1900,
il ne semble pas que le passage d'un siècle à l'autre
ait eu de grandes répercussions en France, pas plus qu'à
Bourges. Mais il est toujours intéressant de savoir "ce
qui se passait le premier jour du premier mois de la première
année d'un siècle" et le vingtième
sera à la fois passionnant et désolant. L'homme
ira dans la lune, mais il commettra les pires atrocités
de l'autre côté du Rhin pendant quatre ans de ténèbres.
Puisse la lumière revenir !
1900
/ 1901 Naissance du XXe siècle à Bourges
- 1er janvier 1900
- Bourges la paisible
- Premières municipales du siècle
- Vaillandet, le maire, sur un siège éjectable
- Laudier le Vierzonnais
- Le jeune Laudier a du caractère
- Les polémiques de l'époque
LE 1er
JANVIER 1900
Dans le monde, ce 1er janvier 1900 est
relativement calme. La presse nationale signale une vague de
grèves en Belgique, Allemagne et Autriche-Hongrie; c'est
assez significatif d'un climat social détestable dans
les grandes industries de l'Europe. La guerre ne touche pas le
vieux continent, elle est lointaine, c'est en Chine avec de terribles
émeutes; alors que les Français se passionnent
pour la guerre des Boers, laquelle est relatée en première
page chaque jour par le journal local de Vierzon, "La Dépêche
du Berry", avec des informations très précises
:
" Dans la guerre du Transvaal,
les combats de Colesbery font rage, le Général
French prend l'offensive"
En France, chacun suit de très près
l'avancement des travaux de l'Exposition Universelle, laquelle
doit ouvrir ses portes à Paris dans quelques semaines.
Mais les préoccupations de nos compatriotes sont aussi
sociales. C'est la grève des mineurs à Saint-Etienne,
ils se sont réunis dans une salle, et le socialiste Jean
Jaurès est venu apporter son soutien à ces 3000
"gueules noires" de la Loire, en prêchant toutefois
le calme. La grande affaire dans le pays, et pour les nombreuses
décennies à venir, c'est la querelle de l'Ecole
Publique face aux partisans de l'Ecole Catholique : le débat
continue.
Ce premier janvier, comme il est de coutume, le Président
de la République, M. Emile Loubet reçoit l'ensemble
des personnalités politiques du pays, lesquelles viennent
lui présenter leurs voeux. C'est la première fois
que M. Loubet présidait cette cérémonie,
il reçoit donc le Président du Sénat, Armand
Fallière, accompagné des sénateurs "marchant
d'un bon pas", puis c'est le tour de Paul Deschanel, à
la tête des Députés du pays. Comme le note
un journal local berrichon :
"Cette cérémonie ne fut marquée par
aucun incident"... on n'avait pas confiance à cette
époque ! Il faut dire qu'il y avait eu, avec ce nouveau
Président, quelques incidents, l'anticléricalisme
du pouvoir ne faisait pas l'unanimité !
La première page de "La Dépêche
du Berry" est aux trois-quart consacrée à
l'audience du procès en Haute-Cour, dans lequel Paul Déroulède
est condamné à dix ans de banissement, le soir
même, il sera expulsé en Belgique.
A Bourges, ce 1er janvier 1900, deux évènements
ont retenu l'attention des journalistes :
- C'est d'abord la nouvelle victime de l'accident qui est arrivé
à la fonderie de canons. En effet, M. Duteil, âgé
de 58 ans, était occupé à la manipulation
de vieilles fusées récupérées dans
les champs de tir, il faisait donc son travail lorsque la fusée
éclata. Il eut la main gauche sectionnée. Conduit
à l'hôpital, il succomba à la suite de complications.
Ainsi Bourges est bien, en ce début de siècle,
une ville ou l'industrie d'armement est présente... et
dangereuse.
