ville et le Conseil général, ainsi que des associations écologistes, va déboucher sur une imposante étude demandant la mise en place d'une structure de type " nouvelle ASA " et de la constitution d'un " exécutif ". Ces préconisation n'obtiendront pas l'unanimité des maraîchers, allergiques au concept de l'ASA.
Ainsi s'éloignait la résolution de problèmes qui mettaient en danger ce site


Les 4 saisons des marais

Comme tout lieu naturel, les fleurs, les feuilles, les arbres, tout ce qui pousse change de couleur ou de forme. Dame nature, dans les marais distribue sa palette de nouveautés au fil des saisons. Et l'homme, comme toujours va s'adapter à cette nature, à son marais qu'il apprivoise. Chaque saison a ses propres couleurs, et les travaux séculaires se déroulent, pas à pas, une forme d'humilité accompagne chaque maraîcher.

Le " Printemps "…. des marais

A Bourges, lorsque l'on parle du printemps, c'est du Festival de chansons et de musique dont il est question. Pourtant, pour une partie de la population, ils sont près de 1500, le mot " printemps " signifie le début des travaux dans leur marais.

Dès la fin du mois de mars, timidement, et avec de grandes bottes, ils commencent à retourner " voir le marais ", dans quel état est-il ? Comment a-t-il passé l'hiver ? Car pour beaucoup, depuis les deux derniers mois de l'année précédente, ils n'ont pas remis les pieds sur leur parcelle.

" La dernière fois que je suis venu, commence Bernard, c'était tout dans l'eau, alors, je me suis dit qu'il fallait attendre, mais on ne m'enlèvera pas de l'esprit que s'ils baissaient un peu leur pelle, il y aurait eu moins d'eau ".

Telles étaient les remarques des maraîchers, des parcelles sous les eaux, c'était assez traditionnel, sauf dans certains lieux, comme vers la digue de Voiselle, cela s'ajoutait à quelque mauvaise surprise comme pour Jean Pierre :
" Je n'étais pas venu depuis Noël, et c'est fou ce que j'ai trouvé. Mon marais, il était plein de cailloux, ils n'avaient pas poussé, mais ils étaient là, car une partie de la digue de Voiselle avait sauté et l'eau avait entraîné des cailloux dans mon marais, c'était désolant, comment je vais reprendre la culture maintenant ? "

Le 21 mars, cette arrivée calendaire du printemps n'a aucun effet sur les marais, il faut attendre encore un mois avant de commencer à retourner la terre. Et puis inutile de semer quoi que ce soit, " la terre est trop froide pour semer, disent les maraîchers, le meilleur endroit trouvé pour les petites graines en ce mois de mars, c'est de les laisser dans le pochon ".

Et chacun attend que la terre se réchauffe et s'assèche, avant de revenir aux travaux de jardinage. En attendant, les tâches sont multiples. Il faut entretenir la cabane, changer une planche ou protéger la porte. Sur le terrain, c'est le grand nettoyage, avec les herbes qui sont arrachées, mises en tas et le plus souvent brûlées, dès que le vent le permet, de novembre à mars de chaque année. Et puis c'est le moment le plus ingrat, celui où il faut enlever la vase dans les coulants. C'est physiquement très ardu et beaucoup, eu égard à leur âge, font le minimum, car tirer la vase avec une sorte de drague, d'une part c'est salissant, mais il suffit de bien se laver après, par contre, la pénibilité est grande, les bras sont poussés à l'extrême… et il faut ensuite étaler la vase sur sa propre parcelle.

Le printemps avance, les animaux de toute sorte commencent à se montrer, dans les coulants les plus calmes, les têtards apparaissent c'est un bon signe pour la suite…. mais c'est déjà la fin du mois d'avril.

Sur quelques parcelles, la bêche a fait son œuvre et la terre en est toute retournée, mais le plus souvent cet instrument ancestral a fait place au motoculteur. La terre est alors très grasse, noire, et lourde.

Il est trop tôt pour ensemencer, seuls quelques téméraires ouvrent le pochon et sèment des graines…. Avec l'espoir qu'ils vont ainsi prendre de l'avance. Parfois ça marche, mais le plus souvent, c'est du travail pour rien et il faut recommencer.

Le " Printemps " des maraîchers, c'est le plus souvent la mi-mai, avec la fin des saints de glace, période qui peut être dramatique pour les arbres fruitiers venus trop tôt en fleur…. Et les gelées de ces trois jours peuvent être rédhibitoires pour de futures récoltes.

La fin du printemps, c'est à dire du 15 mai au 21 juin, c'est la grande période des semailles ! Là, il faut que le maraîcher vienne tous les jours ou presque, il doit tout faire à la fois. Il plante les tomates qu'il a parfois fait pousser dans la salle de bain de son 4 ° étage de son appartement des Gibjoncs, il repique des salades, sème des poireaux…. Il fait tout et tout à la fois, avec un soin particulier pour les haricots, semés en poquets de 5 ou 6 graines à 40 centimètres de distance et …. parfaitement alignés.

Lorsque l'été arrive avec le 21 juin,correspondant à la fête de la musique, c'est une autre fête pour les maraîchers, celle de voir apparaître les premiers résultats des plantations. Car tout pousse et très vite ! Un beau printemps dans les marais.

L'été des récoltes et des ballades

C'est sans aucun doute, la période la plus agréable pour " se rendre aux marais ". Il faut être là dès que le jour apparaît, dans la fraîcheur du matin, c'est le calme, seuls les bruissements des ragondins qui rentrent dans leur terrier ou le flop du poisson qui s'est élancé dans l'air pour attraper un moucheron s'entendent.

Un petit verre de blanc pour commencer et c'est le désherbage avant de penser à s'occuper des pied de tomates en ôtant, un à un les " gourmands ", puis en binant l'entourage des potirons.

Vers le coup de 9 heures, c'est le casse croûte :

- Allez Pierre, un coup de blanc, c'est du Menetou, je l'ai par mon beau frère qui habite à Vignoux sous les Aix.
- Il fait un temps magnifique, réplique Jean, mais ce soir, ils annoncent des orages, alors je vais couper les glaïeuls, car ils ne résisteront pas à la pluie.
- Tu as peur, je ne crois pas, mais je vais tout de même prendre quelques salades et surtout les prunes, car l'an dernier, j'ai perdu la moitié de ma petite récolte.

Une demi heure est passée, on évoque la friche d'en face qui n'a toujours pas de propriétaire connu à la suite du décès du vieux Paul, et l'organisation de la prochaine fête des marais le premier week end de septembre.

Puis retour sur la parcelle, le chat vient rendre une petite visite avant de retourner dormir, c'est le raclage de l'allée, il y a toujours quelque chose à faire pour qui aime cette terre.

11 H 30 arrive, et c'est l'heure de l'apéro.
La tonnelle est le lieu idéal pour l'ombre, Michel est la, c'est un des grands anciens, qui aime son marais et sa cabane.
Les raisins sont nombreux, mais il ne fera pas de vin :
- Vous pensez bien qu'on a essayé, mais le vin était doux et buvable au début, mais après quelque temps, c'était plus possible.
Les marais, ce n'est pas le domaine préféré de la vigne. Et pourtant le vin peut couler… à flot.

Comme au bon vieux temps, ils arrivent de partout, un verre à la main, et " le petit jaune " monte dans les verres.
- Allez à notre santé lance Gustave
- A la santé de nos femmes et de ceux qui les montent, déclame un ancien de la SNCAN. Pensant faire son effet, qui tombait à plat, n'ayant jamais compris que plus personne ne s'esclaffait, puisqu'il disait chaque jour la même chose.
- On l'a bien mérité, mais il va falloir mettre les bouchées doubles cet après midi, car il reste encore des poireaux à repiquer.
- Attend, il faut manger et ensuite faire une petite sieste réparatrice.

Le repas est divers, certains rentrent chez eux, ils n'habitent pas très loin et ne veulent pas rater le journal de la télé de 13 heures.
D'autres, restent sur place, se contentant d'un pâté " fait maison " et d'une salade de tomates, arrosé d'une bonne rasade de gros rouge.

Une légère sieste dans une chaise longue et c'est la reprise des travaux sous le soleil qui commence chauffer très fort.

Le soir avance, et vers 17 heures, c'est la pause avec un petit verre, et les discussions entre voisins :
- Pourvu qu'il pleuve cette nuit, car tu as vu, dans le coulant du fond, l'eau a presque disparu.
- Oui, mais pas trop tout de même. La météo annonce de la pluie, les hirondelles volent bas, au raz de l'eau.

Il est 20 heures, plusieurs épouses viennent retrouver leur mari, parfois les enfants suivent, heureux de venir passer la soirée dans ce lieu où tout est permis ou presque.

Au loin, on entend les cris de jeunes, ils s'ébattent dans la Voiselle, un lieu où les Berruyers les moins frileux se sont baignés depuis plusieurs générations.

L'été, ce sont les siestes et les récoltes. Le soir, alors qu'il fait presque nuit, le maraîcher revient sur le port des échalotes, la barque chargée de légumes et de fleurs, il est heureux de sa récolte et en fera profiter ses voisins de l'immeuble qui n'ont pas sa chance.

L'été se termine et lorsque l'on examine le calendrier, le 21 septembre, c'est aussi traditionnellement à Bourges la fin du festival appelé " Un Eté à Bourges " dirigé par Michel Pobeau qui utilise parfois ce cadre des marais pour certains spectacles musicaux.

Dans les marais, ce passage d'une saison à l'autre n'a que peu d'importance. D'autant plus que l'arrière saison, c'est à dire de la mi-septembre à la fin d'octobre, offre encore de très belles journées.

L'automne de couleur

C'est à l'automne que se terminent les récoltes. On récupère les poireaux, on ramasse les carottes que l'on met dans le sable.
Mais le plus beau, c'est la présence des derniers potirons, énormes et de toutes les couleurs.
- Oui dit Jean, ce sont des potimarrons, et on peut les manger, c'est succulent.

