societe secrete des Mariannes - roland narboux - Bourges Encyclopédie

 

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L'ENCYCLOPEDIE DE BOURGES

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Et puis une nouveauté : L'information et l'actualité à savoir sur Bourges, en quelque clip et quelques lignes :

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LA SOCIETE SECRETE DES MARIANNES

Une société secrète dans le Cher et à Bourges s'est constituée et elle a fonctionné à la fin des années 1840, son nom : les Mariannes. Aujourd'hui, personne ou presque ne connaît ces Mariannes. L'énigme concernant la société des Mariannes concerne davantage leur absence dans tous les livres d'histoire et même dans les études des chercheurs du XIX e siècle. Cette société secrète semble gêner beaucoup de monde, plus de 150 ans après les faits.


Lorsque l'on recherche des ouvrages ou des documents sur cette période à Bourges et en Berry, on est stupéfait de ne rien trouver ou presque. Quelques pages, quelques fascicules, mais aucun ouvrage sur cette société secrète, comme si rien ne s'était passé.
Pourtant, l'influence de la répression dans le Cher et la Nièvre voisine aurait dû donner l'alarme, est-ce une cause directe ou indirecte de la faiblesse de la franc-maçonnerie dans cette période, et encore quelle fut l'influence de ces Mariannes sur le syndicalisme dans le Cher.
Pourquoi si peu de curiosité, par rapport à la profusion d'ouvrages sur Jeanne d'Arc ou sur les Templiers ? C'est bien là que se situe l'énigme d'un sujet jamais abordé jusqu'ici.
Pourquoi avoir occulté cette page de l'Histoire locale en Berry ?

Quelques repères historiques

Comme il semble que cette période du milieu du XIX e siècle soit assez mal connu, quelques dates et quelques faits qui serviront de repères.

En 1847, Louis Philippe est le roi des français, et en septembre, il roi nomme Guizot Président du Conseil en remplacement du maréchal Soult. Quelques semaines plus tard, en février, 1848, des émeutes éclatent à Paris contre Guizot qui est bientôt renvoyé.

Le 23 février de cette même année 1848, une manifestation se déroule, au début joyeuse, elle se termine mal, l'armée tire, il y a 52 morts, des barricades sont érigées. Et le lendemain, le roi Louis Philippe abdique. En quelques heures, un gouvernement provisoire formé de républicains est constitué et se met au travail, son projet est d'installer une seconde République.

Deux mois plus tard, le 23 avril 1848 ce sont les élections d'une Assemblée Constituante, les républicains ont 500 députés, les conservateurs monarchistes 290 et les républicains radicaux et socialistes 90. Cette chambre qui est républicaine proclame le 4 mai la II e République. De grandes fêtes se déroulent à Paris.
Les républicains modérés sont au pouvoir avec Arago, Marie, Garnier-Pagès, Lamartine, et Ledru Rollin.

Mais la liesse populaire ne dure pas et le 26 juin éclate une révolte ouvrière à Paris à la suite de la fermeture des Ateliers nationaux. Deux jours s'écoulent et le pouvoir échoit au ministre de la guerre, Cavaignac. Il est nommé chef du pouvoir exécutif car il faut calmer les émeutiers.
Dans les jours suivants, une date importante pour la suite des évènements concernant les Mariannes : la loi du 28 juillet, interdisant les sociétés secrètes quant aux discussions politiques autorisées et elles étaient contrôlées.

Après la promulgation de la II e République, ce sera dans la foulée des législatives, les élections présidentielles qui vont opposer Cavaignac avec Louis Napoléon Bonaparte. Le 10 décembre 1848, Louis Napoléon Bonaparte est largement élu Président de la République par 5,5 millions de voies contre 1,5 millions à son adversaire principal, Ledru-Rollin ne récupérant que quelques voix…

Une République de droite !

La République qui est issue des élections au suffrage universel de 1848 est très modérée, elle est du côté de l'Ordre. L'exception locale, c'est Félix Pyat, un homme politique de Vierzon. Il est journaliste et dramaturge. Il fut l'ami de George Sand, elle même très liée à Ledru-Rollin (Photo).