- Le second évènement est
plus banal à Bourges. Il s'agit d'un incendie qui s'est
déclaré en plein Centre Ville, très exactement
rue Porte Jaune, chez Madame Touzet, qui tenait un atelier pour
dames. On cria "au feu" et les pompiers, comme il se
doit, arrivèrent. Après une demi-heure d'efforts,
le sinistre fut maîtrisé. La perte fut évaluée
à 6000 francs, en dentelles, soieries et autres pièces
de tissu. Bourges restera une ville d'incendies pendant encore
tout le XXe siècle.
Comme leurs confrères, "Le Journal du Cher"
ou "La Dépêche du Berry", à cette
époque, n'avaient que 4 pages. Et sur ces pages, deux
étaient consacrées à la publicité.
On vantait les mérites de "Royal Windsor", une
lotion proposée pour la régénération
des cheveux. De son côté, un dentiste, A. Desbouis
signalait qu'il livrait des dentiers partiels en 6 heures et
des dentiers complets en 2 jours. Il habitait au N° 7 rue
de la Gare à Bourges et informait aussi sa clientèle
qu'il guérissait les maladies de la bouche. Ainsi, la
Pub en 1900, vantait beaucoup de pommades, pilules et autres
lotions.... Pour les pilules "Morson-Moulin, un excellent
purgatif, exigez que le nom de la Maison soit bien inscrit sur
chaque boite... "
Dans "La Dépêche du Berry"
des premiers jours du siècle, le sport est totalement
absent, c'est la politique qui est au devant de la scène.
Il y a toutefois des curiosités qui surprennent encore
aujourd'hui. Ainsi, dans la Chronique Agricole du 4 janvier,
un très long article est consacré ..... à
la sylviculture soudanaise. Et le journaliste de déployer
sa verve en évoquant la flore de Tombouctou, les jujubiers
sauvages du Soudan ou les mimosas de Lybie. Pour faire bonne
mesure, notre journal berrichon donne les derniers chiffres de
la récolte de vin en Algérie et termine par la
médiocrité des récentes production d'olives.....
L'information locale est réduite à sa plus simple
expression.
"La Dépêche
du Berry" de Janvier 1900
"Le Journal du Cher" de janvier 1900
BOURGES,
LA PAISIBLE
Comme les petites cités de province,
Bourges est calme, certains diront "c'est une période
heureuse, loin de tout souci, qui paraissait ne devoir jamais
se terminer". Le recensement de la population donne un chiffre
de 46 551 habitants en 1901. Il est en légère augmentation
depuis le dernier recensement de 1896.
Les
"grands hommes" de l'époque se nomment Théophile
Moreux, un savant professeur de mathématiques, astronome.
et abbé. A l'opposé, sur l'échiquier politique
traditionnel, le Président de la Chambre des Députés
se nomme Henri Brisson, il est Franc-Maçon et député
du Cher. Quant à Jean Rameau, le barde qui chante le Berry,
il est sabotier rue Mirebeau, mais les Berruyers ne semblent
pas l'apprécier ni l'aider.
Le maire de la ville est le docteur Henri
Mirpied, il est en place depuis son élection du mois
de mai 1892, et sera réélu le 14 octobre 1894.
Il est connu à Bourges pour avoir donné son nom
pendant un demi-siècle au chapiteau du château d'eau
de la place Séraucourt. C'est en effet Mirpied qui fait
ajouter un réservoir supplémentaire au monument,
le troisième, et ainsi, jusqu'en 1960, les Berruyers pouvaient
admirer cette oeuvre appelée "le Chapiteau de Mirpied".
Depuis cette époque, une place située en plein
centre de la ville de Bourges a pris pour nom celui du maire
Mirpied, qui était en outre un excellent historien local.
En 1900, la mairie est située rue
de la Monnaie, à l'emplacement actuel de la Poste Principale
de Bourges, elle jouxtait la rue Moyenne. Ce lieu fut acquis
par le maire Pierre Planchat. Auparavant, et depuis 1682, le
Palais Jacques Coeur avait été utilisé par
l'administration municipale. En remontant le temps, l'Hôtel
des Echevins avait été construit pour devenir un
Hôtel de Ville, à la suite du Grand Incendie de
la Madeleine de 1487.