La période est difficile, les jours diminuent, le ciel est parfois gris, chargé de nuages, c'est souvent un bon coup de blues, car il va falloir retourner dans son HLM, et ne plus en sortir chaque jour comme cela se faisait depuis 6 mois.

Les arbres commencent à perdre leurs feuilles. Il y a comme un peu de tristesse. Inutile d'entreprendre des travaux ou des plantations dans les marais, l'eau tombe et la terre ne l'absorbe plus. Il faut s'armer de patience et convenir que la saison prochaine sera encore plus belle.

Alors le maraîcher se fait contemplatif, il voit à tout instant la couleur du paysage changer, au loin, seule la cathédrale garde ses teintes d'origine, mais partout ailleurs, les arbres, les taillis, les légumes qui restent changent chaque jour de couleur, et cela peut être un enchantement pour qui sait prendre le temps d'observer.

Le jardinier se fait poète, il écoute les oiseaux, regarde les grenouilles et il hume l'odeur de l'herbe coupée. Cette nature qu'il a dompté reste pourtant la plus forte et lorsque les eaux des coulants montent, et inondent sa parcelle, alors, il redevient modeste. Les marais en cette période automnale c'est comme un retour à la condition humaine, frêle et éphémère.

En ce mois d'octobre, le ciel est bleu, dans le secteur du chemin de Babylone, c'est la rencontre avec Michel et Gérard, ils sont en train de discuter sur un passé pas très lointain :

- Tout se perd mon pauvre monsieur, on ne boit plus dans les marais. Et on a moins de casse-croûte qu'auparavant.
- C'est vrai, réplique Gérard, d'autant que tout le monde aujourd'hui est pressé, des anciens comme nous il n'y en a plus, alors on rentre à la maison.
- Autrefois, on tapait la belotte, même à cette époque, on avait une chaufferette pour les moments où il faisait frisquet, et on jouait des heures en buvant de bons canons.
- Oui, mais on avait toujours un peu peur, car la police veillait, une fois le père Durant est passé, il était un peu pris, et il n'a pas pu souffler, ils l'on laissé partir.

C'est pourquoi beaucoup d'anciens préfèrent la marche à pied pour rentrer chez eux, délaissant même le vélo et surtout la voiture.

L'Hiver de tous les dangers

L'hiver, dans les marais c'est un double état d'esprit. Les Berruyers, en premier lieu attendent les grands froids, toutefois rares dans cette contrée, afin d'aller voir les marais sous un angle totalement nouveau.

Le plus beau spectacle que l'on puisse voir dans les marais l'hiver, c'est le matin tôt, alors que le soleil se lève et que la neige est tombée une partie de la nuit. C'est tout simplement féerique, et c'est dans ces instants, les photographes, simples amateurs ou vrais professionnels parcourent les grandes digues et les chemins praticables à la recherche " du cliché ", celui qui fera date.

Les chemins sont praticables, mais il faut prendre quelque précautions. Le givre sur les arbres du chemin de Caraqui donnent ce caractère fantastique au paysage. Les barques sont à quai, couvertes de neige.

Au loin, la cathédrale a sa toiture de neige, elle apparaît dans un halo de brume, puis de soleil. Spectacle rare et donc merveilleux !

Mais la neige ne constitue pas la partie la plus visible de cette période, car cela ne dure que quelques heures ou au maximum quelques jours, alors que l'eau, celle qui tombe et qui occasionne des crues, c'est plusieurs semaines !

Les crues sont aussi la plaie des marais pour l'ensemble des propriétaires et des locataires. Cela dure depuis des décennies, et lorsque la ministre de l'écologie, Roselyne Bachelot vint à Bourges visiter les lieux, elle évoqua " les zones humides qui sont là pour être inondées ". Ce qui est vrai et toutes les digues, pelles et autres artifices n'y pourront rien. Lorsque l'eau tombe, en amont des marais, vers Baugy, ou Savigny, alors l'Yèvre se gonfle et se gorge d'eau… Et si cela se poursuit pendant des jours et des jours, et que les nappes phréatiques sont hautes, alors, c'est la crue quelque soit le système humain mis en place.

Les gens qui disent que " c'est la première fois que je vois ça ", ne sont pas toujours très sérieux. Alors l'irrationnel prend le dessus et chaque maraîcher trouve les raisons de la dernière crue : c'est le plus souvent la faute de la ville de Bourges ou de la gestion des rivières en amont, à Saint-Germain du Puy ou à Avord.

Récemment, lors d'une réunion de présentation par " Maître du Rêve " de l'étude sur les marais, un membre du bureau de Patrimoine Marais, vint voir les deux élus présents de la ville, un peu embêtés :

- l'eau dans la Voiselle a baissée de plusieurs centimètres le week end dernier, c'est très ennuyeux et ça ne peut pas continuer.
L'élu compatissant demande alors :
- Et que peut-on faire, le problème n'est pas simple… vous avez des propositions ?
- Non, mais on a fait une pétition que on va l'envoyer à la mairie.
Découragé, l'élu ne pu que répondre :
- Oui, c'est sans doute cette pétition qui va remettre de l'eau dans la Voiselle !

En 2009, au cours de l'été, la veille d'un week-end d'Août, l'eau baissa dans les marais de près de 40 centimètres en très peu de temps. En quelques heures, ce fut la révolution dans les marais. Que s'était-il passé ? Les pelles gérées par la ville seront rapidement mises hors de cause, et une enquête diligentée par les services de l'Etat ne trouvera pas l'origine de cette baisse, sinon, que la presse par le Berry Républicain titrant sur ce phénomène, montrant des coulants à sec avec photos à l'appui, et comme par miracle l'eau remonta …. Sans être expert, les marais ont sans doute été victimes d'un prélèvement massif en amont par un propriétaire indélicat.

Ces dernières années, le débat a évolué, et on a trouvé " le coupable ", celui qui ne peut pas répondre : le complexe des cinémas CGR.

Paul déclarait à la Nouvelle République en janvier 2003 :

" On ne va pas me la faire à moi quand je dis que ces inondations ne sont pas naturelles. La mairie préfère laisser noyer les marais pour que les cinémas du Prado ne soient pas inondés, car ils sont situés dans une zone qui a toujours été inondable ".

Et c'est là que le bas blesse, car les cinémas sont effectivement dans une zone inondable comme tout le quartier Charlet, la Gare, le boulevard Gambetta, et le quartier d'Auron c'est la célèbre crue centennale, celle de type 1910. Ce jour, une grande partie de la ville, le long de l'Yèvre et de l'Auron sera sous les eaux…. Même les cinémas.

Par contre dans les crues décennales, les plus courantes, celles que l'on rencontre tous les 10 ans, les cinémas ne seraient pas dans l'eau car ils ont été rehaussés, et ils sont construits sur une parcelle qui n'a jamais été inondée dans le passé. Mais la rumeur étant ce qu'elle est, toute explication logique est totalement inutile.

Les crues sont inhérentes au système hydraulique de la vallée de l'Yèvre. Les pelles et autres systèmes mobiles permettent d'avancer ou de reculer la monté des eaux, mais elles ont toujours le dernier mot.

Les 4 saisons dans les marais, c'est la vie qui tourne, avec ses joies et ses peines, avec ses beautés et ses laideurs.


Les cabanes, les barques et les moulins

 

Les marais, c'est avant tout, une parcelle de terrain nu, souvent rectangulaire, cultivable, entourée d'eau sur un ou plusieurs côtés, et comportant, sur une limite ou en plein centre " la cabane ".

La cabane du maraîcher, c'est un peu comme sa bêche et son râteau, un outil incontournable. Une fois la parcelle acquise, il regarde où il va mettre sa cabane, si celle-ci n'existe pas, et si elle est dressée au milieu de la parcelle, où va-t-il la déplacer ?

Car la cabane, c'est l'élément personnalisé et utilitaire du maraîcher. On " ne touche pas à mon marais ", mais aussi, " on ne touche pas à ma cabane ".

La cabane est à l'image du maraîcher, faite de bois dur pour les uns, protégée par des tôles ondulées pour d'autres, avec une chaîne et un gros cadenas fermant la porte d'entrée.
Parfois elle est faite de parpaings et de plaques de béton, mais c'est assez rare, " ici, on a été écologiste avant l'heure ", et c'est vrai. Amis de la nature avant toute chose.
La cabane a un triple usage :
- C'est là que sont rangés les outils, la bêche, le râteau, la fourche, et aujourd'hui le motoculteur et parfois même la petite tondeuse à gazon.
- C'est aussi dans la cabane que l'on stocke une partie des denrées récoltées, comme les carottes ou les pommes de terre.
- Enfin, elles servent parfois d'abri au chat, et au maraîcher lorsqu'un " agadio " vient le surprendre en plein mois d'août.

La cabane est devenue le point de rencontre magique, autour de laquelle se retrouvent les amis, une bonne bouteille mise au frais dans le coulant, étant débouchée au milieu des rires et autres éclats de voix.

Mme la préfète s'intéresse aux cabanes

Lorsque les marais furent inscrits et classés, au début des années 2000, les pouvoirs publics et en particulier la préfecture commença à davantage s'intéresser à ce lieu. Jusqu'alors, seule " la mairie " était fortement impliquée dans ces espaces de nature.
Subitement, les services de l'Etat devenaient en quelque sorte les garants de ce classement, avec des règles, certaines simples, d'autres plus contraignantes.

C'est ainsi que Madame la préfète, Anne Merloz, organisa une réunion avec les deux associations de maraîchers, la mairie, et ses propres services, DDAF (Direction Départementale de l'Agriculture et de la Forêt) et avec la présence de l'ABF (Architecte des Bâtiments de France).