C'est sans doute à cette époque que se forme et se forge un Berry qui devient à gauche, "socialiste" pour prendre une terminologie actuelle. C'est le début d'une véritable et forte conscience du monde ouvrier qui se développe à Vierzon, puis à Bourges et dans tout le Berry, comme la région de Saint-Florent-sur-Cher ou la vallée de l'Aubois.

L'action de Ledru-Rollin et de ses amis, c'est de communiquer ses idées non seulement dans le monde ouvrier, mais dans le milieu rural qui est encore largement majoritaire en Berry à cette époque. C'est ainsi que Ledru-Rollin a constitué des comités dits de Solidarité française.

En février 1848, la République triomphe et chacun se déclare Républicain, alors que sous se vocable se cachant des options assez différentes. On va jusqu'à retrouver parfois les accents de la Grande Révolution, celle de 1789. On plante des arbres de la Liberté, pour se donner du courage face à ces défilés du peuple de Paris qui effraye nombre de gens, bourgeois ou plus simplement amateurs de l'Ordre. Les drapeaux rouges qui apparaissent dans les rues de faubourgs de Paris sont perçus comme des provocations.

Après la victoire de la droite aux différences élections de 1948 à 1951, les Comités de solidarité sont interdits et comme souvent en pareille occasion, ils sont remplacés par des sociétés secrètes. Ce sont ces sociétés qui prendront le nom de Mariannes.

L'Assemblée nationale refuse, en juillet 1851, de modifier la Constitution permettant au Président de la République de postuler pour un second mandat. Cela ne fait pas l'affaire du Prince-Président.

Alors à une date anniversaire mythique pour le clan Bonaparte, le 2 décembre 1851, des affiches apparaissent dans Paris, l'Assemblée nationale est dissoute par le Président de la République, le suffrage universel est rétabli, et une nouvelle constitution devra être rédigée.
C'est un coup d'Etat. Des parlementaires sont arrêtés comme Thiers, et les soldats occupent Paris. Quelques soulèvements éclatent, mais la répression est la plus forte.

La logique du combat des Mariannes

On se retrouve en face de deux logiques, issues essentiellement des évènements de juin 1848. D'un côté les émeutes éclatent surtout à Paris pour mettre en place une république sociale et démocratique, et en face c'est la peur panique, et la crainte du retour aux souvenirs les plus sombres des excès de la Révolution de 1789.

Comme souvent, " face à la rue " qui ne peut être canalisée, les élections donnent le pouvoir à l'ordre, et le premier travail des élus est lutter contre ce qui apparaît subversifs et qu'il faut écraser.
C'est ce qui se passe le plus légalement du monde, avec la suppression de la liberté de la presse, la liberté de parole, ou celle de tenir des réunions…. Etc et ainsi toute manifestation venant de l'opposition tombe sous le couperet de la loi.

Pendant une courte période, il est vrai, les partisans de la République sociale sont sonnés, et pour reconstituer leur mouvement, il leur faut trouver d'autres voies, moins visibles et il faudra plusieurs mois pour que les préfets et autres procureurs signalent à nouveau quelques agitations, peu visibles dans le pays profond.

Les Mariannes seront dans les composantes de cette résurrection des partisans de la république sociale.

La société des Mariannes

Dès 1850, dans ce contexte d'une droite triomphante, les partis et militants d'une république "démocratique et sociale" se dressent pour inverser la tendance et gagner les futurs élections prévues en 1852.
Leur chef de file est alors Ledru-Rollin battu par Louis Napoléon aux présidentielles de décembre 1848. Il a la faveur de nombreux berrichons, en particulier dans le Boischaut et à Vierzon. Mais toute victoire ne peut passer que par l'adhésion des campagnes à une république plus sociale. L'interdiction des comités de solidarité de Ledru-Rollin, a pour conséquence leur modification en sociétés secrètes et c'est le début des Mariannes.

