C'est l'histoire d'un sauvetage original.
Il concerna des milliers de clichés photographiques représentant
une partie essentielle du patrimoine de l'aéronautique
en Berry. Ces photos étaient promises à la destruction
et sont aujourd'hui en lieu sûr. Ce fut ensuite, à
partir de ces clichés et d'un travail " de romain
" (ou " de berrichon ", c'est identique), la réalisation
d'un ouvrage collectif sur ce même patrimoine.
Un patrimoine industriel en danger
Tout commence vers l'an 2000, à
l'intérieur de l'établissement de Bourges d'Aérospatiale,
devenue MBDA. Ne cherchez pas la signification de ce sigle, 7
ans après certains n'en savent toujours rien. L'établissement
industriel situé au N° 8 de la rue Le Brix à
Bourges cherche à rationaliser ses bâtiments, ce
qui est légitime, et à partir cela, commence la
destruction d'un certain nombre d'ateliers ou de bureaux, ceux
qui restaient étant réhabilité avec beaucoup
de soin. D'ailleurs dans un vocabulaire nouveau " qui vient
d'arriver ", on ne dit plus détruire un bâtiment
; mais " déconstruire un élément devenu
obsolète " !
En trente cinq années passées
dans cette usine, quelques anciens, nostalgiques de la grande
époque des constructions aéronautiques de Bourges,
l'esprit tant soit peu curieux, avaient exploré les moindres
recoins, y compris les souterrains à la recherche du passé
prestigieux de ce milieu aéronautique, assez fermé.
Ils avaient décidé de se préoccuper de la
mémoire de cette usine, qui assembla et fit voler, depuis
1928 des avions aussi divers que le Potez 25, le Noratlas, le
Transall, et avec d'autres , ils fabriquèrent des éléments
de Mirage et de Concorde.
Nos " anciens " firent le tour
des montagnes d'archives d'avions et de missiles dans les locaux
situées généralement dans les sous-sols
encombrés et humides de plusieurs bâtiments de fabrications.
Ces archives comprenaient des plans, des notes, du courrier
et de nombreuses photos.
Aussi, lorsque la décision fut prise de " déconstruire
" le bâtiment N°1, celui qui était à
l'angle de la route de Châteauroux et de la rue Le Brix,
un immense atelier qui avait survécu aux grands bombardements
de 1944, alors, tout devenait possible, il fallait agir, et vite
!
Si la direction avait de bonnes raisons de démolir ce
bâtiment " historique ", alors, les archives
devraient suivre le même chemin et se retrouver on ne sait
ou.
Il fallait, d'une manière ou d'une autre, garder une trace
de cette collection photographique unique. Un ancien, fana des
avions réunit quelques amis, une demi-douzaine et leur
donna l'information :
- C'est parti, ils démolissent
tout, vous allez voir, ils vont nous " benner " nos
photos.
- C'est pas possible répondit un retraité, ils
ne peuvent pas faire cela. Ce sont de véritables pépites.
- Si, si, c'est comme la carcasse de l'hélico, tout a
été " benné ".
Pour les non-initiés, " benner
" signifie tout simplement " aller mettre à
la benne, c'est à dire à la poubelle.
Des tonnes d'archives à préserver
:
Les archives de l'usine MBDA datent de
l'arrivée de la firme Hanriot à Bourges en 1928,
et à cette époque, il y avait beaucoup de plans,
réalisés sur des planches à dessins, avec
une règle et une équerre, le tout utilisé
avec un crayon mine 2H finement taillé, et
une gomme.
Pas de calculatrice, pas d'ordinateur, pas d'imprimante, du fait
main.
Il était intéressant de conserver
une partie de ces plans, cela montrait comment travaillaient
les dessinateurs des années 1930. Mais au-delà
de ces liasses de papier, il y avait des photographies, un trésor,
en assez bon état de conservation, mais qu'il était
nécessaire de trier et d'identifier
Et des personnes
qui avaient travaillé en 1928 dans cette usine, il n'en
restait plus.
Les photographies étaient totalement
inexploitables car elles étaient sur des plaques de verre.
Et oui, à l'heure de la photo numérique, ce sont
des milliers de clichés qui étaient dans des caisses
en bois, sur des plaques de verre, chaque caisse pesait plusieurs
kilogrammes, et nul ne savait comment développer ces plaques,
certaines étaient brisées, d'autres étaient
parfois mal conservées avec des gravats sur des boîtes,
mais la plupart étaient exploitables à condition
de les reproduire sur du papier.
Ces collections apparaissaient
comme un vrai trésor.
C'est alors que deux compères, à
quelques mois de leur départ en retraite, Alain Bougelot
et Jean Yves Catoire se mirent à chercher les moyens de
sauver ces clichés. La première idée fut
de reproduire l'ensemble des clichés sur papier. Mais
il fallut vite se rendre à l'évidence, la tâche
était trop considérable compte tenu du grand nombre
des épreuves. Ils ont alors opté pour faire un
choix de photos à reproduire, et ils commencèrent
le tri
.