La réunion fut intéressante et courtoise jusqu'au moment où le sujet porta sur les cabanes, les barrières et les rives. Pour les représentants de l'Etat, il ne pouvait pas être question de tout laisser faire comme auparavant, c'est à dire n'importe quelle cabane de jardin dans n'importe quel matériau.
Il fallait codifier et légiférer.

- Ecoutez, messieurs, poursuivait la préfète, nous devons appliquer la loi, et toute construction d'une cabane doit faire l'objet d'un permis de construire et l'autorisation, désormais ne peut être donnée que par monsieur le ministre de l'écologie.
- Oui, bien sûr avança un maraîcher, mais vous savez, on a toujours fait comme l'on voulait, et il y en a certains parmi nous qui ne changeront pas.
- Et bien, on va vous aider, et j'ai demandé à monsieur l'Architecte des Bâtiments de France, en liaison avec d'autres services de réaliser une petite plaquette indiquant pour les cabanes et les rives, ce qui est autorisé et ce qui ne l'est pas.
- C'est comme vous voulez, madame la préfète, mais vous ne pourrez pas nous faire démolir nos cabanes.
- Ah ben non, renchérit un autre maraîcher, ma cabane, elle a été faite par mon grand père et vous n'y toucherez pas….
- Mais c'est juste pour vous aider, répliqua la préfète, avec calme et fermeté, car, vous utilisez des tôles ondulées, alors que dans les marais il ne faudrait que du bois.

Chacun voulait prendre la parole et expliquer son cas.
Même avec beaucoup de retenue, on sentait la situation s'échauffer…. Alors pour reprendre la main, Madame la préfète se voulut positive et elle poursuivit :

- D'ailleurs, avec ce classement, il va falloir s'organiser, et je pense qu'une structure de gestion est nécessaire.
- Oui madame, mais on ne sait pas trop comment, car les maraîchers ne veulent pas dépenser un sou pour autre chose que leur parcelle.
- Et puis poursuivit le président d'une association, le problème, c'est l'eau, et là, c'est bien du domaine de l'Etat.
- Ecoutez, messieurs, je pense que la structure la plus adaptée pour le cas des marais en ce qui concerne la gestion, c'est l'ASA, l'Association Syndicale Autorisée… c'est ce qu'il y a de meilleur.

Un ange passa dans l'assistance.

Et Yves Chéron expliqua assez longuement à Madame la préfète, que cette ASA qu'il avait voulu avec ses amis, avait capoté, et surtout qu'elle avait divisé de manière grave les maraîchers entre eux. …. " A cette époque, ils étaient prêts à en venir aux mains ".

La préfète regarda sa montre, et constatant que la réunion durait depuis plus de 1 heure 30, voulut conclure dans une atmosphère qui s'était passablement échauffée :

- Bien, bien, j'ai compris, je vous remercie messieurs, et dans les semaines à venir, vous allez recevoir ce petit pense-bête, qui donne les conseils pour construire les cabanes et aménager les berges.

Et chacun se sépara.

TF1 s'intéresse aux cabanes des marais

Quelques semaines après cette réunion en préfecture, les deux Assemblées générales de l'AMB et de " Patrimoine Marais ", se déroulèrent au tout début de l'année 2005, et il fut question des cabanes….. mais de manière anecdotique.

Dans ces deux Assemblées générales, chacun nota la présence de monsieur l'Architecte des Bâtiments de France lequel s'exprima de manière très claire : " il n'a jamais été dit que des cabanes devraient être détruites " confirma-t-il pour rassurer les maraîchers, insistant sur les futures constructions de cabanes qui devraient s'intégrer dans le site classé, avec le maximum de diversité.

Quelques semaines plus tard, un document émanant de la préfecture fut envoyé à chaque propriétaire d'un marais pour lui indiquer de manière pédagogique ce qu'il convenait de faire dans les demandes futures d'édification de cabanes, prenant en compte le simple bon sens. Des photographies de cabanes marquées " acceptables " et d'autres qualifiées " d'indésirables " accompagnaient le document.

De plus des conseils pour conforter les rives étaient joints avec plusieurs croquis.

Et ce petit document va rallumer la guerre entre les maraîchers et les pouvoirs publics.

De tous les côtés, la révolution était en marche, " on veut détruire nos cabanes ", clamaient les uns. " Ils ne toucheront pas à ma cabane " rétorquaient les autres. Tous étaient d'accord sur un point : " les cabanes existent, il n'est pas question de les toucher en quoi que ce soit ".

Les associations de maraîcher furent vite débordées par leurs troupes, et mobilisèrent la presse locale et les médias nationaux.
Les explications fournies par la préfecture ou la mairie furent vaines, … rien n'y fait. Impossible de calmer les plus durs.
C'est ce qu'un responsable de la mairie, agacé par le comportement négatif de plusieurs maraîchers va traduire ainsi :
" Si vous estimer qu'autoriser des constructions "en dur" ou des "deux pièces cuisine à étage" est dans l'ordre des choses et dans l'esprit des marais, et bien, vous êtes véritablement en train de tuer nos marais. "

Et plutôt que de s'adresser à monsieur l'Architecte des Bâtiments de France pour lui demander des précisions, ou même à la mairie, dans la mesure où des doutes pouvaient encore subsister sur l'interprétation du courrier reçu, les maraîchers firent appel à la télévision, TF1, et c'est ainsi qu'une équipe se propulsa dans les marais avec un reportage qui passa dans le journal de 13 heures, regardé par plus de …. 6 millions de personnes.

Une fois encore l'incompréhension avait été totale entre les " pouvoirs publics " et les maraîchers. Pour les premiers, " il fallait codifier le futur pour éviter les dérives " et le bétonnage des marais, pour les autres, " on voulait abattre nos cabanes ".

Comme le rapportait un maraîcher, après avoir vu l'émission de TF1, "eh bien la prochaine fois que l'on aura à curer les coulants, on fera appel à TF1, ils viendront sûrement nous aider…avec leur caméra et leur perche.". Un autre, plus sage, conseillait l'apaisement : " Il me semble toujours préférable de s'assoire autour d'une table pour discuter et s'expliquer plutôt que d'alerter les médias à partir d'incompréhensions ou d'allégations plus ou moins mensongères et non dénuées d'arrières pensées politiques ".

A la suite de cet épisode, il faudra du temps, et de la salive pour que les choses reprennent leur cours, une conférence de presse locale au milieu des marais avec la préfète et le maire adoucira le litige, car une partie des mille maraîchers craignaient un certain découragement à la fois des autorités et des bonnes volontés et certains rappelaient que les marais appartenaient pour environ 95% au domaine privé. Le maire de Bourges conclura cette affaire par un appel : " Je souhaite que tous les maraîchers se ressaisissent et oeuvrent dans la discussion et sans arrière pensée pour l'avenir des marais dans un vrai climat de confiance ".

Et après plus d'un mois d'une " guerre ", l'armistice fut en quelque sorte signé, les cabanes resteraient en place, mais pour les futures édifications, la loi résultant du classement devrait s'appliquer.

Certains ont fait remarquer que les cabanes correspondaient à un phénomène nouveau, on pourrait dire moderne. En effet, pour les maraîchers professionnels, un lopin de terre, qu'elle que soit son étendue, était destiné à la culture et il n'était pas question de l'amputer pour une cabane ou un espace de loisir. Le marais c'était la production de légumes ou de fruits, le gagne pain de toute une famille, le reste était superflu.
Alors, il y eu très peu de cabanes pendant des lustres.

La cabane est devenue progressivement nécessaire pour mettre les outils, le motoculteur, installer une table et un banc …. C'est un lieu de loisir et non plus un espace de production intensive.

La barque dans les marais

Dans les marais, deux types de population, deux types de maraîchers : ceux qui peuvent pénétrer directement sur leur parcelle à pied, en passant sur des sentiers et des passerelles, et puis les autres, qui ne peuvent aller sur leur parcelle qu'à l'aide d'une barque.

Pour ces gens, la barque est vitale : plus de barque, plus de marais.

Les barques sont appelées des " plates ", tout simplement parce qu'elles ont un fond plat, qui permet de passer dans les coulants les moins profonds.

On remarque que les barques ont toutes ou presque la même forme, la même structure, et que l'on ne voit pas de constructions originales ou inhabituelles.

Une barque en bon état coûte aussi chère que l'achat d'une parcelle, ainsi, la plate traditionnelle d'une longueur de 6 mètres, en chêne, recouverte en dessous de fibre synthétique noire, était vendue au prix d'environ 1200 euros.

Progressivement, les associations de maraîchers ont aussi acquis des barques, achetées en région Centre, et ils les utilisent pour des visites privées, mais aussi et surtout pour la fête des marais.

 

Le moulin de Voiselle

Il ne reste plus beaucoup de moulins sur l'espace de la ville de Bourges, on note la présence du moulin de Chappes à côté du pont d'Auron, le moulin saint-Sulpice situé avenue d'Orléans, appelé parfois le moulin brûlé, et le moulin de Voiselle. D'autres, comme le moulin du Roy, ou le moulin de Charlet ont disparu.

Le moulin de Voiselle est situé sur la rive de cette belle rivière artificielle le long du boulevard Chanzy, à deux pas d'une promenade qui permet de voir dans un virage la cathédrale se refléter dans l'eau.
Il date sans doute du XIII ième siècle, puisqu'il est noté sur les biens du chapitre de Saint-Etienne dès 1223.

C'est, comme souvent à Bourges, après un incendie que le moulin est transformé et perd sa vocation initiale. Il est alors utilisé vers 1913 comme huilerie et l'on peut encore voir dans la grande salle les roues qui écrasaient les noix et produisaient de l'huile. C'est la famille Durand qui en assurait la gestion.

Comme tous les moulins, il possède des pelles qui sont manœuvrées par un employé de la mairie, ce qui permet de réguler la Voiselle en amont et surtout d'apporter de l'eau dans une grande partie des marais du bas.