L'objectif de ces sociétés est principalement d'obtenir le pouvoir par des moyens légaux, c'est à dire par des élections.
C'est à cette époque que des sociétés secrètes se constituent un peu partout en France, et en particulier celle dite des Mariannes. Pour Pelloille, c'est en juin 1851 que les responsables locaux du Cher commencèrent à enquêter sur les milieux qui étaient particulièrement opposés à Louis Napoléon dont le coup d'Etat semblait imminent.
Comme souvent, les autorités recherchent la tête pendante des Mariannes et de leurs mystérieux dirigeants de Londres.

Les animateurs du réseau ne furent jamais découverts, la tradition voulait que " l'impulsion venait des réfugiés de Londres par le truchement d'émissaires parisiens ". En fait aucun responsable ne semble avoir été inquiété.

 

 

 

Du côté de la Nièvre à Clamecy

Si dans le Cher, les documents sont assez difficiles à rassembler, chez nos voisins de la Nièvre, c'est plus simple.
Ainsi à Clamecy, 6000 habitants, après la proclamation de la République en 1848, deux courants s'opposent parmi les bourgeois modérés. Et un courant révolutionnaire fut projeté au devant de la scène avec des gens comme Guerbet, un avocat reconverti dans la quincaillerie et il faut noter qu'ils se réunissaient dans un café, celui des Colonnes qui abritait la loge maçonnique elle aussi fondée par Guerbet.
Ils étaient en relation avec Paris et Lyon, mais surtout avec Auxerre, nous rappelle Simone Waquet. Leur propagande était assez efficace, en particulier vers le monde rural, majoritaire à l'époque et ces idées "démocratiques et socialistes" devenaient un espoir pour beaucoup de paysans, qui attendaient "la République des Petits", ils utilisaient aussi d'autres expressions comme "La Belle" ou encore "La Sarclée", autant de mots qui faisaient peur aux hommes d'ordre de la région.
Dans la région de Clamecy, les Mariannes comptaient 300 "frères".
Mais ce qui est curieux, c'est que ces "rouges" comme on disait alors ne voulaient pas prendre le pouvoir par les armes, ils n'en avaient pas, mais par les urnes, et la propagande avait pour but essentiel de gagner les futures élections présidentielles de 1852.
Les hommes des Mariannes, dans la Nièvre, étaient jeunes, Eugène avait 28 ans, Numa 27 et le plus vieux était Guerbet qui avait 37 ans.

 

Les premières répressions d'octobre 1851

A partir de juin puis à l'automne 1851, les Républicains s'inquiètent de l'attitude du nouveau Président, et dans le département du Cher, déjà vu comme un fief de "rouges", la propagande républicaine se développe.

C'est le cycle de l'insurrection, des arrestations, des manifestations, de l'arrivée de la garde nationale…. Etc

On ne peut s'empêcher de penser aussi aux provocations, car les émeutes qui éclatent dans la région de Précy, Jussy-le-Chaudrier et Beffes à partir du 10 octobre 1851 à la suite de l'arrestation de plusieurs démocrates sans beaucoup de preuves. Le résultat, c'est l'action rapide et très forte dans tout le secteur de Sancerre à Nevers, vers les bords de Loire avec des troupes et de la garde nationale.
Le 21 octobre, alors que rien ne s'est passé, sinon quelques incendies assez classiques et plutôt mystérieux, la région entière est occupée par l'armée et l'état de siège est proclamé dans les deux départements du Cher et de la Nièvre.

On note des rapports alarmants du procureur général de Bourges, Eugène Corbin qui évoque la misère ouvrière et la détresse des paysans qui sont dit-il de "mauvaises conseillères".
Corbin semble-t-il avait réussit à infiltrer une "taupe" chez les Mariannes de la Nièvre, un dénommé Moyeux, qui était employé aux Chemins de Fer de Lyon, fut arrêté, et "retourné et il fit un tableau précis et saisissant des "troupes démocrates socialistes", qui étaient prêtes à descendre dans la rue dès le premier signal.
Il fallait donc que ce département de la Nièvre, particulièrement "rouge" soit maté et les Mariannes démantelées.