La ville de Bourges est calme et même
paisible, elle s'est pourtant donnée un maire pas comme
les autres, il s'agit d'Alfred-Charles Vaillandet, "un rouge
de la pire espèce" comme l'écriront certaines
gazettes. Les "Municipales"
de 1900 placées sous le thème de "La République
est en Danger " selon le mot de Jaurès, voient à
Bourges, Vierzon-Ville et Vierzon-Bourgneuf, la victoire des
socialistes.
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PREMIERES
MUNICIPALES DU SIECLE
Les premières élections municipales
du XXe siècle vont beaucoup rappeler aux "Anciens",
celles de 1888. A cette époque, pour succéder au
maire radical Eugène Brisson, en place depuis huit ans,
une coalition comprenant le Docteur Mirpied et Théophile
Lamy fut constituée. Cette liste dite de concentration
républicaine avait, aux yeux des Berruyers, une sensibilité
très socialiste.
Cette liste Mirpied-Lamy, soutenue par
le grand Pierre Brisson, cousin du maire sortant, fit une campagne
acharnée, accusant Eugène Brisson de "malversations
fantastiques", et c'est ainsi qu'en 1888, Bourges se donnait
une municipalité socialiste. Mais les accords stipulaient
que si la liste l'emportait, ce serait Mirpied qui serait élu
maire. Le vote pour le poste de premier magistrat donna lieu
à une séance rocambolesque. Au premier tour de
scrutin, Lamy avait le plus de voix, mais, les bulletins blancs
ayant été comptés pour déterminer
la majorité absolue, il y eut un second tour qui vit l'élection
de .... Mirpied. Une réclamation fut déposée
auprès de la Préfecture, et, grâce à
l'aide d'Henri Brisson qui connaissait parfaitement les rouages
électoraux, la situation fut renversée : le premier
tour de scrutin comptait et Lamy se retrouva un mois plus tard
maire de Bourges.
C'est avec un scénario à
peu près identique que vont se dérouler les élections
de Mai 1900. Il y a quatre listes en présence. La première
est nationaliste, elle n'a pas beaucoup de chance. La seconde
est dite de "concentration", elle comprend Achille
Chédin, Grémillot, Forest, Larchevêque, on
pourrait la qualifier de "centre droit". La troisième
est dite "Mirpied", elle comprend des républicains
comme Paul Commenge, ou encore Florentin Labbé. Enfin
la dernière est "socialiste", elle est formée
par Lamy, mais la tête de liste est Gaston Cougny. On trouve
parmi les candidats socialistes, Lebrun, Hervier et Vaillandet.
Le
maire Alfred-Charles Vaillandet
Gaston Cougny était un des grands
personnages du début du siècle. Il était
né à Bourges le 5 décembre 1857. Au cours
d'une longue et riche carrière, il devint avocat, tout
en ayant plusieurs cordes à son arc. Ainsi, en 1878, Cougny
devint le secrétaire de Louis Blanc, et comme socialiste,
il collabore à plusieurs journaux dont "Le réveil
Social".
Son amitié pour le vierzonnais Félix Pyat le pousse
vers le Parti Socialiste Révolutionnaire, dans laquelle
il passe pour un réformiste. Son action militante dans
le domaine de la presse lui fait participer à la création
de plusieurs journaux comme "la Commune" ou collaborer
à la "vérité", un journal très
à gauche.
En dehors de son activité politique, Cougny publie un
"Dictionnaire des Parlementaires Français" et
devient professeur à l'Ecole des Beaux-Arts de Bourges.
C'est en travaillant sur ce thème de l'art que Cougny
écrit et fait publier chez Firmin-Didot une "Histoire
de l'Art" en 5 volumes.