Au cours de plusieurs réunions autour d'une bonne bouteille,
la solution arriva.
- Et si nous léguions ces clichés
et même les archives " avions " aux Archives
départementales du Cher ?
- Bonne idée, mais comment convaincre les directeurs des
archives d'une part et de MBDA d'autre part que c'est une opération
intéressante ?
- C'est vrai, ils ont d'autres chats à fouetter. Les premiers
travaillent sur Charles VII, et les seconds sur la rentabilité
des ailes de l'avion ATR 42. Alors vos photos d'un autre temps
ils s'en foutent.
Et bien non, chacun y a mis de la bonne
volonté et c'est ainsi qu'entre les responsables de MBDA,
le directeur et les techniciens des Archives et la nouvelle association
appelée PABB, (Patrimoine Aérospatiale Bourges
Berry) ce fut un accord qui allait sauver les archives des fabrications
des avions à Bourges.
Un transfert historique
Dans un premier temps, le directeur de
MBDA à Bourges, Marc Butet, comprit le message et accepta
d'engager une action pour sauver cet important patrimoine. C'était
un ancien de cette usine, et il avait la fibre " avions
". Ce fut ensuite la mise en lieu sûr de ce trésor
aux Archives départementales du Cher. Le président
du Conseil général, Alain Rafesthain était
lui aussi sensible à ces documents, étant lui-même
un écrivain local reconnu, travaillant sur la guerre de
1939/45 en Berry. Cette décision de transfert se concrétisa
le 22 mars 2005 par la remise officielle de la collection complète
des plaques photos à M. Vincent Maroteaux, alors directeur
des Archives.
Ce fut ensuite un travail difficile et
ingrat, consistant à trier l'ensemble du fonds : environ
15000 photos furent visualisées afin de les répertorier
et de définir leur intérêt historique. Par
la suite, ce furent des cartons de documents qui furent encore
triés
Vers un album de photos
Il vint très vite à l'esprit
de chacun de ces anciens qui avaient connu le Transall des années
1970 à défaut de l'avion Hanriot 232 fabriqué
avant 1930, l'idée de faire partager le fruit de ce travail,
en réunissant dans un ouvrage les clichés sélectionnés.
Un grand projet était né. Il fallait permettre
à chacun des anciens ou de leur famille, d'acquérir
un album retraçant en 700 clichés l'histoire de
cette usine berrichonne. La première tâche, après
le tri fut la reproduction des clichés et leur transformation
en clichés numériques.
Les critères de sélection
de ces clichés furent de trois, privilégier les
fabrications avions, puis celles des missiles, mais aussi retenir
de préférence les vues avec des personnages, et
montrer l'évolution des moyens, des installations industrielles
et des bâtiments.
Et en 300 pages, se déroule une
histoire industrielle, avec 7 chapitres permettant de remettre
les photos en perspective, et pour chaque photo, une légende
qui fut parfois une véritable enquête.
Six mois après la sortie de cet
ouvrage intitulé " l'épopée Aérospatiale,
l'album photographique " les réactions des berrichons
furent très favorables, chacun des employés et
des compagnons retrouvant les lieux où ils avaient travaillé.
S'adressant à son petit fils âgé de 15 ans,
cet ancien montrait une page :
- Regarde, c'est le " central rivets ", c'est ici que
l'on récupérait les rivets pour assembler le fuselage
du Martinet. Il fallait les fixer sur trempe fraîche. Pas
facile.
Et le petit fils, admiratif, ne comprenait pas comment, pépé
était arrivé à faire voler un avion, alors
qu'il n'avait pas d'ordinateur.
Sur un autre cliché, un bel alignement d'avions en bordure
de la piste.
- Mais ces avions volaient ? redemanda le petit fils, de plus
en plus étonné que pépé ait fait
cela sans savoir se servir d'Internet. Il ne savait même
pas envoyer des SMS.
- Et comment ils volaient nos avions, il faut savoir que les
gens venaient de tout le quartier du faubourg d'Auron afin de
venir voir évoluer ces machines. C'était une véritable
attraction et le pilote Marcel Haegelen était un héros
local..
- Et pourquoi aujourd'hui, les riverains se plaignent du bruit
des avions, alors qu'il n'y en a presque plus dans le ciel de
Bourges ?
La question restera sans réponse, le grand père
ne voulant pas se fâcher avec ses voisins.
Plus, loin, sur un cliché, un personnage
portant bien sa longue barbe, est en train d'assembler des "
guignols ". mais les guignols, en aéronautique, c'étaient
des sortes de pièces mécaniques servant de renvois
pour les câbles de commande des volets ou autres aérofreins.
Cet homme, qui fera la quatrième de couverture devint
un héros dans le " Landerneau berruyer ".
Et c'est ainsi que pour la première
fois dans notre département, des archives du patrimoine
industriel ont été sauvées, par la volonté de quelques uns, et l'accord
des différentes administrations, un exemple à suivre
pour d'autres sujets, comme les Etablissements militaires de
Bourges.