A la tête des "insurgés", nul leader, pas beaucoup de troupes sinon des gens munis de fourches et parfois de fusils qui se rassemblent pour faire délivrer leurs camarades arrêtés. Mais parmi l'armée, un procureur de la République officiant à Saint-Amand, Boin était parmi les plus zélés pour procéder aux arrestations.

En quelques semaines, le Cher presque en entier prit parti pour les insurgés, et la répression se mit en route.
La vente des journaux est interdite et les lieux de rencontres sont fermés.

Carte des Mariannes dans le Cher

Dans un document des Archives départementales du Cher, on trouve ce rapport :

" Un certain Maurice Vincent, de Bué dans le Cher, qui avait apporté le fusil pour recevoir le serment des initiés a fait des aveux qui ont amené l'arrestation du dénommé Fer, taillandier à Sancerre. Cet inculpé a été admis à la Marianne chez le sieur Dugenne, médecin à Sancerre, qui présidait la réunion. Il a désigné le nom de tous les présents et signalé les principaux membres de l'affiliation en faisant connaître leurs projets abominables d'assassiner les bourgeois pour se partager leurs biens ".

De la même façon, le rôle des délateurs devient prépondérant, en particulier à Bourges, c'est ainsi que le préfet du Cher écrit au procureur général :

" Le 30 septembre dernier, à un banquet mutualiste de Cosne où se trouvaient les sieurs Gimonet , président de la société de secours mutuels de Bourges et Foucher, horloger ont déclaré que tous leurs membres appartenaient aussi à la société secrète de Bourges. Ils ont précisé que celle-ci comprenait 900 adhérents ".

Reconstitution des années 1850 à Panette

Et comme souvent dans les périodes troubles, les lettres anonymes arrivent à la gendarmerie ou au procureur, comme celle concernant l'instituteur de Précy qui est déclaré avoir "tiré un poignard de sa poche… qu'il le réservait pour les riches ! ".

Un peu plus tard, le 11 octobre 1851, c'est de Précy que vient la révolte. Au petit jour, les gendarmes à cheval viennent arrêter deux " agitateurs " comme ils le disent alors. Ils doivent suivre les gendarmes, et parmi ces deux personnes se trouve l'ancien maire de Précy qui a été révoqué et qui jouissait d'une grande estime de la part des habitants de la région.
Rien ne se passa immédiatement mais quelques heures plus tard, ce fut la rébellion et les habitants firent sonner le tocsin de la révolte. Ils voulurent aller vers Sancerre armés de fourches, de sabres, de pistolets et de vieux fusils… Ils voulaient délivrer les deux prisonniers. Mais lorsque les émeutiers se rendirent compte qu'ils " avaient pris les armes ", et que la troupe arrivait de Bourges ils se dispersèrent sans aucun coup de feu… mais furent rattrapés et arrêtés, par des artilleurs " dans le bois de Précy, après une lutte dangereuse contre un homme armé d'un fusil chargé ".

Quelques cinq semaines plus tard, c'était le coup d'Etat de décembre 1851. Les troubles se poursuivirent encore plus violemment et cette fois des chefs républicains comme Michel de Bourges sont arrêtés et d'autres déportés.
Dans une vingtaine de départements ce seront des révoltes et des émeutes envers ce coup d'Etat.

Michel de Bourges

Avec le coup d'Etat du futur Napoléon III, ce fut le renforcement de la législation anti-républicaine avec un décret daté du 8 décembre 1851, qui va conférer aux préfets le pouvoir d'agir par voie administrative à l'encontre des membres des sociétés secrètes.

Ces gens seront considérés comme des repris de justice en rupture de ban.

 

 

 

 

 

 

Le fonctionnement des Mariannes

C'est sans doute la suppression des associations et des libertés qui va permettre à cette société des Mariannes de se développer.