Il n'aura pas une carrière à
la hauteur de ses ambitions. Aux élections législatives
de 1898, il frôle la victoire au second tour, mais il est
battu par d'Arenbert, cette même année, il devient
Conseiller Général socialiste, mais il vise à
la fois une place de député ou une de maire de
Bourges : il n'aura ni l'une, ni l'autre. Gaston Cougny mourra
à Bourges le 5 juillet 1908.
Au premier tour du 6 mai 1900, il n'y a
qu'un candidat élu; c'est le socialiste Cougny. Pour tous
les autres, c'est le ballotage. Pourtant les résultats
sont surprenants. La liste socialiste obtient environ 3500 voix
de moyenne, alors que celle de Mirpied n'a que 1600 voix et celle
de concentration 1200. C'est une victoire socialiste, mais le
second tour est indécis. La somme des listes de droite
ou du centre font jeu égal avec la liste Lamy.
Comme souvent, la désunion "des partis de l'ordre,
sans cohésion et sans chef véritable" provoque
la perte de la mairie pour la droite. La liste socialiste l'emporte
avec une moyenne de plus de 1000 voix d'avance sur celle de Mirpied.
La victoire des socialistes est connue
vers une heure du matin à l'issue du scrutin du 13 mai
1900. Aussitôt, alors que le temps est très mauvais
et que la pluie fait rage, c'est une explosion populaire dans
les rues de Bourges. Les cris de "Vive la sociale"
sont poussés par les vainqueurs. A leur tête, Monsieur
Vaillandet, "presque porté en triomphe", c'est
un beau succès pour ce professeur de lycée, qui
est, en fait, un nouveau venu à Bourges.
Alfred-Charles Vaillandet est né le 13 janvier 1865 dans
la Haute-Saône. C'est en janvier 1898 que le congrès
socialiste d'Epernay lui propose de se présenter aux législatives
dans une circonscription de la Marne qualifiée de "très
à gauche". Vaillandet refuse, il n'est pas un "arriviste".
Depuis la rentrée d'octobre 1897, il est à Bourges
comme professeur d'histoire. C'est un socialiste antimilitariste
et extrémiste. Pour ces élections, dans un premier
temps, on avait beaucoup intrigué pour que Lamy reprenne
le fauteuil de maire. Mais ce dernier ne voulait que le poste
d'adjoint. De même, Cougny ne désirait pas la place,
il souhaitait - disait-on chez ses amis - "devenir Conseiller
à la cour d'Appel", ce qui n'avait rien à
voir ! Enfin Vaillandet tergiversa, il acceptait un jour, se
récusait le lendemain. En réalité, une réunion
des élus socialistes se déroula avant la convocation
du conseil municipal et Vaillandet recueillit 12 voix contre
8 à Lamy. C'était un signe.
Le 21 mai 1900, dans une salle très
populaire formée, selon le "Journal du Cher",
de "collectivistes militants", l'élection du
maire se déroule sans surprise. Vaillandet obtient 25
voix sur 30 votants.
Après une phase musicale par la fanfare de la Bourse du
Travail, le nouveau Maire prononce le discours d'usage :
" Si les désirs personnels étaient entrés
en ligne de compte, je ne vous cache pas que j'aurais hésité
à accepter ce périlleux honneur.... Mais j'estime
que nul n'a le droit de s'esquiver...."
Il termine de manière très
conventionnelle à gauche par un "Vive la République
démocratique et sociale".
La séance est levée, alors que dehors les chants
se font entendre, c'est La Carmagnole puis l'Internationale.
Bourges s'est dotée d'un maire socialiste.
Journal du Cher Mai 1900
Dépêche du Berry Mai 1900
Claude Pennetier Le Socialisme dans le Cher
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VAILLANDET,
LE MAIRE SUR UN SIEGE EJECTABLE
Depuis ce 20 mai 1900 Alfred-Charles Vaillandet
occupe le fauteuil de premier magistrat de la cité. Pourtant,
il ne va pas rester en place très longtemps, c'est un
épisode à la fois surprenant et symptomatique des
moeurs de ce début de siècle. Tout se concrétise
cinq mois après l'élection du maire, lorsque paraît
un arrêté signé du préfet du Cher,
suspendant Vaillandet de son mandat de maire.
