Il y a eu près
de nous Mai 68, mais 1936 représente pour les plus anciens,
un immense espoir avec le Front populaire, une Révolution
pacifique en quelque sorte.
Le contexte national :
Outre la crise économique qui se
développe en France, le malaise politique s'accroît
; les scandales financiers, la "valse des ministères",
la compromission d'hommes politiques, tout ceci aboutit en 1934,
à une vague d'antiparlementarisme, bien relayée
par les ligues de droite et d'extrême droite. Les émeutes
du 6 février 1934 voient la République vaciller.
L'Affaire Stavisky prive le radical Daladier de la Présidence
du Conseil, et c'est un gouvernement modéré allant
de Tardieu à Herriot qui tient le pouvoir, sous l'autorité
de Gaston Doumergue. Ce gouvernement qui "penche bien à
droite" ne réussit pas à résoudre la
crise économique.
Parmi les scandales et autres "affaires",
il y eut l'assassinat du Conseiller Prince. Cette mort est toujours,
en 1993, un mystère. Quelle relation entre cette mort
et celle de Stavisky ? Nul ne sait. La mort d'Albert Prince est
douloureusement ressentie en Berry. Cet homme de qualité
avait en effet passé une partie de sa vie à Saint-Amand,
comme juge, puis à Bourges dans les années 1910.
Au Palais de Justice de Bourges, chacun gardait le meilleur souvenir
de ce conseiller à la Cour d'Appel de Paris : il était
un excellent magistrat. C'est aussi à Bourges que Prince
se maria.....
Premières manifestations
à Bourges
A Bourges, les événements
de 1934 se traduisent par plusieurs manifestations. Le 9 février
1934, à l'appel des syndicats et partis de gauche, une
grande manifestation est organisée Salle des Syndicats.
A 17 H 30, ils sont 1 500 à lever le poing en l'air. Il
y a en tête du cortège, Gatignon et Buvat. Le défilé
passe devant la mairie, où Laudier est conspué,
alors que les dirigeants entraînent leurs militants en
face de la caserne Condé. A Bourges, depuis quelques jours,
la mort de 6 soldats a été annoncée à
l'hôpital militaire. Les causes ne sont pas très
bien connues, chacun murmure qu'il s'agit de jeunes gens mal
soignés et mal nourris ; c'est un scandale pour les Berruyers,
et l'amalgame est assez vite fait avec les événements
politiques.
Quelques jours plus tard, le 13 février, un important
meeting se tient alors que la grève décidée
par les syndicats n'est que partiellement suivie. Elles seront
4000 personnes à se rendre à la Halle au Blé,
à l'appel de l'Union Départementale des Syndicats
confédérés, et la participation des organisations
de gauche. Plusieurs parlementaires sont présents : Cochet,
Castagnez, Breton, ainsi que Georges Lamy, l'adjoint au maire
de Bourges.
Ce sont les responsables syndicaux qui vont prendre la parole.
Buvat, au nom de la C.G.T.U. préconise "l'Union dans
l'action énergique à mener contre le fascisme et
la réaction". Il termine son propos en attaquant
violemment " les parlementaires dont les fautes ont ouvert
la route au fascisme".
Puis ce sera le tour de Keyser pour l'Union des Syndicats Unitaires
qui regretta qu'un orateur représentant le parti radical-socialiste
puisse prendre la parole à ce meeting, "car ce parti
à beaucoup à se reprocher". Devant les huées
et les sifflets, le radical-socialiste ne monta pas à
la tribune.
A partir de 1934,
et jusqu'aux élections qui amèneront au pouvoir
le Front Populaire en juin 1936, ce sera une longue marche vers
l'Unité des partis de gauche.
A Bourges, c'est au cours de la journée
du 14 juillet 1935 qu'un comité se forme pour promouvoir
un Front Populaire. Un important cortège quitte la gare
vers 15 heures 30 pour se diriger vers le centre ville. En tête,
des drapeaux, rouges et tricolores, puis les dirigeants des 26
groupements représentés ; on remarquait le député
Charles Cochet. Des jeunes filles vendaient des cartes postales
ou des églantines rouges. Au passage devant le monument
aux morts, Gatignon et Keyser déposèrent une gerbe
sur laquelle on pouvait lire :
"Le front populaire
aux victimes du capitalisme, pour la paix et le désarmement".