Pour Suzanne Portier, il s'agit "d'une franc-maçonnerie populaire" qui recrute ses adhérents dans tous les milieux de la société.

Cette société des Mariannes fonctionne effectivement un peu comme la franc-maçonnerie qui date du début du XVIII e siècle ou des carbonaris, plus récente. On trouve donc des rites, des emblèmes mais aussi des mots de passe et des signes de reconnaissance. Comme toute société initiatique, il y a aussi des épreuves pour entrer.

 

Le procureur Eugène Corbin évoquera ce type de cérémonial sans que l'on sache avec précision si cela lui a été décrit avec précision par des adeptes de la société secrète ou si c'est pour étayer sa thèse du complot :
" Dans le silence des nuits, au fond de quelque bouge, au coin d'un bois ou sur la lande déserte, comparaissaient ouvriers et paysans circonvenus par d'insidieuses promesses ou d'audacieux mensonges……
Le bandeau sur les yeux, s'engageant sans le savoir sur des questions qu'ils ne comprennent pas, ils en viennent à des serments horribles qui ne sont que blasphèmes et souillures…..
Les voilà qu'ils jurent, la main sur le poignard et le fusil, on leur dit : tu seras à nous à la vie à la mort… tu renieras s'il le faut ton père , ta mère, tes enfants…. Vive la République démocratique et sociale… Et ils ont dit oui.

Puis quant le bandeau s'abaisse, fusils et baïonnettes menacent leur poitrine !
Ils ont juré tout est dit, l'insurrection les compte parmi les fidèles "

On retrouve dans ce récit de Corbin plusieurs aspects de l'initiation maçonnique de l'époque et d'aujourd'hui, ce qui ne doit pas surprendre.

Alors que la Franc-maçonnerie est " bourgeoise ", les Mariannes se caractérisent par la présence d'un grand nombre de ruraux qui n'étaient pas très bien instruits, mais qui possédaient une parfaite connaissance du terrain.

Leur organisation était très poussée, on trouvait des décuries, des centuries, mais aussi des rites, des mots et signes de reconnaissance, c'était en fait assez proche de la franc-maçonnerie qui était à cette époque parfaitement bien encadrée et très embourgeoisée un peu partout en France… Sauf dans le Cher.

Pelloille, membre influent de la Société historique du Cher, écrira en parlant des Mariannes que " cette franc-maçonnerie ne tenait pas d'archives, pour mieux échapper sans doute au dépistage, mais peut-être aussi à cause de l'analphabétisme de beaucoup de ses membres ".

Dans les Mariannes, les cadres étaient issus de l'artisanat et même de la bourgeoisie. Ils avaient mis en place une organisation de type militaire, on dirait milicienne, formée de gens du peuple, et venant des campagnes. De nombreux "initiés" étaient des gens modeste de la campagnes, peu lettrés et certains comme toujours "avaient de la gueule", un peu de vantardise et dans les cabarets, après quelques libations, ils refaisaient le monde, évoquant sous couvert, le secret des réunions, et la prochaine grande peur, on aurait pu dire "le grand'soir" que certains fixaient à 1852 !

Toujours selon Corbin, dans leurs réunions des Mariannes, on discute, on lit, ou on fait la lecture des journaux clandestins à ceux qui ne savent pas lire, et Corbin d'ajouter :
"On commente tout ce que la presse clandestine vomit de plus infâme, ils fredonnent d'atroces refrains en l'honneur de la guillotine….
C'est là qu'après boire, entre frères, on se promet qui le château, qui les bois et les terres, qui la tête du riche ou du bourgeois.
Là tout est mystère parce que ne s'y élaborent que des pensées suspectes ou des desseins coupables."

Pour les partisans de l'Ordre c'est à dire les procureurs Corbin et Boin, ces conspirateurs sont particulièrement dangereux. Ils ont une vision terrible de ce qui pourrait se passer :
"… Au premier mot d'ordre les bandes se jetteront à travers les campagnes tremblantes, courant aux armes de gîte en gîte, forçant les maisons, ralliant au son du tocsin et sous la menace des fusils incendiant les maisons, violentant les filles et les femmes…"

Telle était la vision à Bourges et dans le Cher de la crainte d'une jacquerie qui arrive à grand pas et provoque une vraie panique.