Dans ce cas, selon les termes de la loi de 1884, il ne restait
qu'une solution : que Bourges se dote d'un autre maire. Mais
qu'avait donc fait le maire pour mériter une telle réaction
de la part du préfet du Cher, d'autant plus que Vaillandet
sera révoqué par un décret du Ministre de
l'Intérieur en date du 12 novembre 1901 ?
On en saura plus à la séance
du conseil municipal du 20 novembre, lorsque le coupable va chercher
à se justifier devant ses collègues. Il sera soutenu
dans cette épreuve difficile par le conseiller Rougeron,
lequel propose une motion approuvant la conduite de son maire.
Cougny s'oppose au vote, car affirme-t-il, "Vaillandet a
divisé le Parti Socialiste". Finalement, la motion
Rougeron est adoptée par 16 voix contre 10 et il y a eu
2 abstentions. Ceci démontre que l'ex-maire avait la confiance
de ses collègues du conseil municipal.
La politique de la gauche française d'alors n'est guère
simple. En effet, une scission s'est faite, à la suite
de l'entrée dans un ministère de Défense
Républicaine du socialiste Millerand, car, dans ce même
gouvernement, le socialiste côtoie Gallifet, le "Tueur
de la Commune". Cougny à Bourges et Breton à
Vierzon sont des partisans de Millerand, ils s'opposent à
la nouvelle vague des socialistes purs et durs, emmenés
par Vaillant : Vaillandet, Mauger et Laudier. Finalement, Cougny
est exclu du Parti Socialiste. Alors, entre les anciens amis,
ce sera la haine, et Vaillandet va payer.
Les reproches du préfet à Vaillandet portent sur
deux points essentiels. Le premier tient au fonctionnement administratif
de la mairie. Un brigadier d'octroi nommé Renouard était
proche de la retraite. Il semble que Vaillandet ait voulu le
précipiter un peu plus vite dehors, en tout cas, sans
son consentement. Il y eut un conflit entre les deux hommes,
d'autant que Renouard avait des amitiés avec Cougny. Lorsque
Renouard sanctionna pour faute trois de ses subordonnés,
le maire le désavoua et leva les sanctions ainsi infligées.
Pour le préfet, cela se traduira par un encouragement
"du maire à l'indiscipline". C'était
le premier motif pour écarter Vaillandet.
Le second motif est plus grave et plus
politique. Vaillandet touchait à l'armée, à
son moral, à sa tradition, et l'on était en pleine
affaire Dreyfus.....
Premier incident entre Vaillandet et l'autorité militaire
locale, à l'occasion du 14 juillet. Comme il était
de tradition, la Ville mettait à la disposition de la
population pour suivre le défilé des troupes, une
estrade et des chaises place Séraucourt. Deux mois après
son élection, et selon ses principes antimilitaristes,
Vaillandet refusa cette aide logistique aux autorités
militaires, c'était une position insoutenable et impopulaire.
Comme le rappelle "l'Indépendant du Cher", la
municipalité refusa de participer au défilé
du 14 juillet qu'elle remplaça par une marche de jeunes
socialistes chantant l'Internationale et criant des "Vive
la Sociale, A bas l'armée" et "A bas la calotte".
Il y avait de quoi émouvoir la population berruyère
même la moins conservatrice. Mais le plus dramatique ne
va pas tarder à se produire.
En effet, Vaillandet, s'associa à
une manifestation "poussant les jeunes soldats à
la désobéissance". Il est vrai qu'il avait
participé à une réunion publique, et lorsqu'il
a pris la parole, certaines phrases étaient très
politiques, ainsi il dira : "En cas de conflit armé,
le soldat doit se rappeler les principes de l'Evangile, tu ne
tueras point".