Les caprices de la Voiselle, avec des baisses de niveaux de 30 centimètres sans aucune raison, et sans que les pelles soient manœuvrées, demeure aujourd'hui encore un grand mystère.

Depuis 1980, ce lieu qui comporte plusieurs bâtiments, a été racheté par la ville et est affecté à des associations ayant un rapport avec les marais tous proches. Ce sont les associations de maraîchers, mais aussi la Ligue de protection des oiseaux, LPO, Nature 18 et quelques autres.
Dans cet espace, un accueil des enfants est effectué, afin de montrer aux gosses de la ville le milieu naturel, celui de la faune et de la flore. En bordure de rivière, ils apprennent à cultiver des légumes et des herbes locales. Il faut savoir que le domaine des marais est d'une rare fertilité et les légumes sont généralement d'une taille impressionnante.

Les grands nettoyages de printemps…. Et d'automne

Le nettoyage des marais, que ce soient sur les berges ou dans l'eau constituent le travail continu de tout maraîcher. Le curage des coulants est une obligation… bien difficile à faire respecter. Même l'arrêté préfectoral du 12 mai 1995 qui fixe la fréquence du curage selon l'épaisseur des vases est peu ou pas respecté. Il faut dire qu'il est préconisé à l'automne. La vase fertilisante, est de grande qualité, sans que l'on en connaisse la composition, ce qui pose quelques questions, et elle doit être utilisée pour conforter les berges et enrichir le sol.

Les outils nécessaires à ce travail de curage sont au nombre de trois :
- La griffe qui va servir à retirer les détritus situés au fond du coulant ainsi que quelques herbes.
- La drague, sorte de pelle recourbée, qui permet de retirer la vase.
- La batte avec laquelle on égalise la vase sur la parcelle.

Autre travail supplémentaire et ingrat, le faucardage, qui est accompli le plus souvent au printemps, avec une faux. Il doit être fait au moins une fois par an. Les déchets qui sont essentiellement végétaux sont mis sur la parcelle et servent alors de compost. André Boitier, dans une récente revue, donnait quelques conseils, " il faut utiliser les fanes de tomates, consoude, ortie, les tontes de gazons, mais éviter les brindilles, branches ou trognons mal broyés. Le compost fait intervenir des êtres vivants du sol, comme des bactéries, des champignons, vers de terre et autres insectes qui réalisent leur transformation ".

La vase qui s'installe dans les rivières et coulants est un phénomène naturel, mais il existe d'autres facteurs plus perturbants. Les marais, à partir de l'instant où il s'agit d'espaces comportant des accès publics font l'objet de toutes une série d'incivilités.

Aussi, une ou deux fois par an, mais surtout au printemps, les maraîchers s'organisent pour faire un grand nettoyage. Ils organisent de grandes " battues ", et ramassent tout ce qu'ils trouvent.
C'est ainsi que l'an dernier, c'est un inventaire " à la Prévert " qu'ils peuvent déclarer :
" cette année, on a trouvé une gazinière Rosière, elle était complète, mais aussi plusieurs télévisions, sans doute pas en état de marche, mais ce qui est le plus courrant, c'est le grillage ! Oui, tout morceau de grillage qui peut toujours servir termine son existence dans les orties, et il faut aller les chercher ".

Les maraîchers remplissent alors des bennes mises à disposition par la mairie, et en une journée, conviviale et sympathique, ce sont des tonnes de crasse qui sont ainsi collectées.

Mais dans le clou des objets insolites, Jean François Le Mouël a retrouvé un jour, une télévision qui voguait au fil de l'eau et surtout une cabine téléphonique qui avait servi d'abri de jardin : " Alors, j'ai mis la cabine téléphonique dans une remorque et je l'ai emmenée devant la préfecture"


Visites illustres dans les marais

 

Les marais de Bourges par leur nature, n'ont jamais fait l'objet, au cours des siècles passés, de visites célèbres connues, car l'insalubrité des lieux et les difficultés d'accès n'en ont fait le lieu de promenade pour " VIP ".
Pourtant, ces dernières années, depuis environ 20 ans, des personnalités et autres ministres se sont rendus sur les chemins, ou ont parcouru les coulants en barque, avec les élus ou représentants de l'Etat.

 

Les visites illustres

Des personnes illustres qui ont visité les marais de Bourges, il y en a, mais elles ne sont pas " légion ". Pendant des lustres, les marais n'ayant pas bonne réputation, les " grands " de ce monde les ont évité. Des marais, avec odeurs et moustiques, donnant le paludisme ou d'autres maladies ne pouvaient pas être très attractifs, il ne semble pas que Napoléon III, de passage à Bourges pas plus que Mac Mahon ne soit passé sur les berges.

Il faudra attendre le milieu du XX ième siècle, pour que quelques personnalités s'aventurent dans ces lieux.

De mémoire de Berrichon, la première femme ministre à avoir foulé les marais, c'est Huguette Bouchardeau, alors ministre de l'environnement dans le gouvernement de Laurent Fabius. Il faut remarquer que le président Mitterrand, dont la famille était originaire de Bourges, très exactement du Pont d'Auron, est venu à plusieurs reprises dans la ville de ses ancêtres, et qu'il n'ai jamais manifesté le désir d'aller voir ce lieu.

Huguette Bouchardeau est venue en 1983, c'était un dimanche matin, j'étais " journaliste et animateur " à la radio Recto Verso et Claude Forget m'avait envoyé " couvrir l'événement ".
Et il fallait voir, par un temps détestable, la ministre, les cheveux encore plus frisés qu'à l'habitude, en petit tailleur et portant des talons aiguille….. évoluant dans les marais, découvrant ce lieu en compagnie du préfet, ce devait être Gérard Delplace. L'écologie commençait à porter un nom, et le préfet, tête nue, sous la pluie, éternuait à n'en plus finir. " Notre préfet, il va attraper, une bonne crève " dit un maraîcher qui les accompagnait.
Il ne semble pas que cette visite ait apporter quelque chose.

Autre visite ministérielle, expresse à n'en pas douter, celle de Ségolène Royal, c'était en 1992. Elle était alors ministre de l'Environnement, pour prendre la terminologie de l'époque, elle était accompagnée de Roland Hodel, le préfet et du député du Cher Alain Calmat. Elle passa sa journée à débloquer des subventions…. Alors qu'elle rejoignait dans les marais Jean Claude Sandrier et Gilbert Camuzat tous deux adjoints au maire de Bourges.
En deux heures pétantes, ce vendredi 18 décembre, elle va distribuer plus d'un million de francs de subventions dans tous les sens…. Etude hydraulique par ci, protection des chauves souris par là, et au milieu de tout cela les marais de Bourges qui vont obtenir 200 000 francs donnés à la ville pour assurer la restauration des marais.

Dans les discours, elle dira :
" Un pays capable de protéger sa flore et sa faune est un pays capable de protéger les hommes ". Elle ajoutera avant de reprendre son avion…. " Marier développement et environnement c'est le défi de l'an 2000 ".

Il était déjà question de classement, et, raconte Michel Melin, un " vieux gars des marais, pour lui faire plaisir lui a offert une peau légèrement tannée…. d'un ragondin de belle taille. Une vrai piau, comme on dit en Berry, cela se passait au Caraqui. Ségolène Royale, très jeune à l'époque, regarda le présent, eut un sursaut, et le prit délicatement du bout des doigts, le passant très rapidement à un des hommes de son entourage ".

Visiblement le ragondin, n'était pas le bienvenu dans la suite ministérielle…. Et nul ne sait si la " piau " a pris l'avion pour Paris !

Quant à l'argent de Ségolène Royal, il sera bien donné à la ville et il va servir à remettre en état la digue dite de Voiselle et que certains vont appeler pendant quelques temps, " la promenade Ségolène Royale ", ce qui va poser un problème juridique sérieux. En effet, cette digue étant entièrement sur le domaine privé, il n'était pas possible de la remettre en état avec de l'argent public, qu'il vienne de la mairie ou de madame la ministre. Aussi, les travaux se sont-ils faits dans la plus stricte illégalité ! Depuis cette date, la mairie a cherché à acquérir cette digue de manière très officielle. Dans les années 2000, une partie a été vendue par les propriétaires pour quelques euros, alors que d'autres faisant " de la résistance " n'ont rien voulu savoir, et il a été décidé de procéder à une expropriation, ce qui est long, coûteux, mais indispensable.

Les ministres de l'écologie ou de l'environnement continueront à venir visiter les marais, comme Roselyne Bachelot, et plus tard, Serge Lepeltier qui était chez lui et fit visiter le site au commissaire européen chargé de l'écologie. C'était quelques jours avant le référendum raté sur l'Europe, et la fin du mandat de ministre du maire de Bourges.

Roselyne Bachelot était ministre de l'écologie ce 4 décembre 2004, Elle est arrivée au Caraqui avec madame la préfète , Anne Merloz, et comme toujours un aréopage d'accompagnateurs. Il faisait froid, la pluie n'était pas loin…. Elle sortit de sa voiture ministérielle en petite chaussure basse. Déjà, les maraîchers présents rigolaient :
- C'est pas possible, t'as vu la ministre, avec ses petits souliers vernis, mais comment elle va faire pour monter dans la barque ?
- Ils viennent bien tous de Paris, yen a pas un qui lui a dit comment c'étaient nos marais à nous ?

Plusieurs personnes de la ville de Bourges s'inquiétaient aussi de la tenue de madame la ministre… Mais Roselyne, on ne lui en raconte pas…
Elle sortit un sac et demanda quelque chose à Serge Lepeltier.
- Vous savez, dit-elle, je suis blindée, j'ai toujours des chaussures hautes ou des bottes partout où je me déplace, je veux juste une chaise pour changer de chaussures.