Le mystère ?

Que fut l'action des Mariannes ? En fait on n'en sait pas grand chose. L'incendie des Archives départementales du Cher en 1859 fit perdre une grande partie des documents locaux. D'autre part, les archives de cette société devaient être réduites à leur plus simple expression car beaucoup des membres venant des campagnes étaient peu instruits et parfois analphabète.
Les seuls documents historiques proviennent des écrits de la police, des procès et des déportations, ce qui n'est pas très favorable à une objectivité sur cette société.

Ainsi dans la majorité des cas, aucune charge ne sera trouvée pour condamner les membres des Mariannes, alors, les représentants de l'Etat mettront en avant le décret 8 décembre 1851 qui sera rapidement appliqué " à tous les hommes hostiles au gouvernement ", et en France ce sont près de 30 000 personnes qui auront été arrêtées.

Dans les instructions complémentaires, il fut dit que l'on pouvait condamner ceux qui " par leurs actes, paroles, menées, avaient, même antérieurement au 3 décembre, préparé la population au désordre, au mépris du principe d'autorité à la haine et à l'envie contre les classes riches ".
Pour que les procès ne puissent pas s'éterniser, un nouveau décret du 18 janvier 1852 va instituer les Commissions militaires.

Ce qui est certain et les chiffres font froid dans le dos, c'est que l'on comptera environ 1200 arrestations pour l'ensemble du département du Cher. Cela concerne certains lieux comme Saint Amand, Sancoins et la Guerche. Deux Commissions militaires sont installées à Bourges, elles sont présidées par un colonel d'artillerie pour l'une et un colonel de gendarmerie pour l'autre.

A Toulon, vers le bagne en Algérie.

Les membres des Mariannes sont " jugées ", c'est à dire classées en catégories, le conseil de guerre pour les crimes, les tribunaux criminels pour les pillages et les incendies, la déportation à Cayenne, l'emprisonnement en Algérie et enfin, l'expulsion de France.

Les archives des Commissions militaires montrent selon Pelloille l'arbitraire des propositions de classement, et les membres des Mariannes furent très lourdement condamnés. Pour le Cher, on note 709 condamnés, alors que dans le département voisin de l'Indre il n'y eu que 82 condamnations.

Sur les déportations, on a quelques chiffres partiels, ainsi le 25 février 1852, un convoi de 49 détenus quitta Bourges pour Paris puis la déportation en Guyane ou en Algérie.
Ensuite, on note des convois de 70 personnes, puis 32 toujours pour l'année 1852.
Il est difficile d'avoir des chiffres fiables, mais il semble que l'on soit certain de 20 condamnés déportés à Cayenne et une centaine en Algérie, souvent des ouvriers, bûcherons et autres artisans.

Lorsque l'Empereur se marie, c'est le temps des grâces et 288 recours furent demandés pour les déportés du Cher. Le préfet d'alors, une fois n'est pas coutume demandera une "large amnistie" pour les condamnés. Mais ce ne sera fait que beaucoup plus tard en 1869.

Le Procureur général Corbin, sans doute inquiet des débordements de la justice expéditive, fit un rapport au garde des sceaux dénonçant le fonctionnement des Commissions militaires et il fut reçu en audience par Louis Napoléon, lequel fut surpris de ce type de comportement de la part de " sa " justice, et visiblement ou par calcul dit qu'il ne connaissait pas tous les agissements de Morny !

Mais la visite ne sera pas restée longtemps inutile, un décret du 2 février substituera les Commissions militaires par des Commissions départementales mixtes. Ce fut pour beaucoup un soulagement, et c'est ainsi que sur les 1200 personnes arrêtées pour ces faits dans le Cher, 290 furent qualifiées " d'égarées " et bientôt libérées, il ne resta alors pour les nouveaux tribunaux qu'environ 940 personnes arrêter et à juger.