Sur un des tracts distribués au
cours de cette réunion, on pourra aussi lire :
"Tu vas troquer la blouse contre la capote, n'oublie pas
que tu es prolétaire, la mascarade n'aura qu'un temps".
En 1901, on ne badinait pas avec l'armée.
Il était acquis que "chaque fois que l'armée
serait attaquée, le coupable serait frappé".
Et c'est ce qui se passera.
Vaillandet, en conformité avec ses
idées, et selon les voeux de la majorité des militants
socialistes et syndicaux, ne fera aucune concession. Pour lui,
la municipalité ne devait être gérée
que pour le service exclusif de la classe ouvrière.
Malgré l'argumentation d'Edouard
Vaillant face au Ministre de l'Intérieur Waldeck-Rousseau,
signalant "que le Préfet a cherché à
se débarrasser d'un maire fidèle à son parti
et bon administrateur... que le préfet a été
maladroit et violent", rien n'y fera, c'était un
vrai conflit politique, d'autant qu'à Bourges, la droite
reprenait espoir ; un journal local modéré écrira
"On va changer de maire, et aller à la conquête
de cette citadelle collectiviste qu'est devenue la mairie de
Bourges... et maintenant Bourges va faire de la bonne besogne."
En fait, le successeur de Vaillandet sera
un de ses amis, Joseph Lebrun. Pendant plusieurs jours, à
Bourges, chacun avait pensé que la dissolution du conseil
municipal était inéluctable, "de l'avis général,
elle serait bien accueillie", mais il n'en fut rien, il
fallait changer simplement de maire. Le plus cocasse, c'est que
Vaillandet restera conseiller municipal pendant encore un certain
temps. L'élection de Lebrun ne manquera pas de piquant,
il y avait 29 votants, on compta 30 bulletins dans l'urne...
on recommença, il y avait une belle ambiance. Fort heureusement,
le siège de premier magistrat de Bourges est rarement
éjectable !
Vaillandet qui n'a donné son nom à une rue de Bourges
que très récemment, quittera la ville, ayant été
nommé professeur dans une cité du midi. Il mourra
à Vesoul en 1940.
Alors que se déroulaient à
Bourges ces évènements, dans la ville voisine de
Vierzon, commençait la carrière d'un autre homme
politique socialiste : Henri Laudier.
Conseil Municipal du 20 novembre
1901
Conseil Municipal du 22 décembre 1901
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LAUDIER
LE VIERZONNAIS
Henri Laudier est né à Vierzon
le 20 février 1878. Son père, Valéry, était
journalier porcelainier, comme il en existait beaucoup dans la
région de Mehun et de Vierzon. Sa mère, née
Perpétue Dupont était de vieille souche berrichonne.
Les Laudier avaient 7 enfants, et Henri avait deux frères
ainés, Ernest et Eugène, lesquels auront une grande
influence sur le petit Henri. En fait, sur l'Etat Civil, le prénom
qui figurait était Hippolyte et non pas Henri, mais à
cette époque, changer de prénom était une
chose courante.
Henri apprend à lire et à écrire dans une
école libre, dirigée par des religieuses, avant
d'entrer, en 1886 - il a alors 8 ans - à l'école
publique annexe de Vierzon, d'où il sort avec un C.E.P.,
Certificat d'Etude Primaire. Après avoir fréquenté
l'E.N.P., Ecole Nationale Professionnelle de Vierzon pendant
deux ans, il entre dans la vie active. A 15 ans, Laudier devient
un des employés de la Société Française
de Construction de Matériel Agricole. Il reste peu de
temps dans cette entreprise ; il la quitte et devient ouvrier
mouleur-porcelainier dans un Etablissement local, aux Verreries
Thouvenin et Sauvaget. Il évolue dans la profession de
son père, et pour quelques temps, travaille dans le domaine
des tailleurs de verre.
