Le Front Populaire de 1936 - Roland Narboux - Bourges encyclopédie

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LE FRONT POPULAIRE A BOURGES
Par Roland NARBOUX

Le Front populaire de 1936 reste encore présent dans toutes les mémoires des "anciens" de Bourges, ville industrielle.

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Version 2009

 

Il y a eu près de nous Mai 68, mais 1936 représente pour les plus anciens, un immense espoir avec le Front populaire, une Révolution pacifique en quelque sorte.

Le contexte national :

Outre la crise économique qui se développe en France, le malaise politique s'accroît ; les scandales financiers, la "valse des ministères", la compromission d'hommes politiques, tout ceci aboutit en 1934, à une vague d'antiparlementarisme, bien relayée par les ligues de droite et d'extrême droite. Les émeutes du 6 février 1934 voient la République vaciller. L'Affaire Stavisky prive le radical Daladier de la Présidence du Conseil, et c'est un gouvernement modéré allant de Tardieu à Herriot qui tient le pouvoir, sous l'autorité de Gaston Doumergue. Ce gouvernement qui "penche bien à droite" ne réussit pas à résoudre la crise économique.

Parmi les scandales et autres "affaires", il y eut l'assassinat du Conseiller Prince. Cette mort est toujours, en 1993, un mystère. Quelle relation entre cette mort et celle de Stavisky ? Nul ne sait. La mort d'Albert Prince est douloureusement ressentie en Berry. Cet homme de qualité avait en effet passé une partie de sa vie à Saint-Amand, comme juge, puis à Bourges dans les années 1910. Au Palais de Justice de Bourges, chacun gardait le meilleur souvenir de ce conseiller à la Cour d'Appel de Paris : il était un excellent magistrat. C'est aussi à Bourges que Prince se maria.....

Premières manifestations à Bourges

A Bourges, les événements de 1934 se traduisent par plusieurs manifestations. Le 9 février 1934, à l'appel des syndicats et partis de gauche, une grande manifestation est organisée Salle des Syndicats. A 17 H 30, ils sont 1 500 à lever le poing en l'air. Il y a en tête du cortège, Gatignon et Buvat. Le défilé passe devant la mairie, où Laudier est conspué, alors que les dirigeants entraînent leurs militants en face de la caserne Condé. A Bourges, depuis quelques jours, la mort de 6 soldats a été annoncée à l'hôpital militaire. Les causes ne sont pas très bien connues, chacun murmure qu'il s'agit de jeunes gens mal soignés et mal nourris ; c'est un scandale pour les Berruyers, et l'amalgame est assez vite fait avec les événements politiques.
Quelques jours plus tard, le 13 février, un important meeting se tient alors que la grève décidée par les syndicats n'est que partiellement suivie. Elles seront 4000 personnes à se rendre à la Halle au Blé, à l'appel de l'Union Départementale des Syndicats confédérés, et la participation des organisations de gauche. Plusieurs parlementaires sont présents : Cochet, Castagnez, Breton, ainsi que Georges Lamy, l'adjoint au maire de Bourges.
Ce sont les responsables syndicaux qui vont prendre la parole. Buvat, au nom de la C.G.T.U. préconise "l'Union dans l'action énergique à mener contre le fascisme et la réaction". Il termine son propos en attaquant violemment " les parlementaires dont les fautes ont ouvert la route au fascisme".
Puis ce sera le tour de Keyser pour l'Union des Syndicats Unitaires qui regretta qu'un orateur représentant le parti radical-socialiste puisse prendre la parole à ce meeting, "car ce parti à beaucoup à se reprocher". Devant les huées et les sifflets, le radical-socialiste ne monta pas à la tribune.
A partir de 1934, et jusqu'aux élections qui amèneront au pouvoir le Front Populaire en juin 1936, ce sera une longue marche vers l'Unité des partis de gauche.

A Bourges, c'est au cours de la journée du 14 juillet 1935 qu'un comité se forme pour promouvoir un Front Populaire. Un important cortège quitte la gare vers 15 heures 30 pour se diriger vers le centre ville. En tête, des drapeaux, rouges et tricolores, puis les dirigeants des 26 groupements représentés ; on remarquait le député Charles Cochet. Des jeunes filles vendaient des cartes postales ou des églantines rouges. Au passage devant le monument aux morts, Gatignon et Keyser déposèrent une gerbe sur laquelle on pouvait lire :


"Le front populaire aux victimes du capitalisme, pour la paix et le désarmement".