De ce que l'on sait aujourd'hui, c'est que la plupart des condamnés le furent par rapport à des intentions, et rarement par rapport à des faits. Les peines furent particulièrement lourdes.

Conclusion sur les Mariannes

Ainsi, les Mariannes furent une réponse des républicains démocratiques et sociaux face aux interdictions de toute sorte du pouvoir en place. L'objectif était d'entretenir l'ardeur républicaine dans le monde rural afin de reprendre légalement le pouvoir par les urnes lors des prochaines élections de 1852. Leur seul moyen pour atteindre cet objectif, c'est la société secrète puisque les autres moyens d'information ou de propagande sont interdits.
Il semble que l'on soit en face d'un événement largement occulté dans notre histoire locale, sans doute parce que les conséquences furent assez terrible sur la suite de l'évolution politique du département du Cher et de Bourges.
La terrible répression qui s'ensuit est provoquée par la crainte sans doute immodérée d'une nouvelle "grand'peur" avec le zèle de quelques personnages locaux qui étaient partisans de l'Ordre mais qui avaient sans doute besoin de se faire pardonner quelques paroles prononcées au cours des années précédentes.
Ainsi, lorsque la République est proclamée en 1848, le procureur de Saint-Amand, Boin, en compagnie de Félix Pyat vient à Jouet et déclare devant la foule : "C'est au prix de votre patriotisme que vous avez conquis… la République"
Moins de trois ans plus tard, Boin sera un des deux personnages les plus zélés pour arrêter et déporter ces mêmes personnes.

Evènement occulté par manque de sources d'informations, car une "société secrète", est une société sans doute peu recommandable avec une mauvaise réputation dans un pays de culture judéo-chrétienne.
Et puis, les édiles locaux ont sans doute vu que la répression était allée trop loin. Pour M° Henri Brisson, trente ans plus tard, il s'exprime ainsi :
" La Marianne, selon moi, était une machine de guerre montée par les fauteurs du 2 décembre, à la fois pour effrayer les conservateurs et tenir dans la main les républicains les plus énergiques ".

Une fois tout cela terminé quelques hommes prirent, dans une atmosphère apaisée, des positions plus conformes à la réalité. C'était le cas du procureur général de Bourges et du Préfet qui dirent ainsi :
" Après tout, s'il y a eut manifestation insurrectionnelle, tout avorta sans coup férir et sans qu'ait été constaté aucun brigandage ".
Il ajoutera aussi dans un rapport du procureur général de Bourges au garde des sceaux " que le dessein des instigateurs avaient été déjoués, avant toute intervention de la force armée, à cause de l'effet de surprise mais aussi du manque de concert et de la timidité des insurgés "

Le Préfet aura une attitude semblable, il écrira au Ministre de l'Intérieur :
" La justice des commissions mixtes ait été égarée par des renseignements dont la cause pourrait bien avoir un caractère de rivalité locale, plutôt qu'une signification politique ".

Ce sont donc 1200 personnes qui auront été arrêtées dans le département du Cher, et dans toutes les couches de la société, dans le milieu ouvrier, bien qu'encore faible en Berry en 1850, mais aussi chez les artisans et les paysans. En fait, tout le monde est concerné.

 

Les Républicains qui rêvent d'un "Grand Soir" démocratique, sont pour la plupart emprisonnés et parfois déporté, alors qu'ils n'ont rien fait, sinon un peu de propagande pour eux, c'est véritablement l'injustice suprême.

En conséquence, face à cette répression, considérée comme injuste, le Berry va entrer sur le plan de la lutte ouverte ou secrète, dans une léthargie pendant un certain nombre d'années.
L'épisode de la Commune n'aura que peu d'écho en Berry, qui reste étranger à ce qu'il s'y passe, et plus surprenant, les pompiers de Bourges refusent d'aller aider leurs camarades parisiens à éteindre les incendies de la capitale.