Le cortège se dirigera vers la Préfecture
où huit orateurs prendront la parole après avoir
remis une motion au Préfet M. Moulonguet. La dislocation
eut lieu vers 17 heures, dans le calme : à Bourges, le
Front Populaire était lancé.
De son côté, Henri Laudier
organisa une journée "des Municipalités républicaines
et socialistes" le 8 octobre 1935, à Bourges, dans
sa mairie. Ils venaient de Mehun, Vierzon, Rians, Baugy ... etc.
Il s'agissait de se rassembler pour montrer "leur attachement
à un idéal qu'ils ont toujours fidèlement
servi et leur ferme volonté de ne pas suivre les factieux
ou les illuminés sur les chemins dangereux de l'aventure".
Entouré de 170 convives, le repas au Parc Saint-Paul sera
servi, et se terminera par du Chavignol "qui remplit nos
verres de sa chaleur vermeille et à porter un toast à
la démocratie et aux municipalités républicaines
et socialistes de notre Berry". En fait, Laudier ne se sent
pas à l'aise dans cette gauche qu'il trouve extrémiste.
Il se retrouve avec les plus modérés des socialistes
qui ne veulent à aucun prix une alliance avec le Parti
Communiste.
Les élections de
1936 a Bourges
Et en 1936, ce sont les élections
qui amèneront le Front Populaire au pouvoir. A Bourges,
dans la première circonscription, se présentent
:
- Charles Cochet pour la S.F.I.O. député sortant
élu en 1932
- Jean Autrand, toujours pasteur et homme politique de premier
plan.
- Maurice Boin néo-socialiste exclu du Parti Communiste
; il est soutenu par Henri Laudier.
- Massé est présent dans cette course importante
- Gatignon, le communiste, a une véritable chance de l'emporter.
Autant la campagne de 1932 du Parti Communiste
avait été terne, autant celle-ci, en 36, est dynamique.
Le 25 mars, à 20 H 30, 700 personnes sont rassemblées
pour écouter les orateurs du P.C. dont Gosnat, un adjoint
au maire d'Ivry, ancien ouvrier révoqué des Etablissements
Militaires de Bourges. Le rapport de Police, écrit à
la suite de ce meeting, notera : " Le Parti veut une France
libre, heureuse et forte, pouvant seule, éviter une guerre
avec l'Allemagne..... Au cours de cette réunion, il n'y
eut aucun contradicteur, et aucun incident".
Au soir du premier tour, les résultats
font l'effet d'une bombe. Le député sortant Charles
Cochet est "sorti" ; il se retrouve avec 4 193 voix,
95 de moins que le communiste Louis Gatignon ; de son côté,
Massé obtient 3 838 voix. Et Cochet doit se désister
pour le communiste, il écrira :
"
Tous s'inspireront de l'appel lancé par les trois partis
: radicaux et radicaux socialistes, communistes et socialistes
afin que la victoire du rassemblement populaire soit plus complète.
Vive le rassemblement populaire".
Le second tour oppose Massé à
Gatignon ; ce dernier, malgré la vague de gauche, est
battu de moins de 300 voix sur 22 600 inscrits. Le P.C. prendra
sa revanche dans la seconde circonscription de Bourges avec Cornavin
qui sera élu très largement : il obtiendra plus
de 11 000 suffrages alors que son adversaire n'en aura que 5
000.
Gaston Cornavin est un Berruyer né en 1894. Ce fut, d'après
Pennetier, "le militant communiste le plus important du
Cher pendant l'entre-deux-guerres". Issu d'une famille de
militants, il quitte l'école après avoir obtenu
le brevet élémentaire. En 1910, il entre comme
apprenti aux Etablissements Militaires, "à la Pyro",
pour reprendre le langage d'alors. Il fait du syndicalisme avant
et pendant la Grande Guerre, puis en 1920, devient membre de
la majorité socialiste et devient communiste. Cornavin
se révèle un très grand orateur et aux législatives
de mai 1924, il est propulsé, à la surprise générale,
à la Chambre des Députés.
Cornavin deviendra après l'exclusion de Boin et la dérive
de Laudier, le grand homme de la gauche dans le département
du Cher.
A Saint-Amand et Sancerre, ce sont deux socialistes S.F.I.O.
qui s'en vont siéger au Palais Bourbon : Lazurick et Castagnez.
Cornavin, au lendemain de sa victoire, écrira dans l'Emancipateur
du 9 mai :
"Avec 72 députés notre Parti vient de remporter
une triomphale victoire ! Dans Paris ont été élus
16 députés communistes, et le même nombre
pour la banlieue.