Le cortège se dirigera vers la Préfecture où huit orateurs prendront la parole après avoir remis une motion au Préfet M. Moulonguet. La dislocation eut lieu vers 17 heures, dans le calme : à Bourges, le Front Populaire était lancé.

De son côté, Henri Laudier organisa une journée "des Municipalités républicaines et socialistes" le 8 octobre 1935, à Bourges, dans sa mairie. Ils venaient de Mehun, Vierzon, Rians, Baugy ... etc. Il s'agissait de se rassembler pour montrer "leur attachement à un idéal qu'ils ont toujours fidèlement servi et leur ferme volonté de ne pas suivre les factieux ou les illuminés sur les chemins dangereux de l'aventure".
Entouré de 170 convives, le repas au Parc Saint-Paul sera servi, et se terminera par du Chavignol "qui remplit nos verres de sa chaleur vermeille et à porter un toast à la démocratie et aux municipalités républicaines et socialistes de notre Berry". En fait, Laudier ne se sent pas à l'aise dans cette gauche qu'il trouve extrémiste. Il se retrouve avec les plus modérés des socialistes qui ne veulent à aucun prix une alliance avec le Parti Communiste.

Les élections de 1936 a Bourges

Et en 1936, ce sont les élections qui amèneront le Front Populaire au pouvoir. A Bourges, dans la première circonscription, se présentent :
- Charles Cochet pour la S.F.I.O. député sortant élu en 1932
- Jean Autrand, toujours pasteur et homme politique de premier plan.
- Maurice Boin néo-socialiste exclu du Parti Communiste ; il est soutenu par Henri Laudier.
- Massé est présent dans cette course importante
- Gatignon, le communiste, a une véritable chance de l'emporter.

Autant la campagne de 1932 du Parti Communiste avait été terne, autant celle-ci, en 36, est dynamique. Le 25 mars, à 20 H 30, 700 personnes sont rassemblées pour écouter les orateurs du P.C. dont Gosnat, un adjoint au maire d'Ivry, ancien ouvrier révoqué des Etablissements Militaires de Bourges. Le rapport de Police, écrit à la suite de ce meeting, notera : " Le Parti veut une France libre, heureuse et forte, pouvant seule, éviter une guerre avec l'Allemagne..... Au cours de cette réunion, il n'y eut aucun contradicteur, et aucun incident".

Au soir du premier tour, les résultats font l'effet d'une bombe. Le député sortant Charles Cochet est "sorti" ; il se retrouve avec 4 193 voix, 95 de moins que le communiste Louis Gatignon ; de son côté, Massé obtient 3 838 voix. Et Cochet doit se désister pour le communiste, il écrira :

" Tous s'inspireront de l'appel lancé par les trois partis : radicaux et radicaux socialistes, communistes et socialistes afin que la victoire du rassemblement populaire soit plus complète.
Vive le rassemblement populaire".

Le second tour oppose Massé à Gatignon ; ce dernier, malgré la vague de gauche, est battu de moins de 300 voix sur 22 600 inscrits. Le P.C. prendra sa revanche dans la seconde circonscription de Bourges avec Cornavin qui sera élu très largement : il obtiendra plus de 11 000 suffrages alors que son adversaire n'en aura que 5 000.
Gaston Cornavin est un Berruyer né en 1894. Ce fut, d'après Pennetier, "le militant communiste le plus important du Cher pendant l'entre-deux-guerres". Issu d'une famille de militants, il quitte l'école après avoir obtenu le brevet élémentaire. En 1910, il entre comme apprenti aux Etablissements Militaires, "à la Pyro", pour reprendre le langage d'alors. Il fait du syndicalisme avant et pendant la Grande Guerre, puis en 1920, devient membre de la majorité socialiste et devient communiste. Cornavin se révèle un très grand orateur et aux législatives de mai 1924, il est propulsé, à la surprise générale, à la Chambre des Députés.
Cornavin deviendra après l'exclusion de Boin et la dérive de Laudier, le grand homme de la gauche dans le département du Cher.
A Saint-Amand et Sancerre, ce sont deux socialistes S.F.I.O. qui s'en vont siéger au Palais Bourbon : Lazurick et Castagnez.
Cornavin, au lendemain de sa victoire, écrira dans l'Emancipateur du 9 mai :
"Avec 72 députés notre Parti vient de remporter une triomphale victoire ! Dans Paris ont été élus 16 députés communistes, et le même nombre pour la banlieue.
L'effort inlassable fourni par notre Parti pour souder entre elles les masses laborieuses a abouti à ce magnifique résultat électoral, traduction précise de la volonté des travailleurs de mener, unis fraternellement, la lutte contre les 200 familles et leur politique de misère, de fascisme et de guerre.
Il va falloir appliquer sans tarder et sans faiblesse les lois qui visent au désarmement et à la dissolution des ligues fascistes dont nous avons apporté les preuves de leur préparation de la guerre civile".