Mais la vie professionnelle de Laudier,
dans une ville comme Vierzon, qui a vu naître Edouard Vaillant
ou Félix Pyat, se double d'une vie syndicale et politique.
Avec ses frères, il fréquente très tôt
les milieux syndicalistes et socialistes. On dit même que
Laudier prend la parole dans un meeting pour la première
fois, alors qu'il n'a que 15 ans..... il promet, le gamin ! L'année
d'après, il est nommé secrétaire des Jeunesses
Socialistes locales.
C'est alors que sa vie va basculer, Laudier
est recruté par Emile Bodin, le Maire socialiste de Vierzon-Village,
pour être secrétaire à la Mairie. Par la
suite et jusqu'en octobre 1901, Henri Laudier travaille à
Vierzon, cette fois pour Emile Perraudin, le maire socialiste
de Vierzon-Ville. En parallèle, en 1895, il assure une
collaboration effective au journal du parti "le Tocsin Populaire",
il en devient le secrétaire de rédaction en 1901.
Excellent parleur et débatteur, c'est un des délégués
du Cher au Congrès Socialiste de Paris salle Japy en 1899.
Archives Départementales
du Cher 8° 1177 T.VI
Archives Départementales du Cher 8° 1247 - 33
LE JEUNE
LAUDIER A DU CARACTERE
A cette époque, Laudier est donc
socialiste, et avant 1914, cela signifiait être à
l'extrême gauche. Avec les anarchistes, les socialistes
étaient considérés comme des gens peu fréquentables,
ils étaient véritablement haïs par une grande
partie de la population. Les coups pleuvaient de partout, ainsi,
cette anecdote retrouvée dans un journal local du 15 septembre
1901 :
" Le citoyen Laudier a une singulière façon
de traiter les ouvriers et militants socialistes lorsqu'ils se
permettent de résister à sa volonté".
Et le journaliste de poursuivre avec son histoire. C'était
à propos de la présence d'Edouard Vaillant à
Vierzon. Comme il fallait un Président de séance
pour la conférence, Laudier voulait que ce fut le citoyen
Bodin, alors que les socialistes locaux votaient pour que Breton
soit désigné. Finalement, Laudier s'écria:
" Avez-vous bientôt fini de hurler comme des bêtes
sauvages ?"
Et le journaliste de conclure:
" Travailleurs, Laudier est un dompteur qui compte bien
vous mater.... ".
Henri Laudier est donc entièrement
plongé dans le socialisme de cette période, il
avait pourtant tâté de la plume quelques années
auparavant. En 1897, il avait publié une brochure de 48
pages, imprimée à Vierzon, dans "L'imprimerie
Commerciale" de Jean Foucrier.
Cette oeuvre est "un péché de jeunesse"
d'Henri Laudier, il n'avait alors que 19 ans. Elle comprend un
drame social en 3 actes intitulé "Soif d'Or"
avec huit personnages, et fort bien composée. Cette pièce
de théâtre est l'histoire d'un aristocrate dépravé,
le comte de Riconardo, qui se dégrade dans toutes sortes
de turpitudes, allant jusqu'au crime... Mais la pièce
se termine en beauté puisque le comte sera condamné
à la mendicité pour subvenir à son existence
:
" Va mendier, Comte, va mendier, c'est ton châtiment"
lui dira le bras vengeur représentant l'Humanité.
Roger Richer, qui a retrouvé en 1970 cette oeuvre de Laudier
ajoutera de manière gentiment perfide : "on retrouve
un personnage dans ce drame, c'est la comtesse Marceline de Riconardo,
un personnage dont la mémoire flotte sur près de
trois quarts de siècle de notre histoire berruyère...
".
La brochure de Laudier contenait, avec "Soif d'Or",
trois poèmes sociaux, aux titres évocateurs, "Demain",
puis "Noël" et enfin, "Souvenirs de misères".
Laudier dramaturge, ce ne sera pas son domaine de prédilection;
par contre il se retrouvera assez vite dans le journalisme, ce
sera son second métier.