L'effort inlassable fourni par notre Parti pour souder entre
elles les masses laborieuses a abouti à ce magnifique
résultat électoral, traduction précise de
la volonté des travailleurs de mener, unis fraternellement,
la lutte contre les 200 familles et leur politique de misère,
de fascisme et de guerre.
Il va falloir appliquer sans tarder et sans faiblesse les lois
qui visent au désarmement et à la dissolution des
ligues fascistes dont nous avons apporté les preuves de
leur préparation de la guerre civile".
Laudier à ce moment est dans une situation délicate.
Il soutient "son poulain Maurice Boin", mais il n'est
pas d'accord pour que le Parti Socialiste se mette "à
la remorque du parti de Moscou", aussi la profession de
foi de Boin comportera cette phrase : "... Après
la scandaleuse exclusion du citoyen Laudier du parti S.F.I.O.,
qu'il avait créé dans notre département....
".
Laudier se trouve très marginalisé dans sa propre
ville.
Le premier gouvernement
de Front Populaire
Au mois de juin 1936, le premier gouvernement
du Front Populaire est formé avec des Socialistes et des
Radicaux. Les Communistes soutiennent ce gouvernement "sans
participation". Léon Blum devient Président
du Conseil. C'est un immense espoir pour les ouvriers.
De manière plus concrète,
dès les premiers jours de juin 1936, c'est le début
des grèves dans l'ensemble de l'industrie et donc à
Bourges. Les Etablissements Hanriot ont cessé le travail,
les ouvriers ont été reçus par M. Huguet,
Directeur Général, et le 5 juin, on "attend
une réponse de la direction pour mettre fin au conflit".
A Métal-Centre, un cahier de revendications a été
transmis à la Direction. Le Directeur, M. Robelin a reçu
une délégation, puis est parti pour Paris pour
y prendre des initiatives : il est en effet Président
du Syndicat Patronal des Fermetures. Les ouvriers, en attendant
son retour... ont repris le travail. A Rosières, les ouvriers
ont occupé l'usine ; le maire de Saint Florent, M. Martin
est venu apporter son soutien aux grévistes et "les
a invités à poursuivre le mouvement". Chez
Billant à Bourges, c'est encore le calme, mais ça
ne durera pas, deux jours plus tard, l'usine est totalement occupée.
Devant la position intransigeante de la Direction, Henri Laudier
intervient, il obtient que le Directeur reçoive quelques
représentants ouvriers. L'accord est imminent, chacun
espère qu'il sera aussi le même pour le personnel
de Morthommier.
La grève est donc variable en durée
et en intensité. Le caractère berrichon apparaissant,
chacun reste calme et à sa place, sans excès ni
débordement. En fait, tout se passe à Paris. Pendant
le mois de juin, secteur par secteur, c'est tantôt la grève,
tantôt la reprise. Ainsi, le 30 juin, on apprend que les
coiffeurs, après avoir cessé le travail pendant
une semaine, ont repris leurs ciseaux. Ce même jour, la
grève dans le bâtiment n'est pas achevée,
les discussions continuent.
Le commerce commence à souffrir, on achète moins,
par exemple au marché du samedi à la Halle au Blé
de Bourges.
La mise en oeuvre des grandes réformes
sociales est lancée. A l'issue des accords de Matignon
du 7 juin 1936, c'est à dire la revalorisation des salaires,
les 40 heures, le droit aux congés payés, la liberté
syndicale. "Cette victoire
de la classe ouvrière", pour reprendre le vocabulaire
de l'époque, va contribuer à apaiser les tensions...
et ce seront les légendaires départs en tandem
pour la mer avec les congés payés de juillet.
Un des grands symboles du Front Populaire se nommait Roger Salengro.
Il s'est suicidé le 18 novembre 1936. Il était
Ministre de L'Intérieur et Henri Laudier lui rendra un
hommage émouvant et sincère :
"..... La calomnie l'a tué.
Je m'incline respectueusement devant la tragique fin de Roger
Salengro et je pense être l'interprète de l'Assemblée
communale en l'invitant à partager ce sentiment. ....
L'arme perfide et nocive au premier chef que constitue la calomnie
a, certes, été de tous les âges, mais jamais
elle n'avait encore atteint ce degré de raffinement et
de cruauté".