Et c'est ainsi que madame la ministre se changea… Elle connaissait la musique et les terrains boueux.
Elle avança vers une barque que bourdait Jean Claude Devillière, et elle prit place avec Serge Lepeltier, Anne Merloz, et Yves Chéron, pour une ballade dans les marais, un garde du corps étant sur le devant de la plate.
Dire qu'elle était décontractée, ce n'est pas le mot, elle semblait inquiète, se demandant si il était bien raisonnable de se retrouver à 6 sur cette embarcation peu stable.

Elle fit une longue visite, plus à l'aise à terre qu'en bateau, et ce fut au cours du repas, pris à l'Hôtel de Ville, que les conversations devinrent les plus intéressantes.
Les présidents des associations des marais étaient présents, et la discussion évolua vers la lutte contre les ragondins, et la ministre fut inflexible : fini avec la chimie. " Vous devez utiliser des cages " dit-elle. Quant aux inondations, les marais sont là comme bassin en cas de crue, professa-t-elle avec beaucoup de bon sens.
Enfin, elle annonça que son ministère de l'écologie allait débloquer la somme nécessaire pour effectuer une étude complète sur les marais….

 

Le roi et la reine de Belgique

Et puis une toute dernière visite, la plus mystérieuse, et la plus discrète, c'était au début des années 2000, et un jour, un maraîcher eut à promener dans sa barque, à partir du port de Caraqui, le roi Albert et la reine Paola, les souverains belges.

La préfecture avait l'information, et seuls quelques maraîchers furent mis dans la confidence, aucune photo n'était acceptée, et la presse n'avait pas été conviée.

Ce fut une belle promenade, et ce n'est que le soir que l'information commença à filtrer dans la ville de Bourges. Ainsi, la libraire de la place Cujas, servit une belle dame, et lui dit en confidence " vous savez, vous ressemblez à la reine Paola, d'ailleurs, j'ai entendu dire qu'elle était en Berry en ce moment…. ", elle servit sans en dire plus à cette dame, qui était bien entendu la reine, laquelle faisait quelques emplettes en ville avant de repartir.

Ainsi, les marais ne feraient pas la " Une " des magazines " people " avec la visite d'un roi et d'une reine très populaires. Cela aurait été bon pour Bourges et le tourisme.
Une occasion manquée.


L'animation dans les Marais

 

Les marais sont toujours restés des lieux de culture légumière, et peu d'autres types de " culture " … bien que. Quant à la fête elle n'a jamais été absente, et ce n'est pas un phénomène nouveau. On s'est souvent " amusés " dans ces lieux qui ont de tout temps eu leur côté mystérieux….et festif.

 

Les fêtes dans les marais

Il ne semble pas que les marais aient été pendant des centaines d'années, un lieu de promenades ou d'animations. C'était, pour les gens d'autrefois, un outil de travail. Un espace où l'on cultivait des légumes, on y cueillait aussi des fruits, c'était aussi un coin où l'on allait pêcher. Pour d'autres, c'est vers l'un ou l'autre des moulins des marais que l'on portait le grain pour le moudre dans le quartier de Saint Privé où en bordure de la Voiselle.

L'espace n'était guère conçu et aménagé pour le loisir et la fête.

Il faudra attendre le tout début du XX ième siècle pour que l'animation ait droit de cité dans ce lieu… et encore ce n'était pas en n'importe quel endroit. Il n'était pas question de gaspiller du terrain et des parcelles pour le jeu, tout devait être dédié à la culture des légumes !

Pourtant, les plus anciens se souviennent aujourd'hui encore de leurs sorties dans les marais. C'est là qu'ils ont connu leur " belle ", en allant danser à La Courcillière d'un côté ou au Caraqui de l'autre côté. Et puis leur père aimait leur parler du début du siècle, cette période heureuse, juste avant le désastre de la Grande Guerre.
Ce fut pour de nombreux Berrichons les derniers instants de bonheur avant de s'en aller sans trop comprendre pourquoi, défendre des tranchées boueuses du côté de la Somme.

 

Les animations d'autrefois : La Courcilière et le Caraqui

L'histoire de La Courcilière a été récemment rappelée par Denis Julien qui voulu fêter le centenaire de cet établissement. Il rassembla des documents et commença à retrouver des témoins des années de l'entre-deux guerres, pour " écrire en quelque sorte cette belle histoire ".

Tout commence en septembre 1903 avec la vente par Jean Brisset à Victor Lanoue, qui était ouvrier maçon, d'une parcelle située, comme le dit l'acte de vente :

" Au nord de la Rue des Ribauds
à midi M. Boursin
au levant la rivière
au couchant M Laveau "

Et avec une telle description, vous deveniez propriétaire d'une parcelle d'un peu plus de 3 ares, cela s'appelait les " prés de Sancerre ".

Quelques années plus tard, Victor Lanoue, qui est sans doute las de cultiver les choux et les carottes ouvre un établissement qu'il appelle " Le Comptoir des Maraîchers ", à l'emplacement même de la " La Courcillière " actuelle. Le Comptoir est un débit de boisson, qui sert les vins et les liqueurs.
Il semble, selon les archives retrouvées par Denis Julien, le dynamique propriétaire des années 2000, que cet établissement perdure une quinzaine d'années, avant d'être vendu à Pierre Ludovic Tripault, puis d'appartenir à un nouvel acquéreur : Célestin Mousset qui va donner à cet établissement en 1921 le nom actuel de " La Courcillière ".

Un personnage, ce Célestin Mousset, c'est lui qui va créer le bal attenant au bar avec en plus, deux belles tonnelles, et des terrasses qu'il aménage pour les visiteurs. Il avait perdu une jambe à la guerre de 14, et chaque jour, il parcourait la distance de la place Anatole France jusqu'à la Courcillière à pied, avec sa jambe de bois et une canne. Cela faisait une distance de plusieurs kilomètres.

C'était la grande époque des bals populaires, avec des orchestres de rêve comme le " Hot Boys Orchestra ".
De l'autre côté, le Caraqui dont le nom, nous dit la légende, venait des oiseaux dont le cri était " cara, cara, … ". Ce sera aussi une guinguette très prisée des Berrichons qui venaient du quartier de Pignoux, où ils habitaient, travaillant pour certains d'entre eux à la brasserie dite de Pignoux, et dont la bâtisse existe encore.

Aujourd'hui, ce sont deux restaurants très utilisés, très populaires, que les Berrichons et surtout les touristes aiment, car c'est une vraie plongée dans la profondeur des marais.
C'est aussi dans ces bars que l'on entend les histoires les plus cocasses ou les rumeurs les plus folles sur les marais.

 

Les activités culturelles dans les marais

L'attrait des marais de Bourges fascine autant les maraîchers que la population berrichonne, sans oublier les touristes. Ce sont donc les artistes, avec leur talent et leur discrétion qui surprennent le plus.
Devant la beauté du lieu, les artistes ne sont pas insensibles pour placer leur chevalet et peindre le tableau de leur vie, celui qui permet, dans un méandre de la Voiselle, de croquer le reflet de la cathédrale dans l'eau calme. Les photographes quant à eux, à la recherche du cliché de l'année, parcourent des kilomètres sur les chemins pour viser à l'aide du dernier " Rolex ", le couple de grèbe Castagneux qui nage dans un coulant peu fréquenté

Parfois ils attendent la neige, rare en Berry, pour réaliser de surprenantes photographies, celles des barques alignées côtes à côte avec la cathédrale qui apparaît au loin entre les branches d'un saule.

Régulièrement, des expositions de peinture sont organisées à Bourges, et surtout dans les deux restaurants, La Courcillière et le Caraqui.

 

La fête des marais

Pour le public, c'est le moment de l'année le plus fort des marais. En effet, cette manifestation qui date du milieu des années 1970 est un des grands rendez-vous de la population avec ses marais. Elle se déroule en bordure du quai aux échalotes, et se poursuit avec des stands jusqu'à la place des Frênes.

Cette fête a toujours lieu le premier week end du mois de septembre, et elle est organisée par l'AUMYVB, devenue " Patrimoine Marais ". La première des caractéristiques de ces deux jours, c'est le beau temps. Depuis des décennies, est-ce saint Fiacre ou simplement la chance, mais " il fait toujours beau à la fête des marais ". En reprenant les 15 dernières années, il n'a plu qu'une seule fois, et c'était le dimanche en fin d'après midi, vers 18 heures, gâchant quelque peu le retour des visiteurs vers leurs voitures. Ce qui signifie que le soleil est toujours de la partie, permettant de belle promenades en barques, d'étonnantes ballades le long de la digue de l'Yèvre et des spectacles réalisées par des nageurs, des chiens sauveteurs ou des joutes.

Cette fête est devenue un rendez-vous incontournable. C'est la possibilité pour chaque Berrichon de se promener à pied sans craindre de se retrouver dans un cul de sac ou sur une propriété privée sans y avoir été invité…. Les promenades en barques sont très appréciées, et c'est le seul jour, le dimanche que cela est possible pour tout à chacun.

Et puis un concours de barques fleuries est organisé chaque année, et les 6 ou 7 plates sont magnifiquement décorées de fleurs, de fruits ou de légumes. L'imagination est alors au pouvoir et depuis l'an 2000, la présence des Amis de Jacques Cœur, avec leurs beaux costumes du XV ième siècle a apporté une touche de rêve toute médiévale ….

C'est aussi le rassemblement de la classe politique locale, de droite, de gauche, des verts ou du centre, ils sont tous la, discutant, se montrant, et écoutant les milles et une doléances des maraîchers, des riverains ou des Berruyers.
On a pu voir, le sénateur-maire de Bourges, Serge Lepeltier, sur le tabagnon d'une barque, faire des joutes avec Yves Chéron, le président de l'AUMYVB, et tous deux se retrouvant dans les eaux vaseuses de l'Yèvre…. un grand moment.