Journal du Cher de septembre
1901
Berry Républicain du 30 juillet 1970
Archives Départementales du Cher 25 M 49
Archives Départementales du Cher : "Soif d'or".
LES POLEMIQUES
DE L'EPOQUE
Poète, Laudier ne le fut donc pas
très longtemps, et c'est heureux pour le Berry. A cette
période, on retiendra surtout en lui le polémiste.
Dans le journal du Parti Socialiste intitulé Le Tocsin,
il écrira le 20 janvier 1901:
"La Dépêche du Berry s'est classée depuis
longtemps dans la presse nationaliste.... à l'instar de
la presse nationaliste, réactionnaire et cléricale,
car elle critique le citoyen Breton". Laudier, visiblement
a un contentieux avec Foucrier, le patron du journal local. Mais
ce dernier ne s'en laisse pas compter, et il répond le
3 février 1901 dans son propre journal avec un titre en
caractères gras : "Procédés Crapuleux".
Dans l'article, il s'en prend violemment à Laudier, lequel,
employé à la mairie de Vierzon semble avoir supprimé
de la liste des fournisseurs d'affiches et autres imprimés
pour la municipalité, l'imprimerie de M. Foucrier. Ce
dernier réagit ainsi :
" A la Dépêche,
Monsieur Laudier, on ne poignarde pas dans le dos... Si j'étais
un fainéant comme vous, si je puisais à pleines
mains dans la poche des contribuables, il est probable que je
ferais fi du travail, mais je suis un honnête homme".
Et Foucrier terminera son éditorial par ces mots :
" Avez-vous compris, Monsieur Laudier, c'est vous
dire que je ne tolérerais aucune atteinte à mon
commerce de la part d'une fripouille et d'un lâche."
Il y a des mots qui vont tout de même
un peu loin en ce début de siècle dans notre calme
Berry !
Le lendemain, les deux hommes se retrouvent à 9 heures
du matin avec pour chacun, deux témoins : c'est pour un
duel. En fait, il semble que des palabres aient duré quelque
temps afin de déterminer qui était l'offensé.
Il fut établi que c'était Foucrier. Mais Jules
Turquet va intervenir, et chacun des deux protagonistes va écrire
une très courte lettre sur l'honorabilité de l'autre,
c'en était fini, l'incident était clos.
Une seconde fois, Laudier va se retrouver
sur le pré, les armes à la main. L'histoire m'a
été racontée par Robert Verglas, qui fut
secrétaire de mairie à Bourges entre 1937 et 1976.
Il fut le témoin de 40 années de vie municipale.
Ses souvenirs sont incomparables. Robert Verglas parle de cette
période d'avant 1914 en ces termes :
" A Bourges, à cette époque, un des établissements
les plus fréquentés était le Grand Café,
rue Moyenne (où se trouve actuellement la Banque Populaire).
Un jour, Laudier et ses jeunes amis y prenaient l'apéritif,
lorsqu'un Capitaine de la Garnison, très importante alors,
entra dans la salle. Une réflexion fusa de la table occupée
par Laudier, qui en était l'auteur. L'officier vînt
exiger des excuses qui furent refusées bruyamment, puis
il déposa sa carte en déclarant : nous nous battrons
demain, et il rejoignit sa table d'où son parlementaire
vint trouver Laudier pour régler la rencontre. Malgré
la pression de ses amis qui appréhendaient à juste
titre cette dernière si inégale, Laudier refusa
énergiquement tout compromis et lui, qui n'avait jamais
tenu une épée, fut le lendemain matin, avec ses
témoins, sur le terrain où, après quelques
minutes, il reçut un coup d'épée dans le
bras, ce qui arrêta le combat".
Laudier qui était à cette
époque un homme classé très à gauche,
"trés rouge", était allé jusqu'au
bout de ce qu'il pensait être son devoir et son honneur.
Ces épisodes montrent le caractère
entier de Laudier, sa détermination et son sens du combat
politique sans limite.