Le pouvoir local, dans Bourges et le Cher sera désormais placé entre les mains des bourgeois locaux, conservateurs, alors que les milieux plus à gauche mettront beaucoup de temps pour s'en remettre.
Lorsque commence l'industrialisation de Bourges et du Berry, les concentrations d'ouvriers dans certains quartiers de Bourges comme à Mazières, mais aussi à Torteron, Rosières et surtout Vierzon font l'objet d'une surveillance continue des responsables locaux, les conservateurs au pouvoir local, ayant toujours à l'esprit les Mariannes et autres sociétés secrètes.

Le Berry s'enfonce alors dans un art de vivre sympathique, mais à l'écart des transformations industrielles jusqu'à la fin du siècle et l'arrivée des industries d'armement.
Chacun travaille son attachement aux traditions, et les chantres du Berry, les Jean Baffier et autres Rollinat montrent une région en marge, comme repliée sur elle-même.

La répression des Mariannes, si injuste soit-elle, a touché de très nombreuses familles. Dans les campagnes et les villes, chacun a eu un parent, un voisin, une connaissance qui s'est retrouvé prisonnier en Algérie, et les traces sont restées. Entrer dans une société plus ou moins secrète devenait en Berry un thème qu'il fallait manier avec la plus extrême prudence.

 

Le bagne de Cayenne devenu une " attraction touristique ".

Enfin, le grand vide de la Franc-maçonnerie dans ces années dans le Cher, qui fera l'objet du chapitre suivant, il faut savoir que la première loge de la III ieme République dite parfois "République des francs maçons" avec Gambetta, Jules Ferry ou Victor Schœlcher se nomme Travail et Fraternité et elle date de …….1903. C'est sans aucun doute le contrecoup de la répression des Mariannes.

 

 

 

 

 

L'ultime énigme

Quant à l'ultime énigme sur le sujet, ce n'est pas l'Histoire des Mariannes, mais l'occultation des historiens de ce sujet.
Lorsque j'évoque parfois au cours de conférences, cette société des Mariannes, il est très exceptionnel qu'une seule personne de l'assistance, parfois fournie, lève le doigt et réponde à la question " oui, j'ai entendu parler des Mariannes ".

La plupart du temps, c'est le silence absolu, et plus grave encore, lorsque cette Histoire des Mariannes est développée, cela ne rappelle rien à personne. C'est comme si cette aventure avait été totalement occultée dans la mémoire des Berrichons du Cher.

Il n'y a eu aucun ouvrage sur le sujet avant 2007, seulement une ou deux fascicules anciens, datant du XIX e siècle, et surtout rien pendant le XX e siècle. Pourquoi ce silence dans le Cher ? Est-ce la honte, le remord, les regrets ? Nul ne sait.

Dans son " Histoire de Bourges ", Emile Meslé a écrit en 1983, " qu'après la révolution de 1848, face aux clubs naissants qui tentaient de propager des idées

nouvelles, un mouvement de réaction s'organisa dont l'aboutissement fut la constitution des fameuses " Commissions Militaires Répressives ".

 

 

 

Et Meslé de conclure : " A Bourges, le magistrat Eugène Corbin se distingua particulièrement dans cette chasse aux sorcières ".
Ainsi, même dans cet ouvrage de référence, les mot " Mariannes " et " société secrète " ne sont pas prononcés, Rappelons que Eugène Corbin (1801-1874) fut un magistrat et un homme politique, procureur général à Bourges entre 1849 et 1852 et ensuite premier président de la Cour d'Appel de Bourges (1852-1870).
Il a été Ministre de la Justice pendant une semaine, du 26 octobre 1851 au 1er novembre 1851 dans le Gouvernement de Louis-Napoléon Bonaparte.

Pourquoi les Berrichons du Cher refusent-ils cet aspect de leur Histoire, même si la vérité est difficile à entendre ? C'est encore une énigme.

 

 

Reconstitution de la visite de Napoléon III à Bourges par Bourges XIX ième.

 

 

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