 

Le tourisme dans les marais

Il n'y a jamais eu, dans les marais de Bourges un tourisme organisé. L'activité touristique de l'Office de Tourisme, une structure datant de 1903, une des toutes premières de France, fut essentiellement orientée vers la promotion de la cathédrale de Bourges et un peu vers celle du palais Jacques Cœur.

Il faut reconnaître que jusque dans ces vingt dernières années, le tourisme vert, basé sur un réel intérêt pour l'environnement était le fait de quelques marginaux. Aller visiter des " mares et des marais plus ou moins nauséabonds " cela n'entraînait pas les foules. Le tourisme fut très longtemps culturel et patrimoniale. Des pierres, vieilles de préférence, et des bâtisses un peu éprouvées, faisaient le bonheur du tourisme dit " culturel ".

Peu à peu, les responsables de l'Office de Tourisme de Bourges notèrent quelque intérêt pour ce lieu, de la part des Berrichons d'abord, et de quelques touristes ensuite.

C'est ainsi que Marie Noëlle B. après avoir passé une partie de son existence à Bourges, une dizaine d'années semble-t-il, était parti se marier dans la région parisienne, et elle revint à Bourges vers 1998. Elle se présentait ainsi à l'Office de Tourisme :

- Bonjour, je voudrais me remettre à niveau sur le plan touristique et savoir ce que je peux visiter à Bourges, où dans le département du Cher.

La jeune femme à l'accueil, prit quelques documentations sous le comptoir et lui tendit :

- Voilà, vous avez, le centre ancien, le palais Jacques Coeur, les musées, qui sont désormais gratuits et ajouta-t-elle en regardant sa montre, vous avez une visite de la cathédrale dans ¼ d'heure, et une visite des marais dans 1/2 heure.
- Les marais, de quoi s'agit-il ? demanda la dame devant le comptoir.
- Ce sont nos marais, situés en ville, il y en a 135 hectares et on peut les visiter avec un guide. C'est très intéressant.
- Mais c'est nouveau ces marais à Bourges, ils n'existaient pas de mon temps ….
- Je crois que si, dit l'hôtesse d'accueil. César en parlait dans sa guerre des Gaules.
- Eh bien, j'ai habité Bourges pendant plus de 10 ans, il y a pas mal de temps, j'avais une petite maison dans le quartier de l'Aéroport, et ces marais ne me rappellent rien.

Cette anecdote est assez classique de ce que l'on peut entendre sur les marais. Un lieu peu ou pas connu. Aucune publicité pour y aller, d'ailleurs il n'y a pas une entrée et aucun fléchage. Certains en ont entendu parler, mais avec toujours un commentaire du genre " et surtout si tu y vas, n'y va pas seul, il faut être accompagné lorsque l'on ne connaît pas ".

C'est pourquoi les visites guidées et parfaitement commentées par les spécialistes de l'Office de Tourisme, que ce soit Thérèse, Dominique ou Frédéric ont tant de succès.
Les Berrichons peuvent ainsi redécouvrir leurs marais.

Sur le plan de l'information, un événement a été capital, ce fut une émission de télévision, " Faut Pas rêver " sur FR3 avec Laurent Bignolas, un natif de Bourges. Et aujourd'hui, la demande pour visiter les marais devient de plus en plus pressante.

Au temps des gaulois et autres romains

C'est en 2005 que la ville et l'Office de Tourisme décidèrent de montrer les marais sous un autre jour. A cette époque, les visites guidées dites traditionnelles que ce soit sur le patrimoine ou dans d'autres sites étaient en perte de vitesse. Le touriste recherchait autre chose, de plus convivial, et c'est ainsi que vont naître des visites " secrètes et gourmandes ", avec des personnages costumés. Comme cela avait bien fonctionné, l'élu, adjoint au tourisme, et le directeur de l'Office Alain Ferrandon, avec son équipe, pensèrent aux marais….. Et c'est ainsi que des touristes, locaux ou lointains, sous la conduite de Thérèse Legras firent le parcours des marais avec à chaque pas, une surprise.

- Regarde, cria un gosse qui précédait le cortège des visiteurs de cette soirée de juillet, on dirait des Gaulois.
- Ou ça demanda sa mère, tu as trop lu Obélix ou Astérix.
- Mais regarde, là bas, au loin, dans la barque.
- C'est pas vrai, ce sont bien des Gaulois.

Et sur la belle rivière de l'Yèvre, alors que les visiteurs étaient sur la digue, des barques de Gaulois évoluaient…. comme aux temps lointain.

Soudain, des cris au loin, une escouade de Romains arrivaient en rang serrés selon la méthode dite de la tortue. Et ce fut une belle bataille… on était loin des plantes et des fleurs, chacun se retrouvait à la nuit tombante vers 52 avant Jésus Christ, alors que César faisait le siège d'Avaricum et cherchait à passer par les marais.

Et les touristes poursuivirent leur route, après avoir pris des dizaines de photos… ils n'étaient pas au bout de leur surprise.

Thérèse dévidait son propos, mais chacun scrutait les chemins et les sentes, lorsque des druides apparurent place des Frênes, en grand habit blanc, sous la conduite " d'un vrai et authentique druide berrichon ", chaque visiteur reçu une branche de gui, un vrai porte bonheur et la petite troupe s'en alla par le chemin de Voiselle. Là au creux d'un coulant, de grands cris sinistres, et un jeune garçon était emporté dans un grand chaudron par une demi douzaine de sorcières, toutes plus laides les unes que les autres…..

Et la visite se poursuivait, toujours avec autant de surprises… et à la fin, au moulin de Voiselle, une collation était proposée avec des produits des marais au son d'une musique ancienne, la visite avait durée près de 2 heures, et il faisait nuit noire. Quelle belle ballade.

Concert d'un Eté à Bourges

Dans le même esprit, c'est à dire proposer de manière homéopathique une visite partielle des marais, des concerts prirent leur place dans ce lieu. Au milieu de la dernière décennie du XX ième siècle, sous la direction de Michel Pobeau, fut organisée " Un été à Bourges ", qui comprenait chaque soir une animation, généralement un concert de qualité pour les touristes en visite dans la cité de Jacques Cœur et le succès fut incontestable. Les lieux des concerts furent originaux, avec les Prés Fichaux, la cour du palais Jacques Cœur ou encore la place de la cathédrale. Mais lorsque cherchant des scènes plus originales, les marais de Bourges furent proposés, ce ne fut pas simple à organiser.

Il fallait convaincre les maraîchers que ce serait un concert " très classique " et non pas une " rave partie " ou de la musique électro-acoustique… comment le démontre ce dialogue :

- Ben voyons, y vont pas nous faire du bruit comme au Printemps
- J'espère que non répliqua Maurice,quel bruit en avril dernier, pourtant j'habite rue Charlet, y zont fait de la musique jusqu'à deux heures du matin.
- Si on appelle ça de la musique, pour moi, ça reste du bruit, d'ailleurs le chien hurlait à la mort.
- Et heureusement que le patron du festival a un marais, sinon, on aurait sorti les fusils.

Et ce fut, avec " Un Eté à Bourges " durant quelques années, un concert place des Frênes, avec près de 500 personnes qui écoutaient un violoncelliste jouer une pièce de Bach sur une petite estrade posée de manière acrobatique sur deux barques, ou encore des voix venues du Tibet…..

De magnifiques concerts qui enchantèrent les Berrichons et les touristes, car le cadre était absolument féerique. C'était l'exemple d'une animation de grande qualité, mais, comme toujours avec les " gens des marais ", à développer avec parcimonie. A peine un seul concert classique par an, mais un vrai bonheur.

La baignade sur l'Yèvre

La baignade dans l'Yèvre est encore aujourd'hui un art difficile. En effet, l'eau de la rivière n'est pas particulièrement chaude et ce n'est que durant les belles journées d'été qu'il est possible de "plonger une tête". Pourtant cette expression populaire n'est pas toujours adaptée, car l'été, les eaux sont faibles et les trous d'eau dans lesquels il est possible de plonger sont rares.

Par les fortes chaleurs d'été, les lieux accessibles sur l'Yèvre où il est possible de s'ébrouer et de nager sont exceptionnels, quelques jeunes s'en vont dans les marais de Bourges à proximité de la passerelle Nérault, sur la Voiselle. D'autres plus téméraires vont au moulin Bâtard et plongent de la digue, risquant à tout moment de prendre une pierre sur la tête.
Enfin, dans les jardins de Mehun, à côté d'un parcours pour canoës, il est aussi possible de goûter la fraîcheur de l'eau, en se souvenant qu'à la grande époque de Charles VII et de Louis XI, ils devaient eux aussi, prendre goût aux bains, comme le montrent les Très Riches Heures du Duc de Berry.

 

L'art contemporain dans les marais

L'attrait des marais de Bourges fascine autant les maraîchers que la population ou les touristes. Mais ce sont les artistes, avec leur talent et leur discrétion qui surprennent le plus. Et dans cette tendance, les artistes contemporains ne sont pas absents, l'association Tampopo oeuvrait à la fin des années 1990 dans la mise en valeur de quelques parcelles des marais, provocant un effet de surprise ou d'émotion dans ce lieu peu habitué à de telles créations.
Il faut dire que l'exposition fut tout à fait déroutante. Avec l'accord d'Alain Meilland, le directeur de la culture et du patrimoine de la ville, les artistes avaient "planté" sur une vaste parcelle, des légumes ….. en plastique comme on en trouve dans les magasins de jouets. Ils étaient bien colorés, bien alignés, il y avait des salades, des choux et autres carottes assez grosses, mais en plastique, et cela se voyait.