Laudier à ce moment est dans une situation délicate. Il soutient "son poulain Maurice Boin", mais il n'est pas d'accord pour que le Parti Socialiste se mette "à la remorque du parti de Moscou", aussi la profession de foi de Boin comportera cette phrase : "... Après la scandaleuse exclusion du citoyen Laudier du parti S.F.I.O., qu'il avait créé dans notre département.... ".
Laudier se trouve très marginalisé dans sa propre ville.

Le premier gouvernement de Front Populaire

Au mois de juin 1936, le premier gouvernement du Front Populaire est formé avec des Socialistes et des Radicaux. Les Communistes soutiennent ce gouvernement "sans participation". Léon Blum devient Président du Conseil. C'est un immense espoir pour les ouvriers.

De manière plus concrète, dès les premiers jours de juin 1936, c'est le début des grèves dans l'ensemble de l'industrie et donc à Bourges. Les Etablissements Hanriot ont cessé le travail, les ouvriers ont été reçus par M. Huguet, Directeur Général, et le 5 juin, on "attend une réponse de la direction pour mettre fin au conflit". A Métal-Centre, un cahier de revendications a été transmis à la Direction. Le Directeur, M. Robelin a reçu une délégation, puis est parti pour Paris pour y prendre des initiatives : il est en effet Président du Syndicat Patronal des Fermetures. Les ouvriers, en attendant son retour... ont repris le travail. A Rosières, les ouvriers ont occupé l'usine ; le maire de Saint Florent, M. Martin est venu apporter son soutien aux grévistes et "les a invités à poursuivre le mouvement". Chez Billant à Bourges, c'est encore le calme, mais ça ne durera pas, deux jours plus tard, l'usine est totalement occupée. Devant la position intransigeante de la Direction, Henri Laudier intervient, il obtient que le Directeur reçoive quelques représentants ouvriers. L'accord est imminent, chacun espère qu'il sera aussi le même pour le personnel de Morthommier.

La grève est donc variable en durée et en intensité. Le caractère berrichon apparaissant, chacun reste calme et à sa place, sans excès ni débordement. En fait, tout se passe à Paris. Pendant le mois de juin, secteur par secteur, c'est tantôt la grève, tantôt la reprise. Ainsi, le 30 juin, on apprend que les coiffeurs, après avoir cessé le travail pendant une semaine, ont repris leurs ciseaux. Ce même jour, la grève dans le bâtiment n'est pas achevée, les discussions continuent.
Le commerce commence à souffrir, on achète moins, par exemple au marché du samedi à la Halle au Blé de Bourges.

La mise en oeuvre des grandes réformes sociales est lancée. A l'issue des accords de Matignon du 7 juin 1936, c'est à dire la revalorisation des salaires, les 40 heures, le droit aux congés payés, la liberté syndicale. "Cette victoire de la classe ouvrière", pour reprendre le vocabulaire de l'époque, va contribuer à apaiser les tensions... et ce seront les légendaires départs en tandem pour la mer avec les congés payés de juillet.
Un des grands symboles du Front Populaire se nommait Roger Salengro. Il s'est suicidé le 18 novembre 1936. Il était Ministre de L'Intérieur et Henri Laudier lui rendra un hommage émouvant et sincère :

"..... La calomnie l'a tué. Je m'incline respectueusement devant la tragique fin de Roger Salengro et je pense être l'interprète de l'Assemblée communale en l'invitant à partager ce sentiment. .... L'arme perfide et nocive au premier chef que constitue la calomnie a, certes, été de tous les âges, mais jamais elle n'avait encore atteint ce degré de raffinement et de cruauté".

Le Front Populaire ne durera pas, dans les premiers mois de 1937, Blum devra laisser le pouvoir à Daladier, avec un goût d'amertume de toute la gauche.

 

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