Parmi les projets qui tenaient à
coeur le maire Henri Laudier , il en est un qu'il va mener à
bien avec une fougue toute particulière : c'est la mise
en oeuvre d'une Ecole Nationale Professionnelle pour Jeunes Filles.
Ce premier établissement s'ouvre
pour la première fois le lundi 14 octobre 1929, avec deux
semaines de retard par rapport aux prévisions. L'aménagement
des locaux n'était pas terminé le premier octobre.
Bien sûr, tout n'est pas en état, mais comme le
rapporte la presse, "les parties indispensables au fonctionnement
des cours et des services sont finies, et c'est l'essentiel".
Le personnel enseignant est là, au complet ; les cours
dans cette nouvelle école ont une durée de 4 ans,
et cette année, il n'y aura qu'une première et
une troisième année, "les exigences des études
ne permettaient pas de faire mieux". Ce n'est qu'à
la rentrée de 1930 que les quatre années seront
pourvues. L'école se donne pour objectif de former des
jeunes filles à la vie professionnelle ; signalons parmi
les premières classes, le début de la section des
aides-chimistes.
Le journaliste de la Dépêche
du Berry qui écrit quelques lignes sur le sujet termine
par cette belle envolée :
" Le bel et vaste établissement de la rue de Dun
est devenu une véritable ruche où règne
le labeur fécond".
Cette fois encore, pour Laudier et son
équipe municipale, ce fut un travail acharné.
Les premières esquisses de ce qui
deviendra une Ecole Nationale Professionnelle de Jeunes Filles
remontent à 1922. Le maire décrète alors
le 15 juillet que les sections industrielles et commerciales
de l'Ecole Primaire Supérieure (E.P.S.) existant à
Bourges pour les jeunes filles ont déja été
transformées en Ecole Pratique, c'est donc un "acheminement
vers une nouvelle orientation". La question des types d'enseignement
est posée, si sur le plan industriel et commercial, il
n'y a aucun problème, pour l'enseignement agricole, lequel
dépend du ministre de l'Agriculture, rien n'est acquis.
Pour Henri Laudier :
"Nous aurions une Ecole Professionnelle de jeunes
filles qui comprendrait une section d'enseignement général...
En somme cela se passerait comme à Vierzon, avec un internat,
la question du local sera à examiner. On songe à
l'immeuble du Petit Séminaire Saint Célestin, offert
par le Département à l'Etat".
Comme souvent, les aspects financiers vont
perturber l'installation rapide de la première école
de ce type en France. En 1925, Laudier, dans son examen de la
situation municipale à la veille des élections,
signale que "l'accord est absolument complet entre la Ville,
le Département et l'Etat ; si il n'y avait pas eu un retard
dans le vote du budget, les travaux seraient commencés...".
Le coût prévu pour les frais d'installation sont
de 2 millions de francs dont 600 000 francs correspondant à
la participation de la ville. Tout va donc pour le mieux dans
le meilleur des mondes berruyers, lorsque se produit un véritable
coup de théâtre au mois d'août 1926.
Henri Laudier, l'air grave et solennel, ouvre la séance
du conseil municipal le 28 août 1926 par ces mots :
" Contre tout bon sens, et à
l'encontre de tous nos espoirs, le Conseil Général
vient de décider le transfert de l'Asile d'incurables
à Saint Célestin, nous privant ainsi de réaliser
immédiatement la création de l'Ecole Nationale
professionnelle de jeunes filles, décidée par la
loi de finance du 13 juillet 1925".
Il poursuit par des explications précises
:
"Cette décision que rien ne laissait prévoir,
après cinq années de laborieux efforts en commun,
retentira douloureusement au coeur des Berruyers. Et cependant
nous pouvons nous rendre cette justice que nous n'avons ménagé
ni notre temps, ni notre peine, ni les deniers de la Ville pour
arriver à concilier des intérêts qui n'avaient
rien de forcément inconciliables, puisque pendant cinq
ans, le Conseil Général et le Conseil Municipal
avaient parfaitement marché unis dans cette question".
Et c'est le bras de fer entre les deux
institutions. Le maire reconnaît que la position du ministre
des Finances vis à vis de l'Assemblée Départementale
sur les modalités de remboursement dans les travaux d'appropriation
n'a pas été sans influence sur la décision
prise, mais en fait, par cette décision, c'est le refus
de toute marche en avant. Les mots dépassent parfois la
pensée, lorsque Laudier évoque les vieillards incurables
qui seront logés princièrement dans un bel immeuble
alors que la jeunesse studieuse se trouve sacrifiée.
C'est ensuite le rappel de ce que devait être une grande
école, avec trois à quatre cents pensionnaires,
venant de tout le département, et Bourges, cité
"déshéritée" en a bien besoin.
Sur les aspects financiers, la ville de Bourges récuse
les bonnes raisons avancées par le Département
en faisant valoir que la ville a accepté de donner 510
000 francs au Conseil Général, en provenance du
Pari Mutuel.... qui, à l'époque servait à
construire des écoles !
C'est la guerre dans le département
entre les différentes instances. On parle d'une démonstration
d'hostilité de la part des conseillers généraux,
et le maire réfute un à un les arguments de ses
opposants du Cher. Il parle du faible coût de l'entretien,
de la solution pour les incurables, et enfin de la gestion très
légère du département.
Devant l'émoi des milieux politiques, la population ne
semblant pas avoir manifesté beaucoup d'intérêt
dans cette querelle, même si la délibération
du conseil municipal en la matière est portée à
la connaissance du public par affichage, les démarches
de Laudier vont reprendre.
A la fin de l'année 1926, l'accord
intervient à nouveau avec le département. En fait,
la Ville s'engageait à payer la différence entre
la somme réclamée par le Département : 876
000 francs et celle remboursée par l'Etat : 636 000 francs
soit 240 000 francs. De plus, la Ville abandonnait ses droits
sur la caserne Vieil-Castel, dans le cas où le département
déciderait d'y installer son Asile d'incurables ; et enfin,
ne reculant devant rien pour "son école", Laudier
acceptera d'aider financièrement le département
dans le cas où il désirerait construire un nouvel
Asile au Lautier. Ainsi, la crise était-elle terminée
au début de 1927 et les travaux pouvaient commencer rue
de Dun. Laudier avait dans cette affaire fait preuve de beaucoup
de pugnacité, mais il avait accepté les conditions
posées par le Département.
C'est ainsi que Bourges possèdera
à la rentrée d'octobre 1929 la première
Ecole Professionnelle de la rue de Dun, pour Jeunes Filles ;
aujourd'hui, cet Etablissement est devenu le lycée Jacques
Coeur ; il forme toujours des milliers
d'étudiants dans l'enseignement général,
mais aussi et surtout professionnnel.
Parmi les professeurs qui officieront dans cette école,
figure Simone Weil. Cette grande philosophe, disciple
d'Alain eut une vie peu ordinaire. Agrégée de philosophie,
elle entre comme ouvrière chez Renault... avant de participer
à la guerre d'Espagne dans les brigades internationales.
Elle meurt de tuberculose pendant la guerre en 1943 après
avoir rejoint de Gaulle à Londres. L'ensemble de son oeuvre
ne sera publié qu'après-guerre.
Bulletin Municipal Officiel de
1922 à 1926