Le lendemain, c'était juste le matin de l'inauguration, à La Courcilière, au bar, Pierre et Louis étaient en train de boire le premier petit blanc du matin, lorsque Jean Claude entra un peu brusquement :

- Eh les Amis, vous avez-t-y vu ?
- Quoi demanda Louis, un gros ragondin ?
- Non, un jardin de fous.
- C'est pas le père Justin par hasard ? questionna Pierre.
- Vous n'y êtes pas, c'est vers l'ancienne parcelle à Robert en bordure de la Voiselle. Ils ont planté, si l'on peut dire des légumes, mais ils sont tous en plastique. Bien alignés, il y a des choux, des carottes et autres poireaux.
- Arrête tes conneries Jean Claude, tu as trop forcé sur la prune à ton petit déjeuner.
- Mais non les gars, ils sont bien en plastique, ils me l'on dit, et le voisin Jean Luc me l'a dit aussi, et savez-vous le pire ?
- Non dirent ses deux amis en se resservant un petit verre.
- Et bien, ils arrosent leurs légumes en plastique, avec un arrosoir, je vous dit qu'ils sont fous. Je vais alerter la mairie, on n'a pas le droit de laisser faire des choses comme ça. Ils nous narguent, ils se foutent de notre gueule, c'est de la provocation.
- Et que t'ont-ils dit ?
- Qu'ils étaient des artistes et que c'était de l'art nouveau.
- Et bien on va aller les voir. Si c'est pas ça, tu paies ta tournée.

Ils partirent vers le terrain et c'était bien un jardin en plastique…..

Les maraîchers le soir de l'inauguration furent assez critiques, "on se fout de nous", disaient-ils en bougonnant. Pourtant ils n'étaient pas au bout de leur surprise, lorsqu'ils s'aperçurent que leur ami Jean Claude avait vu juste, en effet, l'artiste ou son aide, tous les matins, venaient arroser consciencieusement l'ensemble des légumes en plastique :
" Mais quelle génération ma bonne dame, où allons-nous ?".
Ainsi, l'art contemporain ou post moderniste n'avait pas convaincu les maraîchers de Bourges.

 

La nuit des lucioles

La dernière animation connue à ce jour fut l'œuvre des Amis de Jacques Cœur, sur une idée de leur présidente, Marie France Narboux. Il s'agissait de faire une retraite aux flambeaux, mais sur l'eau, dans une bonne dizaine de barques, avec de petites lucioles, une centaine de ces bougies par barque placées dans des pots de verre et agrémentées de lanternes et de flambeaux….. Les personnages de ces barques étaient costumées en grandes tenues, comme au temps de Jacques Cœur et du duc Jean de Berry.

Une musique de circonstance et dans une nuit magnifiques, les barques glissèrent au fil de l'eau, bourdées par les membres de l'association " Patrimoine Marais ".

Sans publicité particulière, ils furent plusieurs milliers de personnes à venir sur les berges, voir ce cortège féerique du temps passé. Certains reconnaissaient les personnages, Il s'agissait de Macée de Léodepart, l'épouse de Jacques Cœur ou encore de Charles VII, le petit roi de Bourges, et de la belle Agnès Sorel… sans oublier les archers et de jeunes enfants, ceux de Marie d'Anjou.

Un succès assuré, et sur les bords de l'Yèvre, des centaines de lucioles vendues par " Patrimoine Marais ", scintillaient dans la nuit, c'était d'ailleurs le nom de la manifestation : la Nuit des Lucioles dans les marais de Bourges.


L'avenir des Marais de Bourges

 

Il n'est pas simple de se projeter dans le futur afin de décrire ce que seront les marais dans 10, 20 ou 50 ans, car beaucoup de paramètres doivent être pris en compte. Ce sont les aspects climatiques bien entendu, mais aussi la capacité des hommes et des maraîchers de gérer comme à l'ancienne leur parcelle, et à y maintenir l'eau. C'est enfin la réaction des Berruyers, sont-ils capables d'aller chaque jour " au marais " et d'y effectuer des travaux parfois durs et pénibles ?

Il est d'ailleurs remarquable de voir que les marais, au cours de l'Histoire, ne sont pas toujours un havre de paix, et cela ressemble parfois à une terre de brouilles. Les intérêts des uns et des autres furent souvent contradictoires. Les minotiers opposés aux maraîchers, les maraîchers opposés entre eux, et les maraîchers opposés en général au pouvoir local.

 

Les mille et une études

Ce qui est le plus constant dans les marais, ce n'est pas la hauteur de l'eau, non, c'est le nombre d'études qui sont réalisées par les uns et les autres. Etudes libres écrites par des étudiants de haut niveau pour un mémoire ou une thèse, étude diligentées par une collectivité et réalisée cette fois par un bureau d'études, ou encore étude des pouvoirs publics étatiques.

Récemment, après le classement des marais, et selon les vœux du ministère de l'écologie, lors de la visite de Roselyne Bachelot puis lorsque Serge Lepeltier lui succéda, une étude spécifique aux marais fut diligentée, la dernière dit-on, avec un double objectif, savoir avec précision ce qu'il y avait lieu de faire pour sauvegarder les marais, définir la structure de gestion…. Et trouver les financements colossaux dans les 15 ou 20 ans à venir pour que les marais restent en l'état.

C'est ainsi que les documents pullulèrent racontant par le commencement ce que fit Charlemagne, puis les communautés religieuses pour aboutir enfin à la problématique d'aujourd'hui : il faut sauver les marais de Bourges et maintenir l'eau.

Seulement, cela, requiert de l'argent, beaucoup d'argent et c'est ce qui manque le plus, car il faut rappeler que les maraîchers sont avant tout des gens modestes sans grand moyen financier.

 

Parlons chiffres et sous….

La première question que se posent les Berrichons lorsqu'ils visitent les marais, c'est de savoir combien ils coûtent, d'où cette conversation entre un passant et un maraîcher qui descend de sa barque, c'était vers le quai des échalotes :

- Pour disposer d'une belle parcelle, pas trop grande quant même, il faut compter combien ?
- Cela dépend, répond l'homme en bleu en rangeant sa plate.
- Et de quoi ça dépend ? fit le passant qui était un obstiné.
- De beaucoup de choses, ici vous êtes sur les marais du haut, une parcelle comme celle qui est en face de vous, ce n'est pas le même prix qu'une parcelle dans les marais du bas. La différence tient à l'offre et à la demande. Les marais du bas sont beaucoup plus prisés que les marais du haut, car ils sont d'un accès plus facile.
- D'accord, mais ça fait combien à l'achat ?
- N'allez pas si vite, ça dépend aussi de la vue que vous avez, si vous voyez de votre marais la cathédrale, alors, c'est plus chère. Par contre les marais du haut sont plus exotiques, avec un gros inconvénient.
- Lequel ? questionna le passant décidément très patient.
- Pour les marais du haut, il vous faut inévitablement une plate, oui, une barque, comme celle-ci, car il n'est pas possible d'y aller à pied. Alors, c'est une contrainte. Et puis il y a la cabane…
- Quelle cabane ?
- Celle qui est sur la parcelle où qui n'y est pas. Le prix dépend de la présence et de l'état de la cabane. Elle peut être en bois, plus ou moins pourris, mais aussi en tôle ondulée et parfois en plaques de fibro, comme on en trouvait autrefois.

Et la conversation se poursuivait, un responsable d'une association de maraîchers Michel Melin s'étant joint à la discussion. Il évoquait lui aussi le prix mais il mettait l'accent sur des aspects non encore vu :
- Vous savez, les marais, c'est de plus en plus " tendance à Bourges ", comme l'on dit aujourd'hui. Il est de bon ton, et cela fait bien de posséder ou de louer un marais. Il y a des employés aujourd'hui qui veulent venir faire un tour au marais entre midi et 14 heures, ils viennent une heure et demi, pour bronzer un peu ou s'oxygéner en binant quelque mauvaises herbes.

C'est sans doute une vraie tendance forte, on a vu le " patron " du Printemps de Bourges, Daniel Colling, acquérir un marais et y faire une ou deux fêtes dans l'été, tout comme plusieurs journalistes locaux ou quelques élus. C'est ce côté " écolo " qui est en chaque Berrichon qui ressurgit en ce début de XXI ième siècle.

Un journal titrera " Colling amoureux des marais de Bourges ". Et c'est bien exact que depuis le classement des marais et cette reconnaissance très officielle, par les collectivités locales et l'Etat, les marais, on en parle ! c'est un mythe nouveau, une sorte de jardin d'Eden.

Mais en attendant, le passant n'avait toujours pas le prix de son marais….. Il ne s'avouait pas vaincu, mais désespérait d'obtenir au moins une fourchette de prix.

- Attendez, je veux acheter 400 mètres carrés de marais, ça va me coûter combien ?
- Si je vous dit encore ça dépend, vous allez me mettre à l'eau. Pourtant, c'est bien la vérité, car il faut savoir si le marais est encore cultivé, où s'il est en friche depuis plusieurs années.

Mais voyant le passant commencer à regarder sa montre, le maraîcher, finit par conclure :
- Voici une fourchette, elle vaut ce qu'elle vaut, mais les gens sont comme vous, ils n'ont aucune idée de la valeur d'une parcelle. Pour faire simple, il faut compter entre 4 à 6,5 euros le mètre carré à l'achat selon les critères que je vous ai donné, ce qui veut dire en prenant une moyenne, que pour 400 mètres carrés à 5 euros le mètres carrés, une somme d'environ 2000 euros, ce que nous traduisons ici par 13 000 francs. A cela, selon ce que je vous ai dit, il faut ajouter le prix de la cabane si elle existe, et cela se négocie et le prix de la barque si il s'agit des marais du haut .
- Donc pour mes 400 mètres carrés, avec moins de 15 000 francs, j'ai un marais.
- Eh oui !
- Ce n'est pas très cher,
- C'est ce que je pense ajout-t-il, mais il y a aussi des " arnaqueurs ", ils vendent la parcelle 10 euros le mètres carrés….. et ils trouvent acquéreur. C'est vous dire que ce n'est pas simple.
- Et puis il faut aussi ajouter les frais de notaire.

Ainsi, l'acquisition d'un marais de surface moyenne, c'est dix fois moins onéreux que d'acheter une voiture moyenne neuve.

Quant à la location d'un marais, et c'est un bon moyen de voir si c'est bien le bon investissement avant d'acheter, les prix semblent encore plus intéressants.
Il faut compter environ 100 à 200 euros par an, pour 1000 à 1500 mètres carrés, cela varie en effet beaucoup.

Michel Melin nous dira sous forme de boutade " que le prix de location varie de 0 à 15 centimes d'euros le mètre carré ".
Le zéro euro correspond à des gens qui ne veulent pas se séparer de leur marais mais ils veulent le conserver en bon état, alors ils le louent pour un euro symbolique à un parent, un ami ou un voisin qui va l'entretenir et cultiver des fleurs ou des légumes.
Mais à 0,10 euros le mètre carré, on arrive en location au chiffre de 100 euros, c'est à dire 650 francs pour 1000 mètres carrés ce qui est dérisoire pour un petit bout de paradis !

Quant aux impôts de type fonciers, exigibles par la commune, ils ne sont exigibles sur les parcelles uniquement au delà d'une surface de 2000 mètres carrés, et nul ne sait ni pourquoi, ni comment fonctionne cette jurisprudence, et de reconnaître " qu'ils sont dérisoires ".

 

Le coût futur d'entretien des marais

L'étude sur les marais, diligentée par la nouvelle association intitulée " ….. pour l'Etude des marais ", rassemblant les maraîchers, les écologistes, les collectivités locales… etc a confié à un bureau d'étude dénommé de manière merveilleuse " Maître du Rêve " donne quelques éléments assez grossiers de ce qu'il faudrait injecter comme argent dans les marais de Bourges pour leur conserver leur aspect actuel.

Pour ces spécialistes, le simple retour à la situation d'il y a 10 ou 15 ans, c'est à dire en se contentant de curer les rivières et les coulants, en faisant un grand entretien des rives, avec des palplanches là où c'est nécessaire pour éviter que la terre s'écroule dans la rivière, et en faisant un simple débroussaillage cela reviendrait à environ 1,5 millions d'euros, soit 10 millions de francs, et pour les plus anciens… 1 milliards justement " d'anciens francs ". Une somme considérable.

C'est dire l'ampleur des dégâts et le travail à réaliser.

Mais ce n'est pas tout, il ne s'agit pas de faire de gros travaux pendant 3 ou 4 ans pour remettre les choses en ordre, il faut ensuite poursuivre de manière régulière l'entretien annuel, et là, les sommes sont encore une fois impressionnantes. Il faudrait compte sur une somme de 250 000 à 300 000 euros par an pour faire face à la situation, c'est à dire plus de 1,6 millions de francs à trouver…. Et les maraîchers, souvent des gens modeste n'ont pas la moitié d'un euro pour commencer à réunir une telle somme. Il faudra donc que les pouvoirs publiques s'investissent, ce qui est aujourd'hui juridiquement impossible.

 

Les hypothèses plausibles

Lors de l'assemblée générale de l'Office de Tourisme celle des 100 ans de l'Office, une diapositive futuriste, montrait les marais en 2103, c'était un immense parc d'attractions, avec des crocodiles, des arbres géants, des restaurants flottants, et des touristes partout.

C'est ce que craignent tous les maraîchers : que ce lieu perde son âme, et devienne un parc d'attractions. Et c'est une hypothèse qui n'est pas dénuée de sens. Dans la volonté d'être au plus prêt de la nature, on peut penser que les marais resteront un havre de paix et de verdure. Alors, que ce type de loisirs soit pris en main par des investisseurs et qu'ils organisent des loisirs à grande échelle, il n'y a qu'un pas.

Une chose est certaine : les marais tels qu'ils sont aujourd'hui vont beaucoup souffrir et seule la puissance publique sera capable de faire quelque chose pour les sauver.

Les parcelles cultivées par des particuliers amoureux de la terre, capables de produire des légumes, seront de plus en plus rares. Cela commencera par des cultures qui ne seront pas utiles à la famille, avec des productions plus ludiques, comme les potirons, potimarrons, coloquintes… etc, c'est à dire des productions décoratives et non gustatives. On peut penser que d'autres, les " vrais écolos " seront avides de produire et de consommer des fruits et des légumes totalement naturels. Du super-bio. Ils voudront pouvoir comparer ces légumes par rapport à ceux vendus par Internet et produits sans terre dans des laboratoires spécialisés.

On ne peut pas laisser de côté un scénario catastrophe pour les marais de Bourges, mais aussi pour tant d'autres régions, c'est le réchauffement climatique. Si dans les décennies à venir, il s'averrai que les théories des plus pessimistes des climatologues se concrétisent, alors, les quelques degrés d'accroissement de température provoqueraient inévitablement un changement dans les productions agricoles du département du Cher, et l'eau indispensable à la culture et aux homme serait utilisée uniquement à cet effet. Alors, l'Yèvre serait tarie et les marais à sec, avec un léger filet d'eau les traversant.
Sans eau, il n'y aurait plus de marais. Une telle hypothèse n'est malheureusement pas totalement idiote.

Mais les catastrophes ne sont pas, fort heureusement, toujours au rendez-vous.

On peut aussi penser que l'eau avec des hauts et des bas, continuera à traverser les marais, que des travaux considérables, aussi gigantesques que ceux réalisés au XIX ième siècle par nos anciens seront exécutés, avec l'argent de la puissance publique. Celle-ci a d'ailleurs lancé une DIG, Déclaration d'Intérêt Général afin de pouvoir intervenir de manière forte dans les coulants appartenant à des riverains privés.

Et puis il reste le rêve, la plupart du temps inaccessible afin que leurs petits enfants puissent vers 2050, aller dans les marais. Les chemins seront en grave compactée, naturelle, les parcelles seront propres, bien entretenues, certaines très fleuries par les jardiniers des services de la ville, alors que d'autres sont cultivées " à l'ancienne ", elles sont peu nombreuses, mais servent essentiellement à montrer aux nombreux groupes de scolaires ce qu'était la culture au XX ième siècle.

Plus loin, le long d'une allée entièrement engazonnée, des parcelles réalisées par une association patrimoniale montrent plusieurs types de jardins d'autrefois, du moyen âge avec les plantes aromatiques ou médicinales, jusqu'aux jardins ouvriers, avec leurs légumes de saison.

Sur l'eau, des barques voguent avec un petit moteur électrique fonctionnant par des batteries solaires. Ces embarcations peuvent accueillir entre 2 et 12 personnes. L'eau est d'une belle clarté, limpide et d'une transparence rarement vue. On peut voir des poissons parmi les plus variés, certains connus, comme des gardons ou des brochets, mais on observe aussi des poissons parfaitement colorés.

Le fond des coulants est propre, des stations d'épuration et de contrôle étant situés à l'entrée des marais sur l'Yèvre et ses autres affluents.

On remarque aussi, des groupes d'enfants accompagnés, ils viennent de Paris, ils passent deux jours ainsi en pleine nature, c'est une partie de leur enseignement. Sur un autre secteur, d'autres enfants sont à la tâche, ils remettent en place une berge, c'est une partie du travail pratique.

En se promenant, on croise deux gardes, à vélo, alors que d'autres vont à pied, car les marais sont gardés et surveillés jour et nuit.

Ce jour là, un groupe de visiteurs venant des Etats Unis, suivait un circuit qui avait été créé pour les touristes, il comportait trois boucles que l'on pouvait faire librement ou accompagné.
De nombreuse passerelles avaient été construites pour aller d'une parcelle à une autre aussi bien dans les marais du haut que dans ceux du bas.
Le moulin de Voiselle a été remis en activité, on peut y voir la grande roue qui tourne et les deux types de meules, celles pour le grain selon la tradition du moyen âge, alors qu'une autre installation, plus moderne montre la fabrication de l'huile de noix, comme au début du XX ième siècle.

Pour l'accueil de tout ce petit monde, une partie du parking de Carrefour a été utilisé, c'est une " Maison de l'Environnement ", comprenant des expositions, des objets à l'ancienne, une histoire de ces marais et des salles de conférence.

Mais ce n'est qu'un rêve et il faut revenir à la réalité qui est plus complexe.

Ainsi s'achève cet ouvrage sur les marais de Bourges, une fin en guise d'appréhension mais aussi d'espoir. Toute la poésie du lieu ne suffira pas, toutes les bonnes volontés, bénévoles pour l'essentiel, seront largement insuffisantes. Alors les pouvoirs publics accepteront-ils de considérer les marais de Bourges comme une priorité alors même que le domaine est privé ? C'est tout le dilemme de ces dernières années.

Puisse le XXI ième siècle ne pas effacer les efforts de plusieurs centaines d'années pour préserver ce qui donne à l'homme toute sa dimension : la préservation de son environnement, pour ses enfants et petits enfants.


 

Bibliographie

 

Robert Chaton : Marais et moulins de Bourges - Ed Delayance 1984.

Stéphane Tsékas : Au bonheur des jardins - Ed E&C

Christophe Gratias et Roland Melin : Des marais en plein cœur - Ed Nature 18 - 1995.

Stéphanie Jouet : L'évolution socio-historique de la gestion des eaux et des terres : le cas des marais de Bourges. Mémoire de stage de DEA - 1998.

S. Clément : les lagunes de Bourges - Revue du Centre - avril 1881.

J. Mignault, E. Richy : Les marais Saint Privé

Nature 18 : Les marais d'Yèvre à Bourges. Itinéraire de promenade à la découverte de la faune et de la flore.

A. Mazas : les marais de l'Yèvre et de la Voiselle à Bourges (Cher). Délimitation d'un périmètre de classement - DIREN Centre - 1998.

Roland Narboux : les Marais de Bourges aux éditions CPE (Photos de Marylise Doctrinal et Nicolas Cholet)

 

 

 

 


 

 

 



 

 

